Interview : Dans les coulisses du Festival Nevers A Vif.

21 ans !!! C’est l’âge du festival que nous allons vous présenter ici. Peut-être ne le connaissez-vous pas ? Il faut dire que le Festival Nevers A Vif, contrairement à d’autres, mène son petit bonhomme de chemin (trop) discrètement. Et si le Mag Indie Rock a souhaité mettre les projecteurs sur lui, c’est qu’il aligne tous les ans une affiche des plus alléchantes. Il était donc légitime de mieux connaître les personnes qui en sont les acteurs, qui tirent les ficelles toujours dans l’ombre. Mais n’est-ce pas toujours le cas quand on a affaire à de véritables passionnés ?
Rencontre avec les deux protagonistes, Jean-Michel Marchand et Jean-Louis Garo, qui vous donnent rendez-vous du 1er au 4 novembre prochain à Nevers (Nièvre).

Le Mag Indie Rock : Première question classique. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ainsi que le parcours qui vous a amenés à devenir programmateurs du Festival Nevers A Vif ?

Jean-Michel Marchand : Je suis tombé tout petit dans la grande marmite du rock’n roll. Je devais avoir 5 ans quand j’ai entendu les Rolling Stones la première fois. Une révélation ! Mes grands frères et mes grandes soeurs, principalement - qui avaient entre 13 et 20 ans quand j’en avais 5 - ont joué un rôle dans mon éducation musicale. Mais c’est surtout grâce la radio et des gens comme Jean-Bernard Hebey, Michel Lancelot puis Bernard Lenoir, grâce aux rares mais précieuses et désormais révolues vraies émissions télévisées (Pop 2, Chorus, Megahertz...) et à une presse spécialisée bien plus objective que de nos jours. Il y avait Extra, Best et Rock n Folk ... j’ai acheté mon premier numéro en...septembre 1973, quand mes copains d’alors se ruaient sur Pif, Rahan et les Carambars. Bref, voilà comment je me suis forgé ma culture en matière de rock. Ensuite, après avoir "gratouillé" au lycée Jules Renard de Nevers, j’ai animé des émissions sur différentes radios neversoises. C’est comme ça qu’avec un pote (Thierry Bollon), on a décidé de promouvoir les concerts qu’on allait organiser ça et là. On était en 1986. On a fondé une association, La Vie en Rock (bien avant la rubrique de Rock n Folk, au passage, on attend les droits.... rires). La première fois, c’était avec Fixed Up (combo mythique du Havre, managé par Stéphane Saunier) sur une péniche. Puis, toujours sur cette péniche, on a co-organisé un mini-festival avec notamment Los Carayos (le groupe de Manu Chao, François Hadji-Lazaro, Schultz...) et Shredded Ermines (les gloires locales du moment).
Ensuite, l’hiver venu, on a organisé dans les bars. C’était l’époque du rock dit "alternatif", mais nous avions aussi un faible pour le rock indé tendance garage, style Kid Pharaon, Real Cool Killers, Chihuahua... Les concerts marchaient bien, il y avait une belle effervescence et une certaine émulation s’est créée. On a ainsi vu naître des groupes à Nevers comme les Shred’s mais aussi les Tambours du Bronx. Et le festival s’est très vite imposé comme une nécessité naturelle. Il est né de la rencontre entre les membres de La Vie en Rock et de deux animateurs-directeurs de maisons de quartiers, Catherine Porte (qui a vraiment boosté l’équipe) et Jean-Louis Garo. En avril 1987, le premier Nevers à Vif rassemblait une dizaine de groupes dont Parabellum. En juin 1988, La Mano Negra donnait ici l’un de ses tout premiers concerts... au côté des Thugs, Wiko Johnson, les Shériff, New Christs (avec Rob Younger de Radio Birdman !)...

Jean-Louis Garo : Je ne suis pas le programmateur, mais je fais tout le reste depuis la 1ère édition.

Créer un Festival rock au coeur de la France était un réel défi à l’époque. Comment est née cette aventure ?

