100 artistes, 100 albums : les incontournables (Part. 4)

Été 2008, Indie Rock Mag vous propose un dossier incontournable, inédit et indispensable. Prenez un sujet du Forum Indie Rock intitulé "vos 100 meilleurs disques de tous les temps", ajoutez-y une poignée de formules validées par l’INSEE, mixez le tout avec des choix de la rédaction intercalés en parfaite cohabitation et vous voici face à ce que l’on peut considérer comme 100 artistes, 100 albums incontournables (des temps modernes).

35. The Cure - Disintegration (UK - 1989)

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The Cure est-il un groupe sombre, torturé, influent, incontournable ? Voyons, il n’y a jamais eu de grand mystère à son égard. De l’image véhiculée par le groupe en passant par les tubes et les albums indispensables, s’il y en a bien une dans l’histoire qui n’a jamais triché, c’est bien la bande de Robert Smith. Oui dans la famille The Cure, on se grime, on souffre, on connait les succès, la déchéance, le poids de l’âge et la jeunesse éternelle. Mais n’est-ce pas notre destin à tous ?

Artistiquement il va sans dire que c’est un exemple à suivre, les pieds sur terre peut-être moins. Et Disintegration le prouve bien en étant le dernier grand album sombre du groupe, les Cure tels qu’on les adore, ainsi qu’un véritable succès commercial (bien amorcé par le double Kiss Me Kiss Me Kiss Me et ses singles Why Can’t I Be You ? et Just Like Heaven). Mais prenez tout de même garde, cet album n’est certainement pas accessible aux fans qui se comptent par millions, aux amateurs des tubes plus pop et des compilations étriquées qui jalonnent la discographie du groupe. Faites vous plutôt surprendre par le successeur de Pornography, car face à un disque influencé par la dépression et les hallucinogènes (rendez-vous compte qu’il y a probablement des lecteurs bercés sur fond de Lullaby en clip ci-dessous), contenant un cadeau de mariage (Lovesong, que sa femme Mary Poole reçut l’année précédente) et des titres allumés comme Fascination Street ou plombés comme Last Dance, même le coeur bien accroché, ça finit par monter à la tête.

Tout ça nous est servi par des anglais, tout simplement, l’un des plus grands groupes de rock du monde qui doit tout de même un peu aux Buzzcocks ou à Siouxsie And The Banshees. On se le dit, on se le répète, on ne sait pas la chance qu’on a de voir encore ce groupe sur pieds (1989 fut d’ailleurs une année tendue avec l’ami de toujours Lol Tolhurst, batteur puis clavier du groupe qui rongé par l’alcool fut remercié et remplacé par Roger O’Donnell de The Psychedelic Furs). Quelle chance toujours d’avoir un tel groupe dans l’histoire du rock : Smashing Pumpkins, Interpol, And Also The Trees, Dinosaur Jr., Indochine ne sont que quelques exemples des groupes influencés par The Cure. Quelle chance même que vous soyez passé lire cet article qui vous rappelle tous ces albums à (ré)écouter de toute urgence.

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Cocteau Twins - Treasure (UK - 1984)
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Ne pas citer le groupe écossais Cocteau Twins formé en 1979 dans ces colonnes aurait été un véritable affront à l’histoire du rock. Mais parler des Cocteau Twins, c’est aussi ouvrir une boîte de Pandore pleine à craquer de groupes aux allures sombres. Pour faire écho à The Cure, on aurait pu citer son brillant alter-ego féminin, Siouxsie And The Banshees qui vit le jour en 1976. Oui, et j’entends déjà la clameur s’élever, pourquoi on ne parlerait pas de Bauhaus, Christian Death, Sisters Of Mercy, The Chameleons, And Also The Trees et les autres ? Du calme, du calme les men in black, gardons un peu de name-dropping pour la suite. Parce que Cocteau Twins est tout de même une porte ouverte à toutes les passions. Et si la coutume veut que l’on cite Treasure comme l’album incontournable, c’est uniquement pour ne pas faire de jaloux.

