Beck - Modern Guilt
A l’opposé de l’indie pop décérébrée et consensuelle qui s’immisce dans les charts depuis une paire d’année, Modern Guilt marque la quintessence du nouveau Beck, celui de Sea Change et The Information qui a su dépasser son post-modernisme débridé synonyme de reconnaissance critique et de succès indé pour devenir tout simplement un grand songwriter moderne. Et parvenir ici à synthétiser en 33 minutes quasi-parfaites ce que la pop du XXIème siècle a jusqu’ici de meilleur à offrir : 10 chansons épiques et mélodiques, spirituelles et vertigineuses, urgentes et sans fioritures.
1. Orphans (feat. Cat Power)
2. Gamma Ray
3. Chemtrails
4. Modern Guilt
5. Youthless
6. Walls (feat. Cat Power)
7. Replica
8. Soul Of A Man
9. Profanity Prayers
10. Volcano
Trois ans après avoir accueilli Jack White sur un morceau de Guero puis s’être entouré de la crème des remixeurs électro et hip-hop pour Guerolito, Beck s’est de nouveau ouvert à quelques collaborations inédites pour Modern Guilt.
Si la participation de Cat Power, aux backing vocals sur Orphans et Walls, se limite plus ou moins malgré son extrême justesse à de la figuration de luxe, l’apport de Danger Mouse, bien qu’également discret, s’avère autrement capital. Car il fallait au moins le talent d’horloger du metteur en son de Gnarls Barkley pour parvenir à faire entrer les productions extra-terrestres de The Information dans ces miniatures psychédéliques qui permettent à Beck d’approfondir encore davantage cette démarche de synthèse musicale équilibriste entamée avec son chef-d’oeuvre précédent : trouver un compromis parfait entre racines folk et rock’n’roll, écriture pop ancrée dans son époque et sonorités avant-gardistes. Non pas en copiant-collant du Boards Of Canada sur du Rolling Stones comme l’aurait peut-être fait l’auteur d’ Odelay s’il était resté le même aujourd’hui qu’à l’époque. Mais tout simplement en faisant la musique de celui qui a digéré le rock 60’s et l’électro du label Warp, le krautrock et le shoegaze, Serge Gainsbourg et Jean-Claude Vannier, et qui possède le talent nécessaire pour laisser tout ça derrière et inscrire son nom au registre des grands rénovateurs de la pop, de ceux capables d’allier richesse d’inspiration et personnalité, accessibilité et exigence, évidence mélodique et circonvolutions schizophrènes, profondeur sonique abyssale et modèle de concision.
Une forme de pop moderne d’une pureté confinant à la perfection que peu de musiciens peuvent se targuer d’avoir touché du doigt : Stina Nordenstam avec This Is, les Doves de Some Cities, les Earlies avec leur miraculeux premier opus bien parti pour demeurer sans suite à la hauteur, le dernier Ooberman, l’album de The Bird And The Bee et pourquoi pas celui de Caribou l’an dernier, ou The Go ! Team dans un registre quelque peu différent. Et puis Jim Noir évidemment, auquel il manquera seulement d’avoir su épurer son génial Tower Of Love d’une paire de morceaux légèrement en retrait ou donner un peu plus de profondeur de champ à son brillant éponyme sorti en avril dernier. Enfin bref. Laissons donc les rabat-joie et autres durs de la feuille regretter l’époque plus démonstrative de Mellow Gold et Odelay pour savourer dans notre coin les éclaircies acoustiques à coller le frisson du lumineux Orphans d’ouverture, le rockabilly hypnotique du jouissif Gamma Ray (cf. le clip ci-dessous) ou les envolées épiques et libertaires sur fond d’ambient analogique et de basses gainsbouriennes en roue libre du formidable Chemtrails, et vibrer à l’unisson des cuivres et cordes baroques d’un Walls à la beauté invraisemblable qui ménage avec l’appui des choeurs morriconiens de Cat Power un écrin à la hauteur du songwriting à fleur de peau de l’américain.
Car une fois parvenus au terme du merveilleux Volcano, véritable mise à nu métaphysique envoyée dans les mêmes cieux où vogue un certain Cargo Culte par des violons tout en lyrisme retenu, on sait bien que l’Histoire, un jour ou l’autre, finira par nous donner raison.
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