J.L. : L’aventure est née de la conjonction de plusieurs énergies (comme souvent). Je dirige une structure à Nevers qui s’appelle la Maison des Montôts. Lorsque j’y suis arrivé en 1979, j’ai trouvé qu’elle possédait une salle intéressante. D’autre part, j’étais moi-même musicien et chanteur dans un groupe. J’ai donc commencé à programmer des concerts sur Nevers (ce qui ne se faisait jamais). Ces concerts ont créé une émulation au niveau des jeunes créateurs neversois et environs. Parallèlement, une radio Locale (Radio 58) s’intéressait de près aux musiques actuelles (de l’époque). Ils créent une association (La Vie en Rock) et organisent des concerts dans les bars. Au milieu des années 80, nous décidons de nous associer pour organiser un festival. Nevers à Vif naît en 1987 dans la dynamique de l’époque (rock alternatif, mouvement « garage »…). Depuis, il n’a pas cessé d’exister avec des hauts et des bas mais toujours avec le même binôme (moi-même à l’organisation et Jean Michel à la programmation).

Cette année, le festival souffle sa 21ème bougie. Quelles sont pour vous les clés de cette longévité ?

J.M. : Une gestion "serrée" et des efforts de chaque instant faisant appel au système D pour limiter les frais. Et puis surtout, la grande part du bénévolat dans le festival. C’est aussi peut-être l’éclectisme de la programmation et une politique de tarifs abordables.

J.L. : 21e édition effectivement. Lorsque nous avons démarré la manifestation, beaucoup de festivals existaient en France. Beaucoup (la grande majorité) ont disparu depuis. Nous avons continué pour une raison simple. Nous nous sommes constamment adaptés aux évolutions des époques successives. Aussi bien en terme d’organisation que de programmation. Nevers à Vif a connu des organisations très différentes que nous essayions d’adapter en fonction des évaluations des précédents. D’autre part, le « noyau dur » du festival est composé de bénévoles impliqués et soudés. Enfin, une gestion rigoureuse a toujours été de mise ce qui n’était pas toujours le cas pour certaines autres manifestations. Tout ceci fait que nous en sommes aujourd’hui à la 21e.

Financièrement, un festival comme celui-ci est-il sans risque pour les organisateurs ?

J.M. : Non, loin s’en faut. Car les mentalités évoluent. La curiosité du public a fait place, hélas, à une sorte de passivité ou d’exigence difficile à satisfaire. Face au déferlement de l’offre actuelle en matière de musiques, le public a de quoi s’y perdre. Du coup, il attend parfois de nous des choses impossibles, ce que la pollution de certains médias tente de leur enfoncer dans le crâne, de façon plus ou moins pernicieuse. Quand en plus, d’un autre côté, les régions et départements riches - ce qui n’est pas du tout le cas de la Nièvre - soignent leur électorat jeune en leur offrant des festivals aux budgets éloquents, l’offre des groupes, ou plutôt de leurs tourneurs, devient quasi impossible à suivre pour de petits festivals comme le nôtre. Heureusement, certains - de moins en moins hélas - comprennent notre situation et s’adaptent en conséquence.

J.L. : Bien sûr qu’un festival comme cela comporte des risques et là, nous sommes dans mon domaine de prédilection. Mon rôle est justement de faire en sorte que ces risques soient calculés car la seule association qui peut « perdre des plumes » est celle que je dirige (la Maison des Montôts en tant qu’organisatrice unique administrativement). Le seul individu qui prend des risques professionnels, c’est moi également. Alors, dans ces conditions, je suis le chieur de service qui met une rigueur de chaque instant. D’autre part, les musiques actuelles ne sont pas porteuses au niveau des partenaires publics et privés. Existent encore de nombreux clichés qui ont la vie dure. A partir de là, nous n’avons pas des budgets suffisants pour réaliser ce que nous voudrions. Nous prenons donc des risques constants depuis 21 éditions, c’est stressant mais c’est comme ça !

Comment s’effectue la programmation du Festival, notamment le choix des artistes ?

J.L. : Le choix des artistes est effectué par Jean Michel mais avec une concertation tout au long de l’année avec d’autres partenaires (les boites de prod, les jeunes neversois via la radio Bac FM, certains groupes locaux etc…). Mon rôle est de constamment harceler Jean Michel pour qu’il comprenne bien qu’on ne peut faire survivre un festival aujourd’hui sans un minimum de concessions à la notoriété. Notre public est composé à 80% par des jeunes de 16 à 20 ans. Chacun sait aujourd’hui que ce type de public est « gavé » par les différents moyens d’accès à la culture (internet en est le principal). Ils sont donc « zappeurs » et demandent au moins une pointure par soirée sur un festival. Même si nous devons conserver notre intégrité et notre spécificité qui est avant tout la qualité, nous ne pouvons pas ne pas nous plier à « la pointure ».

