On a rongé 2022 : les meilleurs labels (par Rabbit)

Avec l’explosion d’une nouvelle génération de micro-structures, de moins en moins de labels parviennent véritablement à s’imposer dans mon coeur sur une année entière avec une ligne curieuse, qualitative et suffisamment fournie pour se démarquer. Comme quasiment chaque année depuis une bonne décennie, c’est l’autoproduction qui gagne d’une coudée franche, avec pour repère privilégié un Bandcamp qui résiste bien malgré son rachat et reste droit dans ses bottes en termes de rémunération. Pour autant, la sélection qui suit mérite tous les éloges (parmi bien d’autres structures dont nous relayons les sorties dans ces pages) pour avoir continué à défendre envers et contre tout des artistes et idées de la musique devenus extra-terrestres pour le grand public et même pour une grande partie de la blogosphère prétendûment "indé".




12. ex-aequo : Camembert Électrique & Le Colibri Nécrophile

Je ne vais pas vous faire croire que j’ai tout écouté, encore moins tout aimé cette année parmi la pléthore de sorties de deux des netlabels français les plus productifs et curieux de l’underground expérimental qu’on aime. Mais rien que les compils estampillées Camembert Électrique (celle-ci par exemple, ou celle-là), regroupant un certain nombre des habitués du label venus quant à eux d’un peu partout sur la planète, ou les albums de PIRATE Tapes, Radio End ou Invisible Illusion chez le Colibri, valent leur pesant de cacahuètes.

Highlight : Grosso Gadgetto meets Djane Ki - Crossroad EP (Camembert Électrique - on en reparle dans un bilan à venir)




11. Laaps

Le très conceptuel label breton dont les sorties "s’emboîtent" en quelque sorte, aussi bien musicalement que par le biais de leur visuel, a pris la suite d’Eilean Rec. il y a une paire d’années, en parallèle d’IIKKI qui pousse la beauté du geste jusqu’à associer chaque album à un livre d’art. La ligne esthétique reste peu ou prou identique dans son infinité mouvante : celle d’une ambient électro-acoustique immersive et texturée, qui nous a gratifiés cette année de petits bijoux signés Seabuckthorn, ’t Geruis, Ecovillage ou encore Taylor Deupree (patron du label 12k, évident modèle du genre), les deux premiers le temps d’une infidélité à Lost Tribe Sound dont je vous parle un peu plus bas.

Highlight : Seabuckthorn - Of No Such Place




10. Hand’Solo Records

Le label de Thomas Quinlan n’a jamais fait d’année décevante depuis cette interview il y a plus de 10 ans, et ça n’est pas son cru 2022 qui me fera mentir, avec un nouveau petit bijou du meilleur crew canadien de la voie lactée, j’ai nommé Backurner, probablement sur mon podium hip-hop de l’année bien qu’inférieur aux deux sommets précédents (autant dire que là aussi on va en reparler). Parallèlement, The Dirty Sample a brillé avec deux sorties, en particulier cet album instru basé sur le genre de sampling cinématographique dont est est friand dans ces pages, tandis que Mickey O’Brien livrait un petit classique bariolé à la Ceschi produit par Fresh Kils (Backburner, Ockham’s Blazer).

Highlight : Backburner - Continuum




9. Artoffact

Artoffact, c’est un label canadien de darkwave et de musique industrielle actif depuis plus de 20 ans, d’abord apprécié dans nos pages pour ses passions islandaise (Sólveig Matthildur, Kælan Mikla) mais qui bifurque désormais de plus en plus ouvertement vers le noise rock (Tunic), ou surtout le metal qu’on aime avec notamment les groupes qui nous occupent ici : OvO, KEN mode, Cloud Rat, trois chouchous de l’équipe dont les dernières sorties suffisent amplement cette année à les voir devancer des cadors du genre tels que Profound Lore, The Flenser, Relapse ou Southern Lord. Ça brasse large, du Canada à l’Italie en passant par les US, du sludge au post-hardcore au doom indus au grind, etc, et voilà le label de Toronto devenu en l’espace de quelques années un incontournable du versant le plus atmosphérique et viscéral (voire expérimental) des musiques extrêmes.

