2016 : Cocorico sur les cendres - LPs (1 à 22)
"Sur les cendres", le titre de ce bilan, est autant un clin-d’œil à la compilation Clouds/Clashes/Ashes dévoilée il y a déjà quatre ans sur notre site (en attendant la prochaine en hommage à Twin Peaks), qu’un élément transcrivant le regard que je porte sur une année où l’humeur n’a franchement pas été à la grosse rigolade. Concernant le ’cocorico’ présent dans le titre, il est autant dû au fait que l’hexagone n’a pas été épargné par cette morosité ambiante que par la présence en masse - une fois n’est pas coutume - d’artistes français dans ces différents tops.
Pour l’occasion, concerts, EPs, chansons et donc LPs ont été classés par tranches de onze éléments à chaque fois. Pourquoi onze ? Tout simplement car c’est ce total qui me permettait de rassembler, dans chaque catégorie, les disques ou prestations qui faisaient réellement partie du haut du panier. Et le nectar, sommet absolu de ce panier, est disponible dans cette dernière partie.
22. Andy Shauf - The Party (pop-folk, Canada)
"Parfois dépouillées, les compositions se caractérisent néanmoins le plus souvent par un travail particulièrement probant sur les arrangements de cordes assuré par son compère Colin Nealis, qui vient apporter une nuance bienvenue à la palette d’émotions rencontrées. Celles-ci vont de la mélancolie à l’entrain et trouvent un point de conjonction dans la faculté à capter en permanence une essence lumineuse pleine d’espoir".
21. Sh’napan - Pagane (abstract hip-hop, Luxembourg)
"S’il nous avait épatés sur Flow avec Artaban, Charles Niles approfondit ici une oeuvre qui refuse de choisir entre hommage assumé et excentricité jusqu’au-boutiste. Sh’napan ressuscite d’une certaine manière un trip-hop instrumental qui, à force de chercher à se démarquer de ses précurseurs, a fini par perdre de sa substance. Pagane est un disque à la fois soyeux et aventureux, contenant et ambitieux, qui témoigne aussi bien de la maîtrise que de la créativité et l’intelligence de son auteur".
20. Ray Lamontagne - Ouroboros (folk-rock, Etats-Unis)
"Dans les mythologies antiques et nordiques, l’ouroboros est le dessin d’un serpent se mordant la queue et, mélangeant les représentations du mouvement et de la continuité, symbolise l’éternel retour. Comment définir plus brillamment ce que représente Ray Lamontagne pour un amateur de musique en 2016 ? Une identité réelle qui revendique toutefois l’influence d’un héritage si lourd à porter que bien d’autres se seraient effondrés avant même de pouvoir l’assumer. A l’heure où certains multiplient les superproductions pour séduire les canaux auditifs les moins exigeants, il est rassurant d’observer que la simplicité d’une chanson dépouillée au songwriting parfait s’avère toujours aussi désarmante".
19. Nadja - Sv (drone cinématographique, Canada-Allemagne)
Jamais je n’aurais pensé autant accrocher à ce disque, composé d’une seule piste à tiroirs de plus de quarante minutes et délibérément bruitiste par moment. Mais tels certains disques de post-rock, mouvance vers laquelle il se rapproche d’ailleurs à plusieurs reprises, Sv est une expérience en forme de montagne russe. Un disque qui ne s’écoutera sans doute pas au petit déjeuner pour se détendre, mais en termes d’expérience auditive exaltante, on n’a sans doute pas fait mieux cette année que ce qu’ont proposé le génial Aidan Baker et sa compère Leah Buckareff.
18. Tue-Loup - Ramo (rock, France)
"Deux fils conducteurs apparaissent comme une évidence sur ce disque, et en assurent la cohérence : la voix légèrement éraillée de Xavier Plumas et le mode mineur essentiellement employé à la guitare par Thierry Plouze, générant ainsi un spleen évident dont Tue-Loup ne s’est de toute manière jamais réellement départi. On pourrait même ajouter la discrétion des percussions assurées de manière pourtant impeccable par le batteur historique de la formation, Romain Allanot, qui signe ici son retour. Mais Ramo n’est pas de ces disques qui justifient la rime entre cohérent et lassant. Chaque chapitre de cet ensemble oscillant entre folk et chanson française est singulier".