J.M. : J’assume totalement ce choix. Les bonnes surprises, comme les moins bonnes. Mais je fonctionne avant tout avec le coeur tout en essayant d’équilibrer les grands axes qui ont fait Nevers à Vif depuis 20 ans. Ce panachage de rock énervé, de pop subtile et de suivi-soutien des groupes du cru. Sans pour autant négliger certaines attentes du public jeune, quand elles correspondent à nos moyens et à notre éthique... Avec évidemment, toujours ce souci d’anticiper sur les groupes en devenir. C’est l’une des grandes excitations du programmateur...

Versari, The Sleeping Years, La Maison Tellier, voilà des groupes qu’on adore mais dont la notoriété n’est pas encore à la hauteur de leur talent. Qui a le nez fin dans l’équipe et comment déniche-t-il tous ces talents ?

J.L. : C’est Jean Michel qui a le nez fin. Il voit beaucoup de concerts dans l’année, il se tient constamment informé des nouveautés (malgré son grand âge) et fonctionne beaucoup au « coup de cœur ».

J.M. : J’aime la musique. J’aime LES musiques. Pour mon plaisir personnel. J’en ai besoin. Pour le festival, c’est une suite logique... Je passe énormément de temps, toute l’année, à éplucher les demandes que je reçois, mais aussi la presse et les sites des groupes. Et aussi souvent que possible, je vais me faire une idée en concert. Il y a également l’aspect relationnel et l’approche des artistes qui entre en ligne de compte. J’aimais, par exemple, beaucoup les Hurleurs - nos Tindersticks français - et les Catchers, groupes respectifs de Jean-Charles Versari et Dale Grundle (aka The Sleeping Years). Du coup, j’ai suivi leur trajectoire d’après-groupes. Et Jean-Charles est venu jouer l’an passé avec Joseph d’Anvers. On a pris rendez-vous pour cette année. Pour The Sleeping Years, j’ai sollicité Sean (Talitres Records) qui m’a permis de le faire venir. Pour ce qui est de La Maison Tellier, j’ai vraiment aimé leur maquette et j’ai définitivement craqué en allant les voir en concert.

Comment organisez-vous les plateaux ? Comment les artistes partagent-ils les mêmes soirées ? Y-a-t-il des contraintes que vous respectez ou que l’on vous demande de respecter ?

J.M. : J’essaie de donner une certaine cohérence, tout en évitant les associations trop évidentes car je trouve parfois pénible ou en tous cas restrictif de monter des plateaux "à thème". Je suis pour l’ouverture d’esprit... et pour celle des oreilles. Après, il y a parfois effectivement des contraintes matérielles ou artistiques à prendre en compte.

J.L. : Les plateaux essaient d’être équilibrés mais pas forcément « mono style ». Nous avons déjà essayé d’organiser des plateaux avec une uniformité au niveau des styles musicaux. Dans une petite ville comme Nevers, les « chapelles » ne sont pas suffisamment importantes pour fonctionner comme cela. Donc, la plupart de nos plateaux sont panachés et font se côtoyer des styles très différents et ça, ça fonctionne bien.

Sur quel(s) artiste(s) allez-vous avoir une oreille plus attentive cette année ?

J.L. : Cette année, c’est Windmill

J.M. : Sur tous... mais Windmill est vraiment l’un des mes gros coups de coeur de l’année. J’aurai aussi un regard ému je pense sur la prestation de The Absence, parce que je connais bien le groupe et que c’est pour eux un retour -éphémère - au pays. J’attends beaucoup des concerts de The Sleeping Years, Versari, Hushpuppies (le nouvel album est très fort !) et This is the Kit.

Qui n’avez-vous pas pu programmer cette année, et pourquoi ?

J.L. : Beaucoup de monde. Aujourd’hui, certains artistes sélectionnent les endroits où ils passent. Ils préfèrent faire 5 gros coups que 20 moyens… c’est comme ça. Sinon, on n’a pas pu avoir Noir Désir….c’est dommage !

