Adam Green ou le génie crétin

Depuis la sortie du formidable Sixes & Seven (lire notre chronique), on pensait que le dandy new-yorkais, leader de la scène anti-folk, avait laissé tomber les blagues scato, les délires douteux, les déguisements de lapin et les déclarations improbables sous influence. Disque plus mature et travaillé, ce cinquième album laissait penser qu’Adam Green avait entamé sa mutation vers l’âge adulte.

Pourtant, on avait toujours l’espoir de retrouver l’esprit joueur et joyeusement stupide de l’ex Moldy Peaches en interview. Malgré tout on était loin d’imaginer que l’on allait saisir au vol un esprit encore plus détraqué et génialement bête qu’auparavant. Dans le cadre de sa tournée automnale qui est passée dans l’hexagone, et en exclusivité, ou presque, Indie Rock Mag vous offre une plongée dans l’esprit du plus grand génie crétin que la terre ait jamais porté.

Indie Rock Mag : Très prolifique, tes albums sont toujours à la limite de ne tenir que sur un seul disque. Stakhanoviste de l’anti-folk, tu sembles pourtant effrayé par la réalisation d’un double-album. C’est le concept en lui-même que tu n’aimes pas ?

Adam Green : Je n’ai jamais voulu faire un double-album, car c’est trop démodé. Le truc branché en ce moment c’est d’être gay et de faire tout ces trucs bisexuels à la con. C’est difficile d’enregistrer au début. Tout est très cher dans un studio et mon groupe ne travaille pas au lance-pierre tu sais. Je dois les faire bosser vraiment dur et leur acheter le dernier truc à la mode. Tu ne comprendras sans doute jamais tout ce qu’il faut pour faire un de ces trucs.

Indie Rock Mag : Sixes & Seven est fantastique. Il est aussi beaucoup plus riche, au niveau des orchestrations, que tes réalisations précédentes. Que ce soit les chœurs de Festival Song ou les cuivres du superbement kitsch Morning After Midnight, on sent qu’il y a eu un véritable travail. Cette volonté affichée, c’est une manière de te détacher progressivement de l’étiquette anti-folk et des Moldy Peaches ?

Adam Green : Merci pour le compliment. Ce qui est vrai c’est que les costumes vont avec la musique et je n’essaie pas de m’éloigner de ça. Je m’habille avec mon costume vraiment moche et ma veste d’aventurier. C’est sexy et ça me donne encore plus envie de danser… Je crois que les gens qui viennent souvent à mes concerts essaient de me ressembler ou au moins d’avoir la même coupe de cheveux que moi. Je coupe moi-même mes cheveux et maintenant je vais ouvrir un salon de coiffure aussi.

Indie Rock Mag : Sixes & Seven est aussi beaucoup plus glamour que tes disques précédents, Friends Of Mine notamment. Tu joues beaucoup de ce côté dandy chic sur ce disque. Adam Green est-il devenu hype, ou simplement un peu plus fréquentable ?

Adam Green : Je suis un dandy comme je te l’expliquais avant… vraiment superbe. J’ai acheté un chapeau rouge qui me fait me sentir comme si j’étais Oscar Wilde. J’ai un ami qui est dandy qui vient d’Inde – il ne ressemble vraiment pas à ce que tu pourrais croire. J’imagine que c’est juste « feindre d’être quelqu’un jusqu’à ce que tu le deviennes »… J’ai toujours été le James Dean juif. James Green. Putain ce que j’aime être un dandy et toutes les drogues qui vont avec. Les gamins me refilent des drogues gratos. Les boissons… sont, hum, backstage. Pourquoi je ne te montrerais pas ça un de ces jours ?

Indie Rock Mag : On sent que tu n’as pas perdu ton légendaire sens de l’humour. Si il y a bien une constante dans ce disque justement c’est l’absurdité des paroles. Plus généralement, tu sembles être l’un des premiers à donner un sens plus secondaire aux paroles au profit de la musique dans le mouvement anti-folk. Considères-tu les paroles comme étant de moins en moins importantes ?

Adam Green : Ouais les paroles c’est pas important. Le plus important c’est d’avoir de longs orgasmes avec plein de sperme qui sort et du plaisir. Et aussi c’est important de prendre plaisir à chanter et sentir les mots… même s’ils ne servent à rien ou je ne sais quoi. Mes paroles sont personnelles dans le sens où je suis le seul à savoir ce qu’elles signifient - mais je m’en bats les couilles tant que je n’ai pas à bosser au McDonalds tu vois ?

Indie Rock Mag : On a vu Mrs. Green chanter en duo avec toi sur le sublime Drowning Head First. On t’avait rarement vu faire ça depuis que tu évolues en solo. Au vu du résultat, on se dit que tu pourrais réitérer cela sur tes prochains disques. C’est agréable de retrouver le duo comme tu le faisais si bien avec les Moldy Peaches ?

Adam Green : Je suis en train de divorcer alors ça me rend triste. Je ne pense pas que je referai un duo avec qui que ce soit à part ces chanteuses gospel, elles sont mortelles. Je les ai chopées à Londres et elles restent debout toute la nuit comme si elles étaient sous amphet’. Elles sont accro à la vitesse. [NdlR : "A need for speed" en VO, Adam joue sur le mot "speed" = amphet’] Je ne prends jamais d’amphétamines, je préfère rester relax. J’aime cette sensation avec la codéine de ne vouloir être nulle part ailleurs qu’ici. Je commence à sortir avec Devendra Banhart. Ça fait du bien de sortir avec un mec, ça me fait me sentir mieux à propos de mon divorce.