Car d’un côté on peut se régaler avec le passé du groupe et notamment l’incontournable et premier LP Garlands (1982). Sur cet album, il n’y a guère que Simon Raymonde qui manque à l’appel, car Elizabeth Frazer au chant nous distille déjà quelques incantations envoûtantes tandis que Robin Guthrie (guitare) accompagné de Will Heggie (basse) offre un univers aussi glacial qu’un bon vieux Joy Division. A tout ça ajoutez la production signée Ivo Watt Russels (fondateur du prestigieux label 4AD) et les visuels estampillés 23 Envelope, et vous obtenez le début d’une nouvelle ère musicale à la fois belle et intrigante.

De l’autre côté on a Heaven Or Las Vegas (1990), dernier album contractuel du groupe pour l’écurie 4AD, ultime opus fleurant bon l’idylle entre Robin Guthrie et Elizabeth Frazer qui venait tout juste de donner naissance à leur fille Lucy Belle. Un album teinté d’amour, de beauté, de guitares éthérées grande marque de fabrique du groupe et ce fil conducteur qu’est la voix de Liz. Une sirène à l’opéra ne nous troublerait pas tant que ce chant inaccessible, incompréhensible qui hantera à jamais des générations de fans tombés sous le charme.

Et Treasure (1984), et bien figurez-vous qu’il pourrait tout justement se définir avec le recul comme le croisement parfait entre Garlands et Heaven Or Las Vegas. Impeccable diront certains, va pour cet album sans oublier de faire abstraction des drogues, de l’alcool, des dépressions et d’une fin de carrière un peu trop mainstream pour les puristes. Fort heureusement, ça ne les aura pas empêchés de nous offrir une discographie somptueuse et de laisser se diffuser encore longtemps cette aura toute particulière aux musiques actuelles. Car entre Elizabeth Frazer qui fut un temps la muse de Jeff Buckley et qui continue de prêter sa voix à des artistes incontournables (Massive Attack, Yann Tiersen), Robin Guthrie qui poursuit une carrière de producteur en plus de ses albums solos et de coups de guitares semés de-ci de-là, on a tout de même cet amoureux fou de Simon Raymonde à la tête du superbe label Bella Union (The Dears, Midlake, Robert Gomez). Et à signer des artistes tels que Stephanie Dosen, Our Broken Garden ou Beach House, on ne peut qu’en venir à penser que lui non plus n’a toujours pas dit son dernier mot.

Indie


34. The Beatles - Abbey Road (UK - 1969)

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La présence des Fab Four dans ce bilan était inévitable : 40 ans d’influence capitale sur l’hybridation pop diront les uns, 40 ans de bourrage de crâne par la critique rock leur répondront les autres. Certes, l’héritage du quatuor de Liverpool est indéniable, des générations de songwriters s’en sont réclamés et continuent de le faire et on ne reviendra pas sur la richesse d’inspiration unique d’un groupe touche-à-tout à la créativité débordante - qui aurait toutefois difficilement résisté au contrôle anti-dopage.

Mais si les Beatles l’emportaient haut la main avant même la sortie d’ Abbey Road sur les plans du succès médiatique, public et même critique, ils se font désormais distancer dans les coeurs de nombre d’amateurs de pop 60’s par leurs dauphins de l’époque, Beach Boys, Zombies et autres Kinks. Comment en effet ne pas préférer aujourd’hui la fraîcheur mélodique et instrumentale du flot de souvenirs de Pets Sounds à un Revolver où le meilleur (Eleanor Rigby, Tomorrow Never Knows) côtoie le pire (Yellow Submarine) ? La puissance d’évocation et la mélancolie lumineuse d’ Odessey & Oracle au psychédélisme un brin poussif d’un Sgt. Pepper à la production datée ? L’écriture nostalgique et raffinée et le métissage équilibriste entre pop anglaise et influences américaines de Village Green à un White Album souvent génial mais inégal et flirtant même parfois avec le ridicule (Ob-La-Di, Ob-La-Da etc...) ?

