Exit les scories excessivement hédonistes ou rétro de ses deux premiers albums néanmoins prometteurs et en particulier d’un Fatigue peut-être un peu exagérément encensé par certains en 2021, la New-Yorkaise Taja Cheek passe un palier avec ce 3e opus particulièrement mélangeur dont la singularité des textures oniriques (on sent que ses collaborations avec Helado Negro ont laissé des traces) et la spiritualité de télescopages faisant la part belle au jazz (Our Funeral), au rock expérimental voire au trip-hop (r(EMOTE) dont les sonorités très deep et aquatiques ne sont pas non plus sans rappeler la Björk d’Homogenic) et à un r’n’b plus proche de l’élégance des belles heures de la nu-soul que de ses rejetons contemporary aux effets ostentatoires et dégoulinants, évoque rien de moins que Meshell Ndegeocello à la grande époque, celle des Comfort Woman, The World Has Made Me The Man Of My Dreams et autre Devil’s Halo (filiation notamment flagrante sur Uncertainty Principle).

Contrebalancée par une approche rythmique intense et acérée (Pet Rock), la dimension rêveuse voire psyché de l’univers de cette native de Brooklyn est enfin transfigurée, et si certains interludes pseudo expérimentaux (All the Days You Remember) façon comptines de bac à sable Ableton (I Hate My Best Friends, Monsoon of Regret) semblent encore superflus bien que participant d’une certaine manière à l’atmosphère quelque peu jetlaguée du disque, la musicienne n’hésite pas en contrepartie à mettre son songwriting à nu sur des chansons à mi-chemin de l’épure et du maximalisme dont l’étrangeté thématique et harmonique n’en ressort que davantage (I Killed Your Dog, ou la folk jazzy mutante et dynamique de 5 to 8 Hours a Day). Ajoutez à cela une poignée de classiques instantanés (Knead Bee, quelque part entre Erykah Badu et Inara George, le sus-nommé Uncertainty Principle, véritable tube en puissance, ou même le final New Year’s UnResolution et son irrésistible techno-pop somatique), et vous tenez l’un des plus beaux disques de "pop moderne" de mémoire récente, expression pour une fois tout sauf galvaudée.