La shitlist 2022 de Rabbit - Puisqu’on te dit que c’est bon !

On ne change pas un concept qui gagne : pour entamer ma série de bilans de fin d’année, pas forcément les plus mauvais albums de 2022 (quoi que !) mais le pire de ce que j’ai eu le malheur d’écouter parmi ce que beaucoup (trop) de monde semble avoir l’étrange idée de plébisciter. Une liste garantie 100% sans liens d’écoute.



20. Death Cab for Cutie - Asphalt Meadows

On commence comme il se doit par le moins mauvais bout... un album en pilotage automatique qui lorgne par moments sur le New Order 80s (l’autel en carton-pâte sur lequel viennent systématiquement se recueillir les indés en manque d’inspiration), où rien ne dépasse et dont l’écoute, sans être absolument désagréable, ne laisse aucune trace. Il n’y a pas si longtemps, on espérait encore de Ben Gibbard un nouveau Postal Service, et You’ve Haunted Me All My Life sur l’honnête Kintsugi en 2015 laissait croire à une sensibilité de songwriter intacte... eh ben c’est raté ma bonne dame.


19. Calexico - El Mirador

J’attendais beaucoup - sûrement trop - de ce nouvel opus des Arizoniens après un premier single (et morceau d’ouverture) qui sentait bon le retour à l’époque bénie de Hot Rail et Feast of Wire... caramba, encore raté ! Fallait pas trop rêver, dans la foulée Burns et Convertino (pourtant à la batterie cette année sur ce superbe album signé Doug McCombs de Tortoise) réactivent sans vergogne le Calexico latino-pop dont on n’arrive toujours pas complètement à se détourner malgré dix ans de rétropédalage flirtant de plus en plus ouvertement avec Manu Chao.


18. Florent Marchet - Garden Party

Si l’ADN du storytelling des premiers albums n’a pas tout à fait disparu (cf. le sommet Freddie Mercury), tout sur ce Garden Party est bien trop calibré, dilué dans la FM à coups de kicks moches censés maintenir l’intérêt de l’auditeur de radio mais gâchant lourdement la dimension intimiste du disque, trop plan-plan surtout à commencer par le chant, avec ce sérieux de pacotille parfois risible, ces intonations désespérément solennelles, ces textes qui à l’image des compos ont définitivement perdu le souffle de liberté du fabuleux Rio Baril. La triste confirmation après le décevant Bambi Galaxy (8 ans déjà) que les grandes heures du Français sont derrière lui.


17. A Place To Bury Strangers - See Through You

Auteurs d’un abrasif et plutôt efficace Hologram EP l’an passé, les New-Yorkais, plus inégaux que jamais, embraient sur un album qui superpose mélodies ultra-pop, rythmiques ultra-bourrines et saturations ultra-convenues pour qui est un peu familier sur scène de leur murs de son épileptiques et larsenisants. Un coup pour rien, mais on ne leur en veut pas trop au regard d’une disco plutôt bien fournie en 15 ans.


16. Panda Bear & Sonic Boom - Reset

Doux mais paresseux, inconséquent et un peu chiant, au mieux une pop estivale hédoniste qui s’écoute un peu trop toute seule, à d’autres moments un exercice de style rétro sans grand intérêt et un brin fatigant (Livin’ in the After), dans l’ensemble et au regard d’une assez mauvaise fin de disque (la palme à Everything’s Been Leading To This et à ses ignobles synthés crayola, titre auquel on a forcément envie de répondre "ben alors, tout ça pour ça ?"), un album définitivement indigne de la paire derrière Panda Bear Meets the Grim Reaper mais finalement pas plus mauvais que le dernier Sonic Boom en solo (disque d’une vacuité abyssale, faut-il le rappeler).


15. Huerco S. - Plonk

Pas de nouveau Oneohtrix Point Never cette année, c’est donc à son compatriote Huerco S. que revient la lourde tâche d’incarner toute l’emphase poussive et la pseudo-bizarrerie calculée que doit adopter un musicien ambient ou expérimental pour susciter l’intérêt d’une presse musicale plus malentendante que jamais. Un fan témoigne sur Bandcamp : "The song of a thousand street lamps sings and resonates through your rusted airpods". C’est sûr, à force de t’enfoncer des airpods rouillés dans les écoutilles, bah maintenant tes tympans, ils vont marcher beaucoup moins bien forcément...