On en rajoute peut-être un peu, mais quoi qu’il en soit cet Abbey Road à la production enfin ample et homogène (la présence d’Alan Parsons en deuxième ingénieur du son y serait-elle pour quelque chose ?), emmené par son tube tordu Come Together, est certainement l’album du groupe anglais à avoir le moins souffert du temps, malgré quelques incursions prog douteuses (I Want You, ou ces claviers un peu partout ailleurs) et autres ballades poussives (Oh ! Darling, Golden Slumbers) qui paraissent aujourd’hui dispensables à l’opposé du superbe Something ou du vibrant Because - directement inspiré par les Beach Boys et repris 28 ans plus tard par Elliott Smith sans l’horrible synthé-Vangelis-avant-l’heure - et plus encore du merveilleux Here Comes The Sun, signé George Harrison : l’une des chansons du groupe à pouvoir le mieux rivaliser aujourd’hui avec les mélodies limpides et généreuses des trois chef-d’oeuvres sus-cités. Autant pour les egos surdimensionnés du duo Lennon/McCartney...

RabbitInYourHeadlights

The Zombies - Odessey & Oracle (UK - 1967)
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C’est en 1967 que les Zombies entrent dans les studios Abbey Road pour commencer l’enregistrement de Odessey & Oracle, quelques semaines après que les Beatles y aient conçu Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band. Mais contrairement à ces derniers, il n’y a aucune attente envers ce groupe londonien en pleine Invasion Britannique. Celui-ci a bien réussi à attirer l’attention avec un remarquable single She’s Not There bien classé dans les charts US. Cependant les ventes de leur premier album Begin Here et divers singles ne confirmant pas les espoirs portés en eux, la maison de disques décide de réduire le budget pour ce dernier album prévu dans leur contrat. Et pourtant en quelques jours seulement et avec les moyens du bord, le groupe londonien va être touché par la grâce en trouvant l’inspiration pour composer un album de toute beauté, une pop psychédélique et bucolique toute en finesse et délicatesse qui est souvent considérée comme la parfaite réplique anglaise au Pet Sounds des Beach Boys, tout aussi importante que celle des Fab Four. Les mélodies à base de mellotron, de clavier, d’harmonium restent toujours aussi magiques et superbes, ne souffrant aucunement du passage des années. Les nombreuses harmonies vocales et la voix angélique du chanteur dégagent une émotion et une sensibilité rarement entendues. Ce n’est que deux ans après la sortie de cet album (qui aurait dû s’appeler "Odyssey & Oracle", la faute d’orthographe n’ayant pu être corrigée à temps dans la précipitation de l’enregistrement) que le groupe séparé entre temps verra enfin le succès et la reconnaissance arriver avec l’inoubliable Time Of The Season :

De ce chef-d’œuvre reconnu aujourd’hui à sa juste valeur (accompagné de nombreux inédits qui valent également le détour), on pourra citer les merveilles psychédéliques que sont Hung Up On A Dream et Changes qui émerveillent toujours autant. Caribou avec son album Andorra ne pourra le démentir…

Darko


33. Nirvana - In Utero (US - 1993)

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1993... Cela faisait deux ans que je découvrais des groupes par moi-même, sans me servir dans la discothèque parentale. Comment, à l’époque, passer à côté de Nirvana ? J’aurais tendance à penser que c’était impossible. Et ça le reste encore aujourd’hui tant on a parlé du groupe depuis Nevermind, au-delà même du simple contexte musical, pour le malheur de Kurt Cobain.

Mais, contre toute attente, ce n’est pas le 2e opus du trio, produit par Butch Vig (de Garbage), qui a été le plus plébiscité mais bien In Utero, plus brut et moins tubesque, sous l’égide de Steve Albini. Nirvana livre ici la suite logique de Bleach, leur premier album, en enjambant le sus-cité Nevermind sur le plan musical. Noisy et brouillon, fidèle à la prise de son d’Albini, on tombe aussi dans un coté plus obscur, lié à la difficulté de Cobain à supporter la célébrité acquise lors du précédant disque. On ne peut pas ne pas citer Heart-Shaped Box et Rape Me tant ils ont marqué une, voire plusieurs générations mais bien que ceux-là figurent parmi les plus connus, il ne faut pas oublier Frances Farmer Will Have Revenge On Seattle, en référence à l’actrice au destin tragique, le génial Pennyroyal Tea ou encore Dumb, un des morceaux les plus posés du disque. C’est d’ailleurs plus calmes qu’on les retrouve lors du fameux MTV Unplugged qui tranche avec ce côté sale et bruyant en revisitant les classiques et en livrant des reprises des plus réussies (The Man Who Sold The World de Bowie, entre autres).