Highlight : OvO - Ignoto




8. High Focus

Pas la plus grosse année pour le meilleur label hip-hop britannique de l’époque (d’autant que Jam Baxter a choisi le compère Lee Scott et son Blah Records pour sa dernière sortie), mais chaque album est un petit évènement : si j’ai déjà eu l’occasion de dire tout le bien que le pensais du dernier Ed Scissor, il aurait ainsi fallu en faire de même pour deux albums étrangement passés entre les mailles du filet un peu partout ailleurs : celui de Ramson Badbonez avec ses tubes post-grime épiques et improbables, et surtout l’immense Long Live the Court de CMPND qui lorgne progressivement vers un futurisme urbain et narcotique, quelque part entre Strange U et Jam Baxter justement.

Highlight : Ed Scissor - Post Sleep




7. Lost Tribe Sound

Malgré le report de sortie du prochain William Ryan Fritch, peut-être mon album le plus attendu de l’année qui devient finalement le plus attendu de l’an prochain, le label de Ryan Keane n’a pas démérité, avec notamment les habitués Adrian Copeland (aka Alder & Ash), Aaron Martin (avec la BO d’un docu sur les maladies découlant de notre impact sur la faune et de la maltraitance animale), ’t Geruis et The Phonometrician. Là encore je n’ai pas tout aimé (cf. la pop-folk doucereuse noyée dans la reverb de Wickerbird), mais demeure admiratif de la ligne tenue par le label dans le champ de ces musiques à dominante acoustique, fortement atmosphériques et plus ou moins expérimentales, qui l’ont vu révéler au fil des années des artistes tels que From The Mouth Of The Sun, Seabuckthorn, Cock & Swan ou encore Mute Forest.

Highlight : Adrian Copeland - If This Were My Body




6. Mello Music Group

Alors que l’underground hip-hop ricain brille plus que jamais dans les franges les plus underground de l’autoproduction, le label basé dans l’Arizona a toujours la classe à D̶a̶l̶l̶a̶s̶ Tucson, même avec un nombre limité de sorties cette année et pas seulement pour les amateurs de beaux objets. Les fidèles L’Orange (en producteur pour Marlowe), Apollo Brown (avec Philmore Greene au micro) et surtout Homeboy Sandman ont joliment tenu la boutique, et surprise de dernière minute, le label est allé chercher l’excellent SHIRT délaissé dans nos pages depuis plus de 8 ans, dont j’avais personnellement loupé le précédent opus Pure Beauty en 2018 (à rattraper d’urgence).

Highlight : SHIRT - I Turned Myself Into Myself, nouvel opus absolument parfait dans l’épure compacte et percutante aux approches de production variées qu’on lui connaît.




5. Ici D’Ailleurs

Belle année encore pour ce modèle de longévité de l’indépendance curieuse en France. Entre un Chapelier Fou full orchestral, le retour inattendu et pas décevant ce mois-ci de This Immortal Coil, l’électro-rock en clair-obscur de Miët et le classical ambient de Melaine Dalibert, il y a eu plein de belles choses du côté du label nancéien, des déceptions aussi chez nos héros d’antan (Michel Cloup en tête) mais c’est Mathias Delplanque qui finit de faire pencher la balance avec rien de moins que l’un de mes albums de l’année, sommet d’ambient tribale, mystique et habitée (chronique à suivre tout au bout de cette série de bilans).

Highlight : Mathias Delplanque - Ô Seuil




4. Foolish Records

Même si la petite structure autogérée est avant tout le terrain de jeu d’Arnaud Chatelard, dont la productivité et la régularité dans l’excellence commencent à se rapprocher dangereusement de celles d’Aidan Baker (dont j’aurais très bien pu mentionner le label Broken Spine, finalement), les collaborations du Bordelais sont suffisamment nombreuses, curieuses et variées pour justifier un tel classement, que ce soit pour les métissages électro(post)-rock de Wintermute avec Wolf City dont on reparle plus bas, une electronica aérienne en compagnie de Grosso Gadgetto, les expérimentations atmosphériques en réunion avec les très bons Inhum’Awz, le digital hardcore saturé de 2 Tones avec Batard Tronique, l’abstract-jazz psyché du trio Ben and the Trinity marqué par David Axelrod, l’ambient-rock de Wolfsanity et autres projets contributifs (remixes etc), j’en passe un certain nombre et pas forcément les moins intéressants.

Highlight : Anteraks - Les Yeux Grands Ouverts, une nouvelle dinguerie de drone doomesque et lancinant avec le Roumain Uburgründ, qui là aussi finira très haut dans mon classement des albums.