17. Hospital Ships - The Past Is Not A Flood (shoegaze downtempo, Etats-Unis)
"Post-shoegaze hanté, downtempo onirique, choisissez l’adjectif qui conviendra le mieux. Quoi qu’il en soit, avec un barbu expérimenté et un autre au sommet de son art, l’illustration graphique de The Past Is Not A Flood, plus qu’à une quelconque mythologie, semble tout simplement faire référence au binôme ayant accouché de cette œuvre majeure qui parvient à partager une angoisse funéraire sans jamais s’avérer oppressante, ni morose".
16. Tindersticks - The Waiting Room (chamber-rock, Angleterre)
"Minimaliste et jazzy, The Waiting Room est aussi l’un des disques des Tindersticks qui s’intéresse le plus aux voix. Malgré les deux duos mixtes, cela peut sembler paradoxal puisqu’il comporte trois pistes instrumentales, un record sur un enregistrement du groupe. Pour autant, l’absence et le vide permettent parfois aux éléments de résonner avec davantage d’intensité. Les mélodies dépouillées - et peut-être en ce sens plus expérimentales que jamais - mettent en avant l’organe vocal du leader de la bande avec une efficacité imparable".
15. Yann Tiersen - EUSA (piano, France)
"Moins emphatiques que par le passé, les pièces composées par l’artiste n’en sont pas moins intenses s’agissant de la transmission des sensations. On retrouvera forcément l’héritage de quelques-uns des précédents travaux du musicien, particulièrement les bandes originales de films tant EUSA est cinématographique. [...] Incitant à la contemplation, EUSA est un parfait condensé d’épure et ne choisit jamais entre luminosité et mélancolie. Hédonique, le rapport de ce disque au temps constitue une leçon de vie et la seule urgence qu’il semble susciter est celle de se rapprocher de cet essentiel dont on a tôt fait de s’éloigner".
14. SHIZUKA - You Are Struggling In The Dark (IDM, France)
"You’re Struggling In The Dark, album schizophrénique par excellence, ne ménage pas l’auditeur qui pourra régulièrement se demander s’il est raisonnable de laisser son corps se mouvoir sur des sonorités dont l’aspect industriel semble parfois constituer l’antithèse de la vie. Et pourtant, sans qu’il ne s’en rende compte, les épaules ne demandent qu’à bouger, tandis que les fourmis dans les jambes s’accumulent. En un mot comme en cent, la froideur des nappes industrielles de SHIZUKA sont toujours aussi efficaces, mais ce disque donne envie de s’agiter. Et ça, personne ne l’avait vu venir. Anthony DoKhac est décidément l’un des musiciens les plus talentueux de sa génération et l’un des plus habiles pour faire émerger, à l’instar d’un Stefan Zweig, des questionnements autour de la confusion des sentiments".
13. Michel Cloup Duo - Ici Et Là-Bas (rock, France)
"Michel Cloup est humble, mais son poing est toujours aussi rageur. Congruent avec ses thèmes de prédilection, il ne tourne pas pour autant en rond, et ne s’inquiète pas de perdre ses moyens en grattant le vernis qui l’empêchait jusqu’alors d’adopter un ton si personnel. En somme, s’il se met parfois à nu, ce n’est pas pour le plaisir d’utiliser une attitude autocentrée, mais bien pour continuer à ausculter les dérives égotiques de ses contemporains".
12. Sophia - As We Make Our Way (Unknown Harbours) (rock lo-fi, Grande-Bretagne)
"Même s’il peut paraître vain – ou même franchement inadapté – d’évoquer des comparaisons lorsqu’il s’agit d’un groupe qui fête ses vingt ans d’existence, la mélancolie, la clarté des accords et le caractère addictif des arpèges évoqueront tantôt Pinback, The Apartments ou Grandaddy mais également des artistes plus récents tel que Water Music. En quarante-trois minutes, Sophia dessine dix pièces assurément sensibles tutoyant parfois même le génie et l’allégresse, tant émerge un savoureux paradoxe entre la spontanéité et l’évident labeur qui a permis d’accoucher d’une progression aussi à même d’éveiller les émotions de l’auditeur."
11. Melanie De Biasio - Blackened Cities (jazz expérimental, Belgique)
"Sur cette unique pièce de près de vingt-cinq minutes, il n’est pas rare que l’on pense au Talk Talk de Spirit of Eden ou Laughing Stock. Plus que ce qui se joue, c’est l’indicible qui occupe l’espace. Ainsi, les respirations, toujours très aériennes, sont au moins aussi importantes que les divers arrangements, pourtant sacrément gracieux. Le chroniqueur (trop) pressé aurait vite fait de décrire une rupture dans la discographie de la Belge avec cette œuvre « à part ». Pourtant, si le format est assez inédit, le contenu musical n’offre pas de rupture totale avec No Deal. La flûtiste fait ainsi de nouveau confiance à la même base de musiciens".