Ainsi, quinze ans après sa sortie, on se rend compte que la jeunesse rageuse du rock névrosé de Nirvana est toujours autant d’actualité et présente dans les mémoires.

Tourette’s en live plus d’un an avant la sortie de l’album.

Spydermonkey

Garbage - G (US - 1995)
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Est-ce Nirvana qui a contribué à la notoriété de Butch Vig (producteur de Nevermind ) ou l’inverse ? On ne le saura jamais... Toujours est-il que lorsque ce dernier décide de former un groupe avec deux amis et une écossaise vue lors du passage télé d’un clip d’Angelfish dans lequel elle officiait, ça donne un album excellent. Excellent, oui, j’ose le dire et j’assume. G est sans doute mon album préféré de tous les temps, mon chef-d’oeuvre culte gardé jalousement secret et dont chacune des écoutes me procure des décharges électriques dès Supervixen. Le son noisy, les superpositions millimétrées des pistes, le chant torturé, l’ambiance sombre et oppressante... rien que d’en parler me donne envie de le faire tourner à nouveau. D’ailleurs, les singles sont, pour une fois, assez révélateurs de l’album, à l’exception de Stupid Girl peut-être. Le clip de Queer illustre le côté noir et glauque du groupe, Vow est une ode cynique et désabusée, quant à Milk (qui fera l’objet d’un remix par Massive Attack), il rappelle toute la mélancolie profonde qui hante Shirley Manson. Mais ce serait réducteur de se contenter de ces extraits pour se faire une opinion sur le disque. En effet, ce sont surtout l’homogénéité et la complémentarité de chaque morceau qui donnent toute sa force à G. A aucun moment l’intensité ne diminue, aucun titre ne détonne avec l’ambiance générale. C’est d’ailleurs en ça que je préfère ce premier opus aux autres, notamment à Beautiful Garbage qui étonne par rapport à ses prédécesseurs pour sa variété justement. Le groupe s’essaie à de nouveaux sons, souvent avec brio, mais l’album perd en cohérence et devient plus une succession de chansons, néanmoins très réussies (Cup Of Coffee, Silence Is Golden, Nobody Loves You, pour ne citer qu’elles).
Aujourd’hui, l’actualité du groupe ne laisse pas encore entrevoir de successeur à Bleed Like Me sur lequel Dave Grohl de Nirvana apparaît à la batterie (Bad Boyfriend, coproduit par John King des Dust Brothers). Wait and see...

Spydermonkey


32. P.J. Harvey - To Bring You My Love (UK - 1995)

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Avec un premier album nerveux et salement écorché, PJ Harvey avait impressionné et estomaqué de nombreuses personnes. Pour ce troisième album, la voilà émancipée, ayant décidé de continuer l’aventure seule après avoir dissous le trio d’origine. C’est l’occasion pour elle de se libérer et de faire ressortir toutes ses frustrations aussi profondes soient-elles. Le morceau d’ouverture To Bring You My Love à la rythmique inquiétante et entêtante voit la jeune demoiselle se livrer corps et âme au diable dans sa quête désespérée de l’amour. Et ce n’est que le début, PJ Harvey ne mâche pas ses mots avec des textes assez explicites, se mettant à nu et dévoilant ses peurs intérieures tout au long de cet album poignant et presque dérangeant. Elle semble vouloir trouver de l’aide et la rédemption avec cette dizaine de titres d’une profonde noirceur qui demeure si attirante et envoûtante. Cette fascination est d’ailleurs difficilement explicable tout comme le prouve le succès de l’intrigante et tourmentée Down By The Water sur les ondes radio (cf. la vidéo ci-dessous). Celui de C’mon Billy complainte bien plus simple et directe est sûrement plus compréhensible.