3. Lotophagus & La Voix dans le Désert

Deux pour le prix d’un, et pour en entendre de toutes les couleurs puisque ces structures affiliées du Français Wolf City font allégrement le grand écart entre deux pans parfois jugés inconciliables de l’underground que l’on défend : ambient/noise et autre musiques expérimentales à forte tendance atmosphérique pour le premier, et hip-hop à dominante instrumentale pour le second. À eux deux, les labels du Cergyssois nous ont offert plus d’une vingtaine se sorties et presque autant de découvertes, de Matthias Villeneuve à Brother Omniscient en passant par Drone Baron (qui a connu son quart d’heure de gloire à l’occasion d’un Bandcamp Daily dans un univers pourtant sombre et tout sauf vendeur, c’est dire la qualité du disque), Lack Jondon ou encore le très évocateur Dans Le Monde Des Variants... sans oublier les habitués de nos colonnes tels que Philippe Neau, NLC, ou plus récemment Wintermute pour un album en codistribution avec notre structure maison, IRM Netlabel.

Highlights : Wintermute - Rubber / Brother Omniscient - Brother Omniscient




2. Thrill Jockey

Quand on est l’indétrônable meilleur label de tout l’étang et que l’on transcende toutes les niches des musiques expérimentales et pointues, il suffit de continuer sur sa lancée de 30 ans et c’est un podium assuré. Le label chicagoan fondé par Bettina Richards fêtait en effet ses trois décennies d’existence cette année, sans nouvel opus de Tortoise malheureusement mais, histoire de marquer l’héritage des origines, avec un très bel album passé quelque peu inaperçu de leur guitariste Doug McCombs, et un autre de leur batteur et producteur John McEntire avec le poulain Sam Prekop (son compère au sein de The Sea and Cake) en mode ambient-techno modulaire. Du sludge (Keiji Haino & Sumac) à l’ambient (Jon Porras) en passant par la noise (Oozing Wound), le metal indus (The Body & OAA, Persher) et la musique électronique (Matmos), difficile de sortir un highlight sans spoiler, ça attendra mon bilan albums détaillé.

Highlight : Matmos ? The Body ? Sumac ?... un tir groupé dans mon top 20 ou pas loin. Allez honneur aux plus anciens, particulièrement bien classés dans ce bilan printemps/été :




1. Mahorka

And the winner is... un label qui nous tient à coeur depuis quelques années maintenant, et impressionne autant pour son ouverture d’esprit démesurée que pour sa constance dans la qualité. Plus de 30 sorties cette année (dont certaines en K7 + digital) pour la structure du Bulgare Ivo Petrov et des coups de coeur à n’en plus finir, partagés là encore entre découvertes de poids (Dolphins of Venice et Takamu, Andrea Marinelli + Demetrio Cecchitelli, Hypnos, Bass&Delayer, Somnoroase Păsărele, Quiet Clapping) et artistes régulièrement défendus dans nos pages (Grosso Gadgetto, SEPL, Andreas Davids - ici avec Sven Phalanx - ou encore Philippe Neau, décidément sur tous les bons coups !). Idem que pour Lotophagus, je n’ai pas encore tout écouté ni même tout ajouté à l’agenda, donc rendez-vous sur Bandcamp pour explorer les sorties du label, que vous aimiez l’indus, la techno expérimentale, l’electronica/dub, les improvisations électro-acoustiques, la noise, le drone, le jazz bruitiste et déstructuré, l’ambient cinématographique, le sampling, les collages sonores et autres joyeusetés intrigantes et immersives, des disques parfois ardus de plus d’une heure mais qui récompensent d’autant mieux l’engagement de l’auditeur !

Highlight : Dolphins of Venice - Mutuals




- Bonus : IRM Netlabel

Au diable la fausse modestie, si j’avais été chauvin, je nous glissais dans le top 5 sans souci ! Blague à part, on se sent quand même un peu seul à pouvoir passer de la free improvisation kraut (PIRATE Tapes) à l’electronica/ambient WARPienne (Valgidrà), de la kosmische-pop rétrofuturiste (Oizak) au harsh noise d’avant-garde (PRISM) ou du dub-rock noisy et ténébreux (Wintermute donc) au hip-hop instrumental cinématographique (Konejo) en l’espace de 7 mois, avec des sorties dont on n’est pas peu fier et qui auraient mérité davantage de retours (mais comment fidéliser autour d’une multitude de niches en 2022 quand on ne s’appelle pas Thrill Jockey ?... la question reste posée).


Articles - 04.12.2022 par RabbitInYourHeadlights
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