14. Black Country, New Road - Ants From Up There

Groupe le plus surcôté de l’époque, Black Country, New Road a décidément plus de savoir-faire que de personnalité. Après un listener’s digest tiédasse de Slint et Tortoise sur l’opus précédent, les Britanniques s’attaquent ici aux Arcade Fire des débuts (un objectif déjà plus accessible) et aux premiers A Silver Mount Zion (là par contre forcément, la comparaison est rude). Un ou deux jolis moments de lyrisme (le single Concorde est probablement la seule vraie réussite du combo à ce jour), des passages aussi prétentieux que poussifs (en début d’album surtout), quelques cuivres jazzy histoire de récupérer un peu le public des tout aussi surestimés Black Midi, du post-rock hystéro-mollasson qui traîne en longueur sur la fin de disque, et l’impression qu’on avait droit dans le genre, circa 2005/2009, à un album bien plus réussi chaque semaine sans qu’on en fasse tout un plat, à tort d’ailleurs parfois, cf. Redjetson, iliketrains, The British Expeditionary Force, Her Name Is Calla et j’en passe.


13. Röyksopp - Profound Mysteries

Hey Röyksopp... pourquoi cet If You Want Me italo-disco absolument dégueulasse de presque 6 minutes (!) avec une Chimène Badi norvégienne au micro, au milieu d’un album pas jojo mais qui avait toujours le mérite d’être relativement écoutable... pourquoi hein ? POURQUOI ?!


12. Animal Collective - Time Skiffs

Les carcasses ambulantes de Baltimore, dont Panda Bear n’est plus très loin d’égaler la médiocrité (cf. quatre places plus haut) perdent du terrain sur leur classement de 2016 avec ce Time Skiffs qui réussit tout de même l’exploit d’être répétitif en dépit de signatures rythmiques inutilement alambiquées (ceci dit, depuis Merriweather Post Pavilion, on commence à avoir l’habitude) et même pas suffisamment accrocheur pour s’avérer clivant. Puissent-ils copyrighter le concept de grandiloquence cotonneuse et vivre de leurs rentes à Honolulu en tapant sur des bambous, inutile de préciser à qui ça fera des vacances.


11. JK Flesh - New Religions Old Rules

Qui aime bien châtie bien, c’est parfois aussi l’adage de la shitlist, je me suis donc permis de placer ce pénible ratage du grand Justin Broadrick (Techno Animal, Jesu, Final et j’en passe), "rouleau-compresseur" binaire et formolé de rave party anachronique qui sonne comme une techno indus 90s parfaitement générique. Heureusement, l’Anglais s’est plutôt bien rattrapé depuis avec son successeur plus downtempo, malsain et texturé, l’excellent Sewer Bait presque digne de ses récents instrus pour Zonal.


10. Author & Punisher - KRÜLLER

Qui aime bien châtie bien - bis. Énorme faute de goût de la part de ce projet pourtant passionnant du Californien Tristan Shone : à trop flirter avec la synth-pop voire le shoegaze versant planant, le metal-indus (plus vraiment) névrotique d’Author & Punisher en devient emo à vomir sur des morceaux tels que Drone Carrying Dread ou cette reprise malvenue du Glory Box de Portishead. N’est pas Jesu qui veut, même en proposant à ses auditeurs un album aux allures de chemin de croix.


9. Peter Doherty & Frédéric Lo - The Fantasy Life Of Poetry And Crime

Non seulement le chant de cette tanche cocaïnée m’est toujours aussi insupportable, mais ça n’est clairement pas cet album qui m’enlèvera de l’idée que Pete Doherty, en plus d’être un gros relou prétentieux, est le songwriter le plus surestimé de sa génération (à sauver, le premier Libertines et c’est tout... merci la fougue de la jeunesse). De prime abord l’emballage est élégant, les arrangements itou, de quoi donner l’illusion un instant qu’on est face à un peu plus qu’à un Jarvis ou un Neil Hannon du pauvre mais sans personne pour habiter les écrins de Frédéric Lo, le résultat n’a évidemment pas le dixième de l’âme d’un Crêvecoeur de Daniel Darc, encore moins d’un Scott Walker 60s et finit par sonner comme une caricature kitsch et datée de pop orchestrale à l’ancienne.


8. Arcade Fire - WE

Une belle purge, emphatique et dégoulinante de lyrisme niais. Le savoir-faire est là mais pas grand chose d’autre malheureusement, autant dire qu’on n’est guère surpris de retrouver l’inénarrable Peter Gabriel au générique de ce condensé d’emo/disco/prog-pop de stade, sans commune mesure avec la classe (à l’)américaine de The Suburbs ou l’intensité des prestations scéniques livrées par la bande à Win Butler (contre qui, pour ne rien arranger, pleuvent les allégations d’agressions sexuelles depuis cet été) à l’époque des deux premiers albums.