Avec l’arrivée de John Parish à la production, cet album se montre d’une grande simplicité et diversité. Entre guitares acoustiques et électriques, nappes électroniques ténébreuses, percussions diverses et autres bruits étranges, c’est sans doute la voix théâtrale de la belle qui marque le plus les esprits. Elle passe du chuchotement à un chant plus sensuel tout en se montrant rugueuse et se livrant même à de petits cris plaintifs. A n’en pas douter, cet album a marqué des générations et des artistes comme Cat Power ou Shannon Wright n’ont plus peur aujourd’hui de se livrer sans concession…

Darko

Big Brother & The Holding Company (with Janis Joplin) - Cheap Thrills (US - 1968)
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Album ayant marqué l’année 1968 ainsi que l’histoire du rock, Cheap Thrills est le second et dernier essai de Janis Joplin au sein du Big Brother & The Holding Company. Sa particularité réside dans le fait que 5 des 7 titres originels de l’album (4 titres supplémentaires, soit 2 inédits et 2 live, seront ajoutés lors de sa réédition en 1999) proviennent de sessions live enregistrées au Grande Ballroom de Detroit, ainsi qu’au Fillmore West, célèbre salle de concert la contre-culture hippie basée à San Francisco.

C’est d’ailleurs la voix de Bill Graham, propriétaire des lieux qui introduit le groupe et Janis Joplin au début du 1er titre Combination Of The Two, composé par Sam Andrew, l’un des deux guitaristes avec James Gurley, avec lequel Janis Joplin montera le projet du Kozmik Blues Band qui l’accompagnera notamment lors du concert de Woodstock. Les 4:54 minutes de I Need A Man To Love, collaboration de Sam Andrew et de Janis Joplin, résument parfaitement le ton donné à l’album, considéré comme l’un des plus aboutis de blues psychédélique californien, style qualifié par le groupe lui-même de "progressive-regressive-hurricane blues".

Paradoxalement ce sont les trois reprises de l’album : Summertime, Piece Of My Heart et Ball And Chain qui assoiront le succès de Cheap Thrills et resteront dans les mémoires. Les deux premières sont par ailleurs les seules chansons de l’album issues des sessions d’enregistrement en studio. Il est en effet difficile de parler de Janis Joplin sans évoquer Summertime, morceau sur lequel elle exprime peut-être mieux qu’ailleurs l’étendue et la richesse de ses capacités vocales. Impossible en effet de rester insensible à cette voix rocailleuse, suppliante, implorante, transpirante d’émotion, soutenue par un jeu de guitares parfaitement maîtrisé qui rythme l’ensemble, doucement d’abord, pour montant progressivement en décibels et saturant en cours de route. Piece Of My Heart, seul et unique single de l’album, mélange lui aussi les sonorités blues chères à Janis Joplin aux riffs acérés du Big Brother & The Holding Company. Et ici encore, celle que certains ont qualifié de plus grande chanteuse de blues blanche de tous les temps puise au fond d’elle-même toute la rage qu’elle contient et la hurle à la face du monde avec cette intensité et cette sensibilité qui la caractérisent. Autre monument de ce Cheap Thrills, la reprise de Ball And Chain de Big Mama Thornton qui clôture l’album, où durant plus de 9 minutes le temps est suspendu tant la cohésion entre les musiciens et la chanteuse est impeccable.

Turtle Blues, seul titre de l’album entièrement composé par Janis Joplin, se situe quant à lui dans un style bluesy plus épuré appuyé par la présence d’un piano. L’expérimentation, marque de fabrique de cette époque, se situant plutôt dans le mix du live enregistré dans un bar de Los Angeles et des extraits d’une fête en studio, donnant une ambiance et une couleur particulière au morceau. Enfin sur Oh, Sweet Mary, avant-dernier morceau de l’album, Janis Joplin partage le chant avec Peter Albin. A travers des variations de tempo et un rythme plus soutenu par rapport au reste de l’album, ce titre s’éloigne du blues pour mettre l’accent sur le psychédélisme caractérisant cette période. Son efficacité est remarquable et permet au groupe de s’exprimer totalement à travers de longues envolées instrumentales.