Indie Rock Mag : On sent qu’à travers cet album tu as mûri : ta voix est plus assurée et fait parfois penser au Lou Reed de Transformer ou à Julian Casablancas. Il ne reste presque plus de trace de tes anciens disques, et les quelques titres oldschool, je pense notamment à Cannot Get Slicker, sont peut-être les moins bons du disque. Cet album, c’est une sorte de passage à l’âge adulte ?

Adam Green : Le passage à l’âge adulte ? Je pense que c’est faux… ma bite a la même allure que quand j’étais un bébé… Je peux pas baiser c’est vrai. Je ne peux même pas me regarder dans le miroir. Je porte des lunettes de soleil dans ma maison. Ma vision de l’âge adulte c’est juste devenir riche. Je vais devenir plus riche et ensuite donner mon argent à mon ex-femme après le divorce.

Indie Rock Mag : Puisque l’on parlait de Julian Casablancas un peu plus tôt, tu as joué avec les Strokes en première partie de quelques dates de la tournée First Impressions Of Earth. Cet épisode a du être quelque peu décousu. Lors de ton passage à Lyon, tu racontais notamment que tu étais resté bloqué en Belgique et que tu avais fait le trajet jusqu’en France en auto-stop. Est-ce vrai ? Plus globalement, cette expérience est-elle un bon souvenir ?

Adam Green : C’est une histoire marrante, mais ça prend 20 minutes pour la raconter. Julian est un génie, as-tu écouté la version face-B de You Only Live Once [NdlR : I’ll Try Anything Once, version dépouillée de Hearth In A Cage sur First Impressions Of Earth], juste lui et un piano ?… c’est magnifique. Fabrizio [NdlR : Moretti, batteur des Strokes] est un génie aussi – Little Joy est l’un des meilleurs disques de l’année. C’est un putain de bon groupe.

Indie Rock Mag : Quelles sont les conditions qui doivent être réunies pour assister à un très bon concert d’Adam Green ?

Adam Green : Je ne sais pas, je ne suis jamais allé à un de mes putains de concerts.

Indie Rock Mag : La scène semble être un véritable exutoire pour toi. C’est peut-être là où cette énergie juvénile qui te va si bien est restée intacte. C’est réellement le mieux dans une carrière de musicien ? Les disques sont-ils quelquefois prétexte à faire de la scène ?

Adam Green : J’aime jouer live. J’ai l’habitude de me mettre des poches de glace sur mes tibias, putain qu’ils me font mal. Je vais être encore plus trash et vaudeville et me prendre un blouson en cuir maintenant. Il sera en lambeaux à la fin de la tournée. Je fracasse tout dans la vie à part les filles que j’aime bien.

Indie Rock Mag : En concert, tu invites régulièrement des fans à monter sur scène pour chanter ou danser avec toi. On te sent toujours très proche de ton public. C’est fondamental pour toi, n’est-ce pas ?

Adam Green : Quand les gamins montent sur scène je ne sais pas si c’est parce que je le leur demande. C’est juste parce qu’ils savent bien que je m’en fous un peu qu’ils le fassent. Parfois tu as des ennuis avec la salle. Mais la dernière fois j’ai filé une ligne de coke au propriétaire du club et il a fermé sa putain de gueule.

Indie Rock Mag : Durant tes prestations, tu as interprété quelques reprises, Kokoma des Beach Boys, What A Waster des Libertines. Quels sont les critères que tu te fixes pour reprendre un titre ?

Adam Green : C’est quelque chose qui arrive comme ça… ou tu peux me payer un million de dollars. Je ferai une reprise de ta chanson à la con contre un million.

Indie Rock Mag : Quel morceau aimerais-tu reprendre mais ne le fais pas parce que tu estimes que tu t’attaques à un monument, à un chanson trop importante, trop belle, trop difficile à t’approprier ?

Adam Green : Je voudrais faire une reprise des Sebadoh… ça serait marrant je pense car les jeunes n’ont probablement jamais entendu Weed Forestin’ ou Sebadoh III avant.

Indie Rock Mag : Cinq albums à ton actif soit près de 100 morceaux pour 6 ans de carrière solo, c’est impressionnant. Et tu n’as que 27 ans. De plus, à chaque nouvel album, on ressent cette impression que l’écriture ne te pose pas de problème. On a le sentiment que le songwriting coule dans tes veines. Quel est ton secret ? D’où vient cette facilité et ton inspiration ?

Adam Green : Je n’ai pas besoin d’inspiration ou de bouffe. J’ai juste besoin d’un peu de bon temps et d’alcool. Ensuite j’ai besoin de 5 heures pour me concentrer dans un appartement vide. J’ai besoin de couper internet et de ne surtout pas me masturber.

Indie Rock Mag : La fin de l’année approche, et l’heure des bilans avec. Quels sont pour toi les 2-3 meilleurs albums de 2008 et de manière générale, que retiendras-tu de cette année ?

Adam Green : Little Joy, Entrance Prayer Of Death, Devendra Banhart Smokey Rolls Down Thunder Canyon, The Virgins EP, Turner Cody Buds Of May. [NdlR : seul l’album de Little Joy est sorti en 2008...]

Indie Rock Mag : 2009 et Adam Green... ?

Adam Green : Merde, je me déteste et j’espère que je serai en vie d’ici là.


Un grand merci à Adam Green, et à Ikara Boy sans qui cette interview n’aurait pas été possible.


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