Qui du ninja ou de la fourmi...

Anticon abandonné par l’un de ses principaux fondateurs et activistes pour divergence de vues et de valeurs, Ninja Tune au taquet pour fêter ses vingt ans entre un coffret collector bourré d’inédits et un festival en rotation mondiale et en résidence parisienne de mi-septembre à début octobre (avec trois soirées incontournables entre l’Elysée Montmartre et la Machine plus deux intermèdes non moins prometteurs au Centre Pompidou) ... une page serait-elle donc tournée pour deux des labels électro/hip-hop les plus aventureux de ces 15 dernières années ?

Malgré quelques signatures étonnamment pop pour le premier et une tendance à multiplier les best-of pour le second (dernier en date, celui de The Herbaliser qui promet par ailleurs d’être fort bien troussé), ce serait aller un peu vite en besogne et deux sorties sont justement là pour en attester, prouvant une nouvelle fois s’il était besoin que la pop n’a d’autres limites que celles que les virtuoses de l’électronica sont capables de lui fixer en attendant que d’autres les repoussent plus loin encore.

Pour ouvrir les hostilités, on a donc le duo anglais Grasscut dont le premier opus 1 Inch / 1/2 Mile sorti hier navigue entre nappes lyriques, pop foisonnante et IDM à danser sur la tête, petit aperçu en 12 minutes ci-dessous :

Grasscut - ’1 Inch 1/2 Mile’ Album Mini-mix by Ninja Tune & Big Dada

On enchaîne avec le clip de Muppet pour approfondir un peu le paradoxe :

... sans oublier celui de The Door In The Wall car tout n’est pas toujours aussi barré du côté du compositeur/producteur/vocaliste Andrew Phillips et de son bassiste/claviériste Marcus O’Dair :

En bonus pour ceux qui seraient déjà familier de cet univers kaléidoscopique, un remix du morceau précédent par Bibio, folktronicien bucolique d’un autre grand label défricheur qui soufflait lui-même ses 20 bougies l’an dernier, ainsi qu’un inédit, village perdu sur la carte musicale de Grasscut qui se produira par ailleurs au Centre Pompidou le 15 septembre :

De fil en aiguille, parlons-en de cette soirée qui risque de s’avérer fort charmante en la présence d’Andreya Triana (également programmée le 17 en première partie du Cinematic Orchestra, rien de moins) entourée pour l’occasion de son co-auteur Fink et de son producteur Bonobo dont la chanteuse aérienne, découverte il y a quelques années sur le Reset EP de Flying Lotus, avait illuminé le quatrième album en mars dernier, donnant de la voix sur trois morceaux de ce Black Sands à la croisée d’un jazz abstrait, d’une électro lounge et d’un trip-hop acoustique habillé de cuivres cinématiques. Tout ce joli monde se retrouvera fin août sur le premier album de l’anglaise, intitulé Lost Where I Belong et précédé d’un single éponyme renouant avec un certaine idée feutrée et classieuse du R&B d’antan :

... et même d’un second, manifeste de soul moderne qui n’augure que du bon pour la suite :

... respectivement remixés par Flying Lotus - puisque les labels Warp et Ninja Tune n’en finissent plus de se croiser cette année - et par le duo londonien Mount Kimbie qui livrera son premier album le 19 juillet prochain après deux EP prometteurs de dusbtep vaporeux, et passera quant à lui par le Centre Pompidou de Metz le 24 juillet au côté de Matt Elliott et d’Angil & The Hiddentracks (chargés pour ces derniers de créer en direct une bande son à L’Aurore de Murnau).

Mais on a vous gardé le meilleur pour la fin, à savoir le dernier chef-d’oeuvre instrumental de Funki Porcini, petite merveille cinématique aux fascinantes mélodies impressionnistes marquant depuis mai chez Ninja Tune le grand retour du pionnier de l’asbtract et de la drum’n’bass, qui dans un monde parfait et sans ce pseudo trompeur de rappeur mafioso serait considéré à l’égal d’un DJ Shadow comme l’une des pierres angulaires des fusions électro/jazz/hip-hop les plus équilibristes, avec le génial Love, Pussycats & Carwrecks en guise d’ Endtroducing et ce On pas loin derrière avec notamment en ouverture cette formidable relecture du Moon River d’Henry Mancini par un orchestre de baleines sur fond de mélodica et de clavier analogique.