J.M. : Si l’on excepte les raisons budgétaires - car elles constituent souvent un handicap rédhibitoire - j’aurais vraiment aimé proposer Anna Ternheim, The Besnard Lakes, Wax Taylor et surtout Band of Horses. Mais cela ne s’est pas fait pour des raisons de plannings.

Des éditions précédentes, quels artistes vous ont laissé un souvenir impérissable ?

J.M. : Ouh la la ! Il y en a quelques-uns, mais si je devais en extraire une poignée, je citerais à coup sûr 22 Pistepirkko, dEUS et les Thugs. Ensuite, j’ai eu de très grands frissons avec 16 Horsepower, Fixed Up, The BellRays, Asian Dub Foundation, Sophie Moleta, Zita Swoon, Minor Majority, Tokyo Sex Destruction.... et tant d’autres.

J.L. : Mano Negra bien sûr au tout début mais aussi des groupes comme Young Gods, Miossec, Asian Dub Foudation, 22 Pistepirkko, Zita Swoon….et plein d’autres encore dont les Tambours du Bronx qui sont nés à la Maison des Montôts par Nevers à Vif.

Quel est votre plus beau souvenir en tant qu’organisateurs du Festival ?

J.L. : Il y en a beaucoup, mais je crois que le concert d’Asian Dub Foundation au Café Charbon a été un très grand moment pour moi.

J.M. : De voir toute une salle faire une dizaine de rappels aux Finlandais 22 Pistepirkko. C’était en en 1993. Depuis, le groupe est revenu deux fois, avec quasiment le même succès. On les fera revenir...

Quel serait l’artiste que vous aimeriez faire venir au Festival ?

J.M. : Leonard Cohen. Ou Bob Dylan. Ou les deux !

J.L. : No comment là-dessus (ça porte malheur !)

Comment aimeriez-vous voir évoluer le Festival Nevers A Vif dans les prochaines années ?

J.L. : Avec un réel partenariat institutionnel (de type conventionnement) qui pérennise et renforce l’action. D’autre part, un festival peut être plus décentralisé sur le département entier.

J.M. : Continuer d’exister avec la même philosophie tout en étant un peu mieux reconnu et mieux soutenu, sans pour autant perdre son âme.

Collectivités locales et autres mécènes sont-ils plus enclin à Nevers qu’ailleurs pour l’organisation de telles manifestations ?

J.M. : Hélas non, mais je ne leur jette pas la pierre. Cela correspond aussi en grande partie aux réalités du terrain et à la diversité de l’offre en matière de culture. Nous ne sommes pas les seuls...

J.L. : Les collectivités locales sont partenaires mais ont tendance (comme dans beaucoup d’endroits) à saupoudrer des subventions pour contenter tout le monde sans contenter personne. C’est pourquoi un véritable conventionnement avec des objectifs précis serait une solution pas mal.

Hors festival, la vie à Nevers est-elle rock’n roll ?

J.L. : Nevers à Vif a donné naissance au Café Charbon Café Charbon qui programme toute l’année à ce niveau. Je pense qui si l’on compare à des villes d’importance égale, nous sommes très bien lotis à Nevers sur les musiques actuelles.

J.M. : Grâce au Café Charbon, il y a une activité rock régulière. Donc, c’est plutôt bien, comparé à d’autres villes de même taille.

En guise de conclusion, cette édition 2007, comment la présenteriez-vous, histoire de montrer aux éventuels récalcitrants ce qu’ils vont rater en ne venant pas à Nevers ce début novembre ?

J.L. : Si l’on a réussit à arriver à une 21e édition de Nevers à Vif, cela prouve bien que ce festival ne peut pas être complètement mauvais, non ? Alors comme d’habitude, une programmation béton, une ambiance très très agréable et pas de prises de têtes. Ne pas venir à Nevers à Vif est une erreur dans un cursus personnel.

J.M. : Que la musique, ça se vit, ça se découvre. C’est parfois comme une comète ou une éclipse. Ce sont des instants rares et magiques...

Liens :
- Le programme du Festival
- Site officiel : www.nevers-a-vif.org
- Site MySpace : www.myspace.com/neversavif


Interviews - 26.10.2007 par indie, JohnSteed