Dire qu l’on espérait ce projet depuis longtemps serait un euphémisme. Ce qui n’empêche pas la surprise : cet album, nous l’imaginions porté par Strangelove - trio qui s’était déjà séparé d’un membre avant son concert au Sulfure Festival 2019 mais nous avait tout de même gratifiés à l’époque, avec 4 ans d’avance, de ce superbe Boi ! - et pas par le seul Josh Grey-Jung, MC et producteur londonien qui retrouve néanmoins son compère Jack Miguel le temps de cette ode rétrofuturiste et douloureuse aux traumas de l’enfance n’ayant rien à envier aux plus belles réussites d’Ed Scissor & Lamplighter, en plus incandescent.

Jung, donc, après plusieurs courts-formats livrés avec Strangelove sous le pseudo Chango et chroniqués dans nos pages (l’EP1, l’EP2 ou encore l’inaugural Purple EP) vole ici de ses propres ailes et le résultat est à la hauteur de nos espérances, à mi-chemin de l’épure particulièrement atmosphérique de ce projet post-rap en apesanteur dont on n’avait plus de nouvelles discographiques depuis 5 ans (cf. l’étrange Pan avec son spoken word pitché dans tous les sens et sa production vouée à nous désorienter, ou le stratosphérique et troublant Stuck avec un certain Alvarezz en guest, probablement le titre le plus Strangelovien du disque, du moins le plus proche ici de leur hip-hop minimaliste et aérien des origines), et d’une approche plus pop quoique tout aussi aventureuse qui n’est pas sans évoquer certains ovnis des grandes heures d’Anticon et Lex Records, à commencer par ceux d’Andrew Broder (Fog) et en particulier son duo Hymie’s Basement avec Yoni Wolf de Why ? (le très folky/lofi Sedimented, ou le rebondissant Silence). Il faut en effet remonter à ce petit bijou sorti il y a tout juste 20 ans pour retrouver ce genre de métissages entre songwriting introspectif et surréaliste, bricolages synthétiques aux textures très deep et magnétiques parfois proches de l’electronica (le choix de faire appel au grand Rashad Becker pour mastériser ce premier LP est en ce sens tout sauf anodin) et ambient lynchienne (Choices), dont Under est un parfait exemple.

À des morceaux expérimentaux et déstructurés mais capables d’une tension absolument épique, construits sur des beats atypiques, des samples de voix et de respirations et autres motifs électroniques abstraits (le polyrythmique GDP), répondent des titres plus délicats et intimistes, à l’image du bien-nommé Inside, du brumeux For tout en nappes oniriques ou encore du final Return avec ses échos mélodiques de piano mélancolique et déglingué, et c’est comme l’évoquent les liner notes toute la pluralité de sa personnalité et de se émotions que parvient à mettre en musique le Britannique en moins de 35 minutes tantôt chantées, instrumentales ou rappées, avec l’économie de moyens et le sens du contraste qu’on lui connaît. Magnifique !