7. Father John Misty - Chloë And The Next 20th Century

N’étant déjà pas bien client du melting pot de classic rock et de chamber pop de son Pure Comedy à rallonge, ce Chloë And The Next 20th Century sans mesure ni magie m’a achevé en mode pop jazzy de crooner des années 30 mâtinée d’accents country-folk et orchestrée jusqu’à la nausée, sorte de clone dégénéré de Nilsson dont même la plume semble avoir été trempée dans du miel Leader Price (Funny Girl, Only a Fool... arg). Dommage pour le morceau-titre, qui offre à l’album une jolie conclusion capiteuse dont le soupçon d’audace tombe comme un cheveu sur la soupe, mais l’intensité épurée des disques de J. Tillman et l’évidence mélodique du superbe I Love You, Honeybear semblent bien loin désormais.


6. Madrugada - Chimes At Midnight

J’avoue, Madrugada m’en a toujours un peu touché une sans faire bouger l’autre. Mais il fut un temps où les Norvégiens faisaient de la musique... c’était avant que Sivert Høyem ne se prenne pour le rejeton d’une partie à trois entre les versions 2022 de Bruce Springsteen, Nick Cave et Bono et qu’on ne lui promette une tournée des stades pour ses vieux jours, mais alors à condition qu’il se mette à chanter comme un bouseux et qu’il mixe sa voix très, TRÈS en avant.


5. Fontaines DC - Skinty Fia

En 2004, on se foutait de la gueule de Kasabian parce qu’ils faisaient du sous-Primal Scream. 18 ans plus tard, en écoutant ce sous-Kasabian à qui il manque tout (le son reconnaissable, l’énergie, l’efficacité dancefloor pas trop vulgaire et les incursions électro sans œillères) sauf l’excès de sérieux, et en les voyant célébrés partout par une génération en mal d’icônes rock autant que par des quadras nostalgiques, difficile de ne pas se demander ce qui a bien pu merder...


4. Rosalia - Motomami

On la voit partout chez les papis de la critique musicale en manque de boules latino qui twerkent (en plus ils se permettent d’appeler ça de la "pop alternative"... il n’y a pas à dire, la vieillesse est un naufrage mais après tout, on a les vices qu’on peut), heureusement le phénomène n’a vraiment pris chez nous que sur TikTok. Reste qu’à moins d’avoir la mémoire courte, une mauvaise foi insondable ou des oreilles en contreplaqué, il faudrait ne jamais avoir écouté de musiques populaires espagnoles ou sud-américaines ni vraiment creusé MIA ou Juana Molina (qu’elle vulgarise, mais plutôt au sens "rendre vulgaire") pour trouver un quelconque intérêt à ce catalogue exhaustif et mixé à la truelle de tout ce que les folklores hispanophones peuvent avoir de plus racoleur.


3. Phoenix - Alpha Zulu

Certes, c’est moins mauvais que Ti Amo (moins italien déjà, ça aide). Mais franchement, les gens qui en 2022 ont encore envie d’écouter Phoenix, groupe systématiquement vieux avant l’heure (ce qui n’est forcément péjoratif en parlant du charmant Alphabetical par exemple), qui sont-ils ? Quels sont leurs réseaux ? Auraient-ils trouvé leurs tympans dans un calendrier de l’avent ? Si j’avoue ressentir encore une certaine tendresse à l’égard des premiers opus (jusqu’au sommet Wolfgang Amadeus Phoenix) lorsque je les ressors une fois tous les 36 du mois, je ne me suis pas senti envahi du moindre soupçon d’indulgence en découvrant cet Alpha Zulu à la production FM assez dégueu, qui au mieux perpétue les tics de toujours d’un groupe n’ayant jamais su faire évoluer ses gimmicks d’écriture derrière de multiples identités soniques plus ou moins hédonistes ou désuètes (Tonight, Season 2), au pire les noient sous une couche d’électro néo-80s puante de complaisance envers les tendances actuelles (tout le reste), comme si Phoenix avait tout fait pour gagner une course en sac avec son clone raté Two Door Cinema Club.