Ainsi, on eut pu croire que le label à la fourmi aurait cette année bien du mal à rivaliser, mettant tous ses espoirs en terme de pop savante dans les mains de deux jeunes pousses tout juste sorties de terre. Et pourtant, après l’EP Weapons de Son Lux qui élevait en février dernier l’exercice du remix et de la variation à des hauteurs insoupçonnées, c’est bien le projet Baths du californien Will Wiesenfeld (notre photo), ex Post-foetus, qui tient aujourd’hui le haut du pavé que vous avez devant les yeux, et ceux qui n’ont pas encore décroché à ce stade avancé seront récompensés de cette superbe découverte qu’est Cerulean, paru aujourd’hui même chez Anticon.

Oui bon, jusque là vous vous dites : c’est gentillet. Une petite pop song glitchy à la voix haut perchée, distillant les conseils amoureux d’un geek empâté de 21 ans. Sauf que voilà, c’était un piège. Parce que ce Stupor ne figure pas sur l’album, aux contraire des deux joyaux que voilà :

Car Cerulean, avec son breakbeat faussement bancal, ses harmonies vocales séraphiques et ses entrelacements d’arrangements électro-acoustiques, est du genre à propulser le songwriting de son auteur dans les plus hautes sphères glitch-pop (glitch-hop ?) plutôt qu’à l’abandonner à sa seule naïveté adulescente, à tel point que la crème des hybridateurs californiens se bouscule déjà au portillon pour remixer le bonhomme, de son mentor Daedelus transformant le minimalisme piano/beats du touchant ♥ en marche funèbre des synthés analogiques jusqu’à un certain DJ Steve Sleeve trafiquant un mash-up des nappes aquatiques sur beats assourdis du superbe Maximalist avec la voix de R Kelly, en passant par Hrishikesh Hirway aka The One AM Radio qui s’entoure d’un choeur féminin pour offrir une dimension lyrique et céleste à l’insaisissable Hall, Asura (à ne pas confondre avec son homonyme ambient le lyonnais Charles Farewell au travail sur un quatrième opus 360 à paraître dans l’année) optant quant à lui pour un dubstep éthéré. En contrepartie, c’est Baths que l’on retrouve en remixeur pour Fol Chen sur leur EP In Ruins offert ici en accompagnement du nouvel album paru aujourd’hui, et pour un certain Shlohmo, dernier né dans la galaxie des beatmakers cosmiques de L.A. issu du collectif Dublab et signé sur le label Friends Of Friends de Daedelus (le monde est petit), dont le nouvel EP Camping devrait faire parler de lui ces prochaines semaines avec notamment un autre remix signé... Asura (comment, si petit que ça ?).

Bon, il semblerait qu’on ait fait le tour, juste à temps pour vous permettre d’écouter Cerulean dans son intégralité via MBV quelques heures avant son retrait du streaming. Après ce sera direction myspace en cas d’affinité pour quelques pépites plus anciennes à redécouvrir.

News - 06.07.2010 par RabbitInYourHeadlights
 


Grasscut - A Lost Village

Le streaming du jour #1278 : Angil And The Hiddentracks - 'Lines EP'

Depuis le temps que l’on suit Mickaël Mottet dans ses pérégrinations, que ce soit avec Del, Dotsy Dot, en son nom propre ou à la tête d’Angil And The Hiddentracks, nous n’éprouvons toujours aucune lassitude à l’idée d’écouter et de défendre ses nouvelles compositions.



Chroniques // 14 mars 2012
Angil and the Hiddentracks

L’album sort aujourd’hui et déjà la presse est unanime : NOW est un chef-d’oeuvre, un disque intelligent et stimulant, à la fois savant et touchant. Mince.