Promenade à l’anglaise en compagnie de Mathieu Persan

"No need to have a record label if I have you !" C’est avec ce slogan que Mathieu Persan vous accueille sur son site internet. Et il résume assez bien l’histoire de ce charmant conteur qui vient de terminer l’enregistrement de son "premier" véritable album. Une réussite, dont le charme indéniable saura, on le souhaite, lui ouvrir les portes d’une reconnaissance déjà bien méritée.

Comment peut-on présenter Mathieu Persan ? Comment es-tu venu à la musique, à moins que ce soit la musique qui soit venue à toi ?

J’ai commencé la musique vers 11 ans en prenant des cours de violon au conservatoire. Avec le recul (ou l’âge...), je ne me souviens plus vraiment du pourquoi de ce choix ! J’ai continué jusqu’à 16 ans, âge auquel j’ai abandonné les cours de violon pour me consacrer à la guitare en autodidacte. J’ai appris quelques chansons de l’époque (c’était la grande époque de l’ Unplugged de Nirvana) et très vite, j’ai eu envie de faire mes propres chansons. Au début juste pour m’amuser. Ça ne ressemblait pas à grand chose mais le plaisir de composer était déjà là. Et puis j’ai découvert Neil Hannon et sa Divine Comedy qui m’ont vraiment touchés. D’une part parce qu’il faisait tout tout seul, et d’autre part parce que se sa musique m’émouvait. Suite à cette découverte, j’ai eu envie d’essayer moi aussi de créer de belles chansons. Curieusement, je ne me préoccupais pas vraiment de l’esthétique dans mes compositions antérieures...
Depuis ce jour, je n’ai jamais fini de chanson dans laquelle je ne trouvais pas quelque chose d’original qui me touchait. Qu’il s’agisse de l’harmonie, de la mélodie, des arrangements ou des paroles. J’ai toujours essayé de m’émouvoir moi-même comme de nombreuses chansons m’ont ému. Même si l’air du temps est plus à l’énergie brute, à l’immédiateté, ce n’est pas vraiment dans mon tempérament ; j’ai toujours été plus Beatles que Stones et plus McCartney que Lennon ! Mon rapport à la musique est donc un rapport d’émotion et d’esthétique.

Après un premier album autoproduit en 2004, Does It Make You Feel Sad ?, tu présentes There’s A Monster In Every Head comme ton premier véritable album. Pourquoi ? Est-ce l’envie d’un nouveau départ ?

Does It Make You Feel Sad ? avait été fait avec des moyens très modestes. J’avais été voir ma banque et j’avais contracté un prêt en vue d’acheter du matériel pour enregistrer correctement (pour faire plus sérieux, j’avais dit que je voulais acheter une voiture...). Il s’en est suivi beaucoup de travail tant au niveau composition qu’au niveau technique : j’ai dû apprendre tout seul comment faire une prise de son, comment faire un mix qui ressemble à quelque chose... Au final, j’ai mis un an à créer de toutes pièces Does It Make You Feel Sad ? en y travaillant le soir après le boulot, le week-end et les vacances. Même si j’étais satisfait lorsque je l’ai fini (j’ai un peu changé d’avis depuis...), j’ai toujours regretté de ne pas avoir pu faire certaines choses par manque de moyens et de compétences. Ma musique est assez ambitieuse avec beaucoup d’arrangements, et cela supporte mal une production un peu faible.
Pour There’s A Monster In Every Head, j’avais déjà bien progressé techniquement sur l’enregistrement, et j’ai donc continué à enregistrer beaucoup chez moi. Mais cette fois-ci comme j’avais un label, j’ai pu aller en studio enregistrer des batteries en analogique et confier les mixages à des gens dont c’est le métier et qui étaient proches de mon univers. C’est donc le premier album que j’ai fait qui ne me laisse pas avec des regrets dûs au manque de moyens et à mes limitations techniques.

Suite à la fermeture de ton label, tu te retrouves un peu à la case « départ » avec cet album. Tu fais toi-même les démarches promotionnelles, les fonctions de représentant commercial... A l’heure où certains artistes souhaitent se libérer des maisons de disques, vendre directement leur album aux fans, toi, ton souhait le plus cher est d’en avoir une. Ne penses-tu pas qu’il y a tout un système à repenser ?

En réalité, je ne cours pas après une maison de disques mais après un distributeur. Ce dont je souffre le plus aujourd’hui n’est pas tant de ne pas pouvoir produire ma musique aussi bien que je le voudrais (retourner en studio pour le prochain album et payer les ingés son coûte cher et je n’en ai pas les moyens), mais d’avoir produit un disque dont je suis fier et de ne pas pouvoir le faire connaitre aux gens à qui il pourrait plaire, faute de promotion et de distribution. Il est vrai que la distribution sur le web est une opportunité pour les petits artistes comme moi mais il ne faut pas se voiler la face non plus : qui va aller sur mon site si aucune promo n’a été faite ? Et qui va accepter de faire de la promo pour un disque qui n’est pas disponible dans les bacs ?
On peut faire le meilleur disque du monde, si personne n’est au courant qu’il existe, personne ne l’écoutera. Au point où j’en suis, je suis comme noyé dans l’océan internet et seules quelques personnes échouent sur les rivages de mon site. Alors lorsque tu parles de vendre des albums directement aux fans, je trouve ça bien dans le principe mais un brin utopique pour les artistes qui débutent. Il ne faut pas oublier que l’immense majorité des artistes qui font ça avec succès le doivent le plus souvent à des investissements assez lourds en terme de promotion (Radiohead n’aurait sans doute pas pu se permettre de faire son opération gratuite si auparavant ils n’avaient pas bénéficié de l’immense promo orchestrée par leur maison de disques sur leurs albums précédents).