10. Marnitude - Death of a Hedonist (pop-rock lo-fi, France)
"Jean-Rémy Papleux fait étalage d’une voix plus claire et aérée que jamais, tandis que son compère Julien Doigny fait partie de ces bassistes qui, à l’instar de Colin Greenwood – on n’y va pas de main morte en termes de comparaison – savent trouver le savant dosage entre discrétion et talent pour mettre ce dernier au service de l’ensemble. Pour le reste, un organiste et une batteuse ont rejoint une formation renouvelée de moitié pour les besoins de ce disque. [...] Un post-rock mâtiné de folk et de slowcore qui, l’air de rien, est relativement atypique dans le paysage musical actuel. Ce qui est rare est précieux, d’autant plus lorsque c’est si pleinement chargé en émotion et abouti artistiquement. En ce sens, cinq ans après, Death Of A Hedonist est le réel successeur de cet EP éponyme qui avait tant marqué les esprits".
9. Beajn - Eclipse (ambient, Etats-Unis)
"Eclipse est plus minimaliste que son prédécesseur et intègre des distorsions moins solaires. Témoin du monde dans lequel il évolue, Beajn n’est sans doute pas plus heureux qu’il y a quatre ans. Cela semble être un euphémisme, et l’on observe dans ses propos une forme de résignation propre à ceux dont le moral n’est pas au beau fixe. Se contentant de trois paragraphes laconiques pour présenter son disque, le Floridien n’hésite pas à annoncer qu’il pense "que c’est le dernier de [ses] travaux en tant que Beajn".
8. Ulrika Spacek - The Album Paranoia (rock psychédélique, Angleterre)
"Signés chez Tough Love Records, les cinq membres d’Ulrika Spacek ne semblent pas appartenir à cette catégorie d’artistes qui privilégient leur com’ au contenu musical. Pas encore, en tout cas. Rejetant le terme de "psychédélisme", Ulrika Spacek évolue néanmoins dans un univers pouvant rappelant certains titres de Pond pour leur dimension fuzzy, mais également le Brian Jonestown Massacre pour sa radicalité et sa tendance à aller droit au but. [...] Mêlant contrées évidentes et oasis inconnues au milieu d’odes à la folie, Ulrika Spacek dessine un contenu relativement inédit, plus réfléchi qu’il n’y paraît initialement, à l’image des sommets de fausse évidence que constituent She’s A Cult ou I Don’t Know".
7. The Kills - Ash & Ice (rock, Angleterre-Etats-Unis)
"Sans atteindre tout à fait l’énergie et la brutalité des deux premiers disques, Ash & Ice est, nous l’avons évoqué précédemment, probablement plus radical que ses deux prédécesseurs. Mais il épate principalement pour son travail sur les mélodies. En ce sens, la première écoute pourrait presque laisser l’auditeur dubitatif, ce qui est résolument paradoxal avec un disque aussi immédiat. La subtilité ne semble pas être le maître-mot de Ash & Ice lorsque l’on entend les rythmiques martiales et la voix mi-nonchalante, mi-rageuse d’Alison Mosshart. Néanmoins, il n’y a pas à se forcer pour apprécier cet opus et les lignes mélodiques ont tôt fait de gagner l’esprit de l’auditeur, quitte à ne pas relâcher la pression et s’y installer au point de le hanter depuis le réveil jusqu’au crépuscule."
6. Benjamin Biolay - Palermo Hollywood (chanson française, France)
"Le Lyonnais nous propose au milieu de ce mille-feuilles qui tient assurément la route quelques titres qui se placent déjà comme des indispensables à ranger aux côtés de Laisse Aboyer Les Chiens ou Moi Rien… dans sa discographie. Si le Palermo Hollywood éponyme s’inscrit dans cette veine, il en va de même pour des titres aussi sublimes que le dépouillé Miss Miss dont le jeu de guitare s’avère addictif ou encore un Pas Sommeil à la construction séquentielle qui nécessitera plusieurs paires d’écoutes pour le digérer tout à fait. Peut-être pas tout à fait au niveau de Trash Yéyé – encore que – Palermo Hollywood marque en tout cas le retour de Benjamin Biolay en grande forme et, même au sein d’une discographie impeccable jusqu’à 2009, rares sont les œuvres à paraître aussi abouties que celle-ci".