Album de tous les succès pour les musiciens et leur chanteuse, il est aussi celui de heurts entre le groupe et leur maison de disques, la Columbia, dont une des conséquences, outre l’emploi de live, a été l’utilisation des illustrations de Robert Crumb (auteur de "Fritz the Cat") initialement prévues pour verso de la pochette sur le côté face de cette celle-ci, la session photo prévue à l’origine pour le recto ayant été totalement sabordée par le groupe. Le sort de ce dernier sera lui aussi scellé à l’issue de cet album, Janis Joplin et Sam Andrew créeront le Kozmik Blues Band et sortiront l’album I Got Dem Ol’ Kozmic Blues Again Mama en 1969, tandis que le Big Brother & the Holding Company complété par de nouveaux membres poursuivra sa route sans jamais renouveler le succès apporté par la voix extraordinaire de l’irremplaçable Janis Joplin.

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31. Sufjan Stevens - Illinois (US - 2005)

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Est-ce si étonnant que ça quand en 2005 l’album Illinois de Sufjan Stevens vient accrocher nombre de premières places, album de l’année par-ci, meilleur artiste masculin par-là ? Non il y a forcément quelques explications. La première, c’est le fruit du travail : l’américain touche-à-tout publiait ainsi son 5ème album studio. Auteur, compositeur, interprète, joueur de banjo, guitare, piano, batterie, hautbois, cor anglais et j’en passe, Sufjan est bien sans limite face à sa musique. Les partitions, les orchestrations, la mise au point du son des toms, de nombreuses références culturelles, sociales ou historiques qu’il glisse dans ses albums, en voilà un qui ne sait vraiment pas s’arrêter. On le croise même dans de nombreux tributes, à filer quelques coups de main à des amis artistes, à s’affairer autour de son label Asthmatic Kitty, ou à publier les chutes de Illinois qu’il intitule The Avalanche frôlant ainsi le génie capable d’exaucer tous les voeux. Et c’est peut-être là qu’on pourrait parler de la deuxième raison qui a poussé Sufjan Stevens au sommet : la foi. Oui on est à mille lieues des clichés rock, Sufjan multiplie les références bibliques, bosse comme un dingue, croit en dieu, et est même largement cité comme référence dans un article du magazine américain Symphony à propos des connexions de plus en plus fréquentes entre artistes indie pop-rock et orchestres symphoniques. Et Illinois au bout du compte ? Et bien de la noble musique servie avec brio par un artiste indie pop-rock, une voix, des choeurs qui vous filent des frissons : n’attendez rien de plus, c’est grandiose, tout simplement.

Le clip de John Wayne Gacy Jr., dans lequel extraits de films familiaux ou éducatifs rendent encore plus troublante cette chronique de la trajectoire meurtrière du tueur en série chicagoan tristement célèbre.

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The Divine Comedy - Liberation (UK - 1993)
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The Divine Comedy - Liberation quasi introuvable actuellement

On ne se rend pas compte à quel point ce qu’on appelle communément l’indie pop rock peut emmener dans des univers différents. Prenez ce Liberation de sir Neil Hannon alias The Divine Comedy. Quand on a vu ce petit blondinet d’une sympathie et d’une humeur toute guillerette atterrir avec son envie de conquérir la Musique, autant dire qu’on s’est pris une claque énorme. Un vrai petit chef d’orchestre doté d’un coeur empli de pop, ça ne pouvait que faire date. On peut d’ailleurs faire une entorse à l’histoire, en qualifiant celui-ci de premier album, un condensé de chamber-pop sur fond de minimalisme, il n’y a guère que Alban Dereyer de nos jours pour rivaliser ou encore ce cousin américain qu’est Sufjan Stevens dans un autre genre. Hélas trop de monde n’a découvert ce génie qu’au détour d’un Casanova ou d’un Absent Friends, ce dernier étant largement plébiscité de nos jours. Oui The Divine Comedy n’a fait que de très bons albums, mais ses débuts restent d’une fraicheur intemporelle.

Cadeau : Neil Hannon reprenant son idole Scott Walker qui adaptait pour sa part le Jackie de Jacques Brel. L’auteur de Scott 3 et Tilt fut d’ailleurs l’un des tout premiers fans de Liberation à l’époque, reçu dans sa boîte aux lettres de la part d’un "jeune fan irlandais plein de talent".

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Un dossier en 10 épisodes : part. 1 - part. 2 - part. 3 - part. 4 - part. 5 - part. 6 - part. 7 - part. 8 - part. 9 - part. 10