Après il reste le problème de la production. Même s’il est de plus en plus facile de produire de la musique de bonne qualité sonore "à la maison", on ne remplacera jamais le savoir-faire d’un bon ingénieur du son et l’utilisation de bon matériel. A mon niveau, pour faire un album comme je le souhaite, tous frais confondus, il me faut 10.000 euros. C’est une somme qui peut te paraitre colossale, mais c’est infime par rapport au coût moyen d’un disque même pour un petit label. Reste que 10.000 euros, je ne peux pas les sortir de ma poche tout seul ! C’est pourquoi un label est important.
L’alternative à cela et que j’ai essayé de développer sur mon site est de rendre les auditeurs producteurs du prochain album par un système de don. Mais c’est toujours le même problème : il faut encore que les gens prennent connaissance de ce que je fais...

Certains morceaux présents sur ton « premier » album ont l’honneur de se retrouver sur There’s A Monster In Every Head. Je pense à You vs. You, End, Empathy, par exemple. Comment ont-ils pû pu se faire une place sur ce nouvel opus ?

J’étais très attaché à ces chansons et je souffrais de ne pas avoir pu les faire telles que je les entendais dans ma tête faute de moyens. Lorsque j’ai pu aller en studio, je ne pouvais pas les laisser tomber et j’ai décidé d’en refaire certaines en entier. Et puis ces chansons s’accordaient assez bien avec les nouvelles. En outre, à l’époque j’avais un label, le disque devait sortir et je tenais à faire connaître ces chansons à ceux qui n’avaient pas entendu parler de l’autoproduit précédent.

Pour mixer ton album, tu as fait appel à Stéphane "Alf" Briat, connu pour son travail aux côtés de Air, Sébastien Tellier, Phoenix, Avril, Overhead, Autour de Lucie ou encore AS Dragon. Comment s’est passée cette collaboration ? Qu’a-t-il apporté à ta musique ?

En fait, il ne s’est pas vraiment agi d’une collaboration. Compte tenu de l’expérience de Alf et du temps que j’avais passé sur les chansons, j’ai préféré lui donner les chansons pour mixage sans lui donner aucune directive. Il avait juste un mix grossier que j’avais fait. J’ai n’ai donc pas assisté au mix et l’ai laissé lui lui-même faire au mieux. Il avait plus de recul que moi pour savoir ce qui était bon pour les chansons.

Au début, j’ai été un peu décontenancé a à l’écoute de son travail : il avait mis en avant certaines parties que j’avais plus ou moins cachées et éliminé des éléments qui avaient initialement une place prépondérante. Ça restait toujours mes chansons, telles que je les avais composées, mais avec une interprétation légèrement différente. Avec le recul je me dis que cette démarche a été la bonne et je suis vraiment satisfait du travail de Alf. Je me rends compte que même si c’est difficile de de laisser beaucoup de liberté au mixeur, c’est quelque chose qui sert les chansons, pour peu que cette personne les comprenne. Alf a compris tout de suite les chansons et a trouvé les meilleurs moyens de les servir sans la timidité dont j’aurais pu faire preuve si j’avais été à sa place.

Sinon, il ne faut pas oublier que tous les titres n’ont pas été mixés par Alf. J’avais fait le choix (risqué) de faire appel à des ingénieurs différents et de leur donner les chansons selon leur sensibilité. J’ai eu la chance de travaillé avec Alf, Denis Cazajeux et Yann Arnaud. Tous ont été très enthousiastes et ont fait un travail extraordinaire. J’espère que j’aurais l’occasion de retravailler dans ces conditions pour le prochain album.

En découvrant There’s A Monster In Every Head, ton songwriting en apparence apaisé mais tourmenté de l’intérieur fait immédiatement penser à celui du Regeneration de The Divine Comedy, un album à part dans la discographie de Neil Hannon. Est-ce pour toi ce qu’on pourrait appeler un disque de chevet ? Plus largement, y a-t-il des albums qui ne te quittent jamais et si oui quels sont-ils ?