5. Laish - Pendulum Swing (pop-rock, Angleterre)
"Danny Green, non content d’être doté d’une sensibilité bien au-dessus de la moyenne, parvient à en retranscrire musicalement le contenu à l’instar – au moins dans le processus – de Will Samson, son compagnon de route chez Talitres. Brillant. Pendulum Swing est déjà à classer parmi les grands disques, non pas de l’année écoulée, mais de la décennie en cours".
4. Exploded View – s/t (post-punk downtempo, Angleterre-Allemagne)
"Finalement, au moment d’évaluer ce disque à l’aune de la discographie de Portishead, c’est peut-être Dummy plutôt que Third qui constituerait la comparaison la plus adaptée : si les deux albums n’ont finalement pas grand-chose en commun sur le strict plan musical – à l’exception d’une voix habitée donnant un soupçon de vie à un ensemble plus froid – ils font émerger des solutions assez similaires à plus de vingt ans d’écart. Surtout, ils ont en commun le fait d’être une sorte d’ovni de leur époque, peu de disques antérieurs à leurs sorties respectives œuvrant dans la même dimension. L’album étant déjà sorti depuis quatre mois, les suiveurs planchent probablement déjà sur la copie d’une recette qui n’égalera sans doute jamais la création originale".
3. Agnes Obel - Citizen Of Glass (pop au piano et à cordes, Danemark)
"Sa voix singulière à la majesté difficilement comparable et la discographie exigeante qu’elle établit et dont chacun des volets semble se distinguer de ses prédécesseurs semblent faire d’Agnes Obel la véritable descendante d’une autre scandinave, en admettant l’acceptation large de ce territoire, dont nous ne vous ferons pas l’injure de citer l’identité. A ceci près que la Danoise n’annule pas (encore) ses concerts pour des motifs discutables. La grâce sans les caprices de star, Agnes est rare, profitons-en".
2. Car Seat Headrest - Teens of Denial (rock lo-fi, Etats-Unis)
En cette fin d’année, à l’heure des bilans, Teens of Denial semble s’offrir une place de choix et j’avoue que je ne boude pas mon plaisir, tant j’ai passé cette année à le défendre. Teens of Denial n’est pas parfait sur le plan de la production, mais c’est un parti pris inhérent à l’esthétique lo-fi dont Will Toledo se réclame. Génie touche-à-tout, cet adulescent au look de geek en impose dès lors qu’il concocte ces imparables mélodies dont lui seul semble avoir le secret.
1. Radiohead - A Moon Shaped Pool (rock, Angleterre)
Si l’on m’avait dit qu’en 2016, Radiohead trusterait encore la première place de mon bilan annuel, je ne sais pas si je m’en serais ou non réjoui. J’ai une vraie affection pour le quintet d’Oxford, sans doute le groupe que j’ai le plus écouté, mais cela n’est-il pas un mauvais présage pour la scène actuelle ? Oui et non.
En effet, le combo britannique parvient à accoucher du disque qui se rapproche le plus d’Ok Computer sans que l’idée d’un hommage évident ni même d’une facilité ne nous traversent l’esprit.
A Moon Shaped Pool parvient à la synthèse idéale entre la qualité intrinsèque de chacun des titres d’In Rainbows et la cohérence d’ensemble de The King of Limbs, s’affranchissant de l’aspect résolument optimiste (pour du Radiohead...) du premier et réhabilitant les mélodies en retrait sur le second.
Le neuvième LP de Radiohead est donc loin d’être le plus gai. Il n’est d’ailleurs pas le plus harmonique, mais peut-être est-il celui dont la production est la plus léchée. Surtout, dans une société de consommation comme celle dans laquelle nous évoluons, il prend son temps. Plusieurs paires de morceaux nécessitent quelques écoutes pour être appréciées - et bien plus pour en faire le tour - tant leur évolution est surprenante. Sommet de l’album, Decks Dark est de ceux-ci, tout comme Glass Eyes ou Present Tense qui prennent un envol délectable dans leur deuxième moitié.
Surtout, là où l’on avait tendance à réduire Radiohead au binôme Jonny Greenwood/Thom Yorke, A Moon Shaped Pool est le disque qui confirme l’importance de la basse de Colin Greenwood, plus que jamais élément central de compositions sur lesquelles la batterie de Phil Selway se fait plus discrète.
Complexe, mélodique et labyrinthique, A Moon Shaped Pool constitue un nouveau chapitre essentiel de la discographie de Radiohead et l’on se rassurera en relevant le fait que True Love Waits, morceau composé il y a deux décennies, constitue le seul léger accro de ce disque. Bientôt quinquagénaires, les Anglais n’en sont pas moins toujours aussi créatifs et aventureux.
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