Kouma - Aibohphobia

Après Brazilian Blowout en 2014, on n’avait plus eu de nouvelle de Kouma en tant que tel. Le trio revient aujourd’hui avec Aibohphobia et on mesure vite à quel point il nous avait manqué.

1. Aller
2. Retour

date de sortie : 29-03-2019 Label : Dur Et Doux

Deux titres de treize minutes et trente-sept secondes exactement. Le premier se nomme Aller et le second - très logiquement - Retour. Précisément ce qu’inflige Aibohphobia. Un troisième album qui s’inscrit parfaitement dans la trajectoire azimutée de ses deux aînés. Tout à la fois complètement libre et franchement massive. Triangle toujours très resserré, Kouma continue à refuser de choisir son camp camarade et touche autant au free-rock qu’à la noise, au jazz qu’au prog sans jamais dénaturer les uns ou les autres. Il en résulte ces deux longs morceaux qui multiplient les trajectoires sans lasser ni égarer. Contenus dans ce disque palindrome (comme le suggère son titre), ils se répondent l’un l’autre et on multiplie les va-et-vient entre eux : guitare en avant sur Aller, claviers cosmiques la remplaçant sur Retour. On sent bien que tout ça est gémellaire et on se demande en permanence jusqu’où le trio est allé pour répondre à la contrainte qu’il s’est imposé.
Le truc, c’est que même en scrutant les morceaux, on a du mal à cerner les motifs : dès que débute l’écoute de l’un ou l’autre, la musique de Kouma embarque les neurones avec elle et on a bien du mal à analyser quoi que ce soit. Transformé en coque de noix au beau milieu des flots tumultueux, on est trimballé à droite à gauche sans répit, on boit la tasse et on inhale l’air à grandes goulées quand on remonte à la surface mais rien ne permet de prendre un peu de hauteur. On est complètement captif des mouvements que charrient les enceintes et au fond, c’est très bien comme ça.
Sans doute y a-t-il une construction particulière là-derrière, peut-être même qu’Aller est la réciproque stricte de Retour mais on n’en sait rien parce qu’au bout d’un moment, on a juste envie d’écouter et de se laisser bringuebaler par les circonvolutions tendues et inattendues dAibohphobia. La guitare (baryton) agrafée au saxophone (baryton) ou à la batterie (féline), les claviers hypnotiques prolixes mais jamais bavards, tout ça se toise, s’interpelle, s’affronte ou s’emberlificote en gros câlins, fait place nette ou entame un pas de deux avant d’être relégué hors du cercle. Au bout du bout, on ne retient que ce que le disque provoque et bien moins ce qu’il contient. Attention, on ne dit pas que ça n’a pas la moindre importance mais le grand talent de Kouma, c’est de nous inoculer sa grande liberté alors que sa musique est pour le moins réfléchie : de prime abord, on pourrait penser au vol désorganisé d’un bourdon coincé sous un verre avant de se rendre compte qu’il n’y a pas de verre et que l’itinéraire est évidemment très planifié.


Ça n’a l’air de rien dit comme ça et c’est pourtant ce qui fait toute la différence. Aibohphobia vibre et on vibre avec lui. Déterminé et n’en faisant qu’à sa tête, on en vient à faire tout pareil. Pourtant, tout cela se montre pour le moins sec, répétitif et sans fioritures mais on s’emmitoufle dans ce cocon métamorphe et bruyant.
Aller et son saxophone au garde-à-vous bégayant les mêmes notes quand c’est à la guitare qu’échoit l’apex fureteur du morceau. Enfin, dans un premier temps tout du moins car le soufflant a lui aussi des velléités libertaires qu’il ne tarde pas à exprimer. La batterie fait également de même et cahin-caha, les treize minutes et quelques du morceau passent comme dans un rêve tourmenté : ça tabasse puis ça suspend sa course en avant, ça laboure et ça trace des arabesques aériennes de larsens vrillés, ça se tait avant de rependre de plus belle. Un Aller très percussif avant un Retour plus larvé.
Cette fois-ci, ce sont les synthés qui mènent la danse et ils expriment tout leur potentiel halluciné. Pourtant, Kouma n’arrondit pas les angles et le morceau s’avère tout aussi intransigeant que le premier : la répétition maladive qui mute sournoisement, l’itinéraire mouvant sans que l’on s’en rende compte, les motifs qui se succèdent, se ressemblant les uns les autres mais sacrément différents tout de même. Les ondes indomptées traversent le corps et la cervelle et à leur passage, on ressent beaucoup, si bien qu’à l’issue des treize minutes et quelques on repart immédiatement dans les treize autres minutes et quelques du début.
Effectivement, Aibohphobia a tout du disque palindrome puisqu’on peut le prendre par n’importe quel bout et lire toujours la même chose. Maintenant, étant donnée la multitude de projets dans lesquels on retrouve éparpillés Romain Dugelay (saxophone baryton et claviers en surchauffe), Damien Cluzel (guitare baryton barbelée) et Léo Dumont (batterie-caméléon) - de Polymorphie à Pixvae (dont on va très vite reparler) en passant par Ukandanz entre autres - on ne peut plus s’étonner que Kouma fasse preuve d’une telle expertise dans l’embrigadement des émotions.
Le drôle d’animal que le trio s’est choisi comme totem ne signifie pas autre chose : on sait bien qu’il n’existe pas mais pourtant, rien à faire, depuis qu’on l’a rencontré, on veut absolument l’adopter.

Encore une fois, avec Aibohphobia, Kouma emporte tout.


Chroniques - 07.04.2019 par leoluce
 


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