Curieusement, Regeneration est peut être une des disques de Divine Comedy que j’apprécie le moins ! En revanche, j’en apprécie beaucoup la production. C’est souvent le cas avec les disques produits par Nigel Godrich : on entend presque autant la production que les chansons en elles-mêmes. Avec certains artistes ça fonctionne à merveille car on ressent une véritable alchimie entre les musiciens et le producteur (Beck, Radiohead), mais avec d’autres, je trouve que ça ne fonctionne pas tant que ça. La musique de Divine Comedy est tellement travaillée que je trouve qu’une production plus neutre lui sied bien mieux. Cela dit, je pense aussi que ce disque aura été salvateur pour Neil Hannon à un moment où il ne savait visiblement plus quoi faire après s’être un peu enlisé dans des disques de plus en plus chargés ( Fin De Siècle ). Je préfère de loin les trois premiers albums qui sont à mon sens les meilleurs de Divine Comedy avec un faible plus prononcé pour Casanova qui lui est un vrai disque de chevet.
Pour parler des autres artistes, il y a bien sûr les Beatles et plus particulièrement Abbey Road , le Double Blanc et Sergent Pepper . Ou encore Eliott Smith pour XO et Figure 8 , Andrew Bird pour Weather System et The Mysterious Production Of Eggs ... La liste est longue !

Est-ce que c’est parce que ta musique sonne très anglo-saxonne que tu as décidé de chanter dans la langue de Shakespeare ? Ou y a-t-il une autre raison d’avoir écarté le français ?

C’est exactement ça ! En fait, je n’ai presque jamais écouté de chanson française. Chanter en anglais a toujours été le plus naturel. Il n’y a pas d’autre raison.

Par quoi ton écriture est-elle inspirée ?

C’est une question difficile ! A dire vrai, je ne sais pas vraiment. Je ne saurais pas vraiment dire comment les chansons viennent. Les premiers accords, les premières notes de la mélodie, tout cela demeure un grand mystère. Après, une fois l’idée de base trouvée, c’est plus du travail que de l’inspiration à proprement parler. En ce qui concerne les textes, c’est très variable. J’aime parler d’un peu de tout, faire des chansons légères, drôles, tristes... Je ne me fixe pas de limites mais c’est toujours la musique qui me dicte l’humeur du texte qui ira se coller dessus. J’écris toujours les paroles après avoir composé la musique. Une chanson pour moi, c’est d’abord des accords et une mélodie, le sens des mots vient après. Je suis toujours plus touché par la signification de la musique que par celle des mots.

A la sortie de ton « premier » album, les critiques ont répondu présent pour l’accueillir très favorablement. Y a-t-il eu une pression particulière à l’écriture de ces nouveaux titres ?

Non pas du tout ! A mon niveau, on ne peut pas dire que beaucoup de gens étaient dans l’attente de la sortie d’un nouveau disque... Même s’il y avait un petit succès critique sur Does It Make You Feel Sad ? , cela restait très marginal. Même si cela peut choquer, mais je fais d’abord mes chansons pour moi et je n’ai donc aucune raison de m’imposer une quelconque pression. Je fais les chansons comme elles viennent ; j’en commence certaines, je les laisse reposer, les reprends quand je sens que c’est le bon moment, que je suis dans de bonnes dispositions pour les terminer. A dire vrai, jamais je ne prends ma guitare et me dis, "maintenant, je vais écrire une chanson". Je vais juste jouer, et si quelque chose vient, je le garde dans un coin de ma tête. Au bout d’un certain temps, les chansons se construisent toutes seules.


Y a-t-il un "monstre dans ta tête" sans lequel ta musique n’existerait pas ? Si oui cherches-tu à t’en débarrasser ou as-tu réussi à l’apprivoiser ?

On peut dire ça comme ça... J’ai toujours été quelqu’un de très angoissé. La musique me permet tout à la fois de dédramatiser, de parler de mes angoisses ou de les oublier. Se débarrasser de l’angoisse, je crois que c’est quelque chose qui n’arrivera jamais, mais la musique est un très bon refuge. Elle me donne un moyen d’exister, de faire quelque chose dont je suis fier.
Ça a tendance à me rendre moins angoissé.

Sur la pochette de cet album, on te voit tenir un étrange bouquet. Que contient-il et a-t-il un message particulier ?

C’est surtout un clin d’œil avec le titre du disque. On ne sait jamais ce qui se cache derrière les gens.
C’est aussi un moyen de montrer que ce disque est un peu un cadeau que j’offre aux gens qui l’écoutent. Sur Does It Make You Feel Sad ? , la première piste du disque (Introduction) était une chanson dans laquelle je me présentais à l’auditeur et le remerciais de m’accueillir dans sa vie l’espace de ce disque. Je voulais essayer de créer un lien simple et direct avec l’auditeur avant de commencer le disque à proprement parler. C’est un peu la même démarche avec le bouquet de fleur.

Ayant fini ton album par End, on te laisse le mot de la fin.

Merci beaucoup à vous de m’avoir sollicité pour cette interview. Je voudrais juste rappeler que si There’s A Monster In Every Head est disponible sur les plateformes de téléchargement comme Itunes ou Virginmega, il l’est aussi directement sur mon site en bien meilleure qualité ! Par ailleurs, je vais bientôt mettre en vente des cd-r avec de jolies pochettes pour ceux qui (comme moi...) sont encore attachés au support physique.

- www.mathieupersan.com
- www.myspace.com/mathieupersan


Interviews - 27.01.2008 par JohnSteed, RabbitInYourHeadlights