2. Taylor Swift - Midnights

Deux questions existentielles : Taylor Swift méritait-elle VRAIMENT d’être prise au sérieux au point de figurer ici ? Et surtout, pourquoi m’infliger ça ? Pour faire court, disons qu’il est bon de se rappeler de temps à autre qu’en tant que mélomanes on vit tous un peu dans une bulle, et que pour le plus gros de la planète c’est bel et bien ce genre de mocheté qui passe pour de la musique de qualité (cf. les Grammy et compagnie). Et que malheureusement, il reste même des gens "de goût" (prétendûment...) pour penser que cet énième étron calibré, surproduit, dénué de toute atmosphère ou personnalité, au chant désinfecté au gel hydroalcoolique et aux mélodies affligeantes de banalité, mérite davantage de respect que l’entertainement assumé d’une Katy Perry par exemple, tout ça parce que la blondinette en plastoc s’y prend exagérément au sérieux, gargarisée de son fantasme de conquérante de l’indie folk, comme s’il suffisait pour ça de s’être payé 2 grammes de crédibilité périmée auprès d’un Aaron Dessner déjà moribond et d’avoir aligné une paire de disques débranchés chiants comme un goûter sans cookies. Comme quoi l’enfilade marketing d’Univers-sale a encore de beaux jours devant elle...


1. Destroyer - Labyrinthitis

Nous nous sommes tant aimés, Dan Bejar. Du temps de Your Blues et Rubies surtout, sommet d’une première période à cheval entre glam rock, art pop et onirisme électro-acoustique, celle où derrière les fûts traînait encore l’excellent Scott Morgan aka Loscil, futur génie de l’ambient. Et même lorsque Kaputt a ressorti saxo 80s, beats hédonistes et autres synthés surannés avec une candeur désarmante à la hauteur de ce songwriting digne des Pet Shop Boys de la grande époque, c’est dire si c’était pas gagné ! Les deux albums suivants, d’ailleurs, étaient encore très bons. Allez, en dépit du balourd Have We Met ouvertement tenté par la vulgarité et où plus rien ne fonctionnait, ni le son ni les chansons, j’y croyais même encore en lançant fébrilement l’écoute de ce Labyrinthitis au titre intrigant. Mais là vraiment c’est niet, kaputt... faut arrêter Danny, c’est caca ce que tu fais. C’est même plus de l’autocaricature à ce stade. C’est quoi ton excuse pour, au hasard, Eat the Wine, Drink the Bread, cette ignoble bouse radio-friendly ? T’as eu le Covid et Danny Boon t’a remplacé au pied levé ? Tu es rentré sur ta planète et Gad Elmaleh a hérité des clés du studio ? Ou c’est une caméra cachée, Rémi Gaillard va débarquer dans mon salon et m’annoncer que 2022 n’a jamais existé ? C’est ça, hein ? Bon sang, dis quelque chose Dan ! Quoi, le titre du disque ?... Ah, Labyrinthitis ?... Wikipédia à la rescousse : "La labyrinthite ... due à une infection ou inflammation de l’oreille interne ... peut affecter une oreille ou les deux ... le patient peut aussi subir une perte d’ouïe et un acouphène." Ah ben voilà t’entraves plus rien, tout s’explique... du coup tu te soignes j’espère ? On te retrouve en pleine forme en 2025 avec des trompettes mariachi et un biniou ?


- Bonus : collectivement, tout le rap et R’n’B mainstream pseudo-qualitatif qui voudrait faire passer sa bouillie racoleuse et aseptisée pour bobos élevés à Jay-Z, aux Neptunes et aux TLC pour du champagne millésimé. On citera en vrac Beyoncé, FKA Twigs, The Weeknd, Kanye bien sûr avec ses dégoulinantes raclures de fond de tiroirs pour lesquelles il n’a même pas été foutu de trouver un titre original), ce clown sirupeux de Chance the Rapper, Drake et sa house caribéenne à gerber des arcs-en-ciel sur le dancefloor (il est pas mort lui ?) et oui, même Kendrick Lamar, cette belle arnaque black lives matter qui a trouvé sa street cred dans une pochette surprise, et re-oui, Pusha T (ça y est, y a prescription ? on a finalement le droit de dire que Clipse était le projet hip-hop le plus surcôté des 00s ?), et re-re-oui, même Earl Sweatshirt dont le paresseux SICK ! n’a pas fait illusion longtemps malgré un featuring décent d’Armand Hammer... j’en passe et probablement de bien pires, faute d’avoir eu l’abnégation d’en écouter davantage.

Allez, ça, c’est fait... rendez-vous dans quelques jours pour le coup d’envoi des bilans, les vrais !