Numbers Not Names - What’s The Price
Au début, Numbers Not Names fut avant tout une idée. Celle de Stéphane Grégoire d’Ici d’Ailleurs voulant réunir quatre musiciens qui, ensemble, n’avaient jamais joué. Puis Numbers Not Names devint ensuite une entité qui aujourd’hui nous fait parvenir What’s The Price, un premier album pas vraiment des plus évidents. Complexe, dense, empilant tout autant les sons que les niveaux de lecture, il a d’abord pour effet de littéralement épuiser l’auditeur. Mais on y revient car quelque chose s’y trame. Quelque chose de bien caché. Ressentis.
1. Numbers Not Names
2. What’s The Price ?
3. Mimic The Mimic
4. Deadlight
5. My Home Is My Headache
6. Night Train
7. This Will End Badly
8. Cold War Sound
9. Stand Your Ground
Numbers Not Names, un patronyme qui claque comme un manifeste. Antithèse au leitmotiv de Patrick McGoohan ? Ou vont-ils simplement dans le même sens ? La tumeur maligne s’est-elle à ce point développée qu’il faille nous résigner à n’être plus que simplement fatalistes ? C’est-à-dire que les sons, les beats et l’atmosphère qui s’échappent de What’s The Price ne sont pas franchement des plus guillerets. La vision de Numbers Not Names est sombre – bien noire même – agressive et évoque un avenir sans issue aucune. Bien plus un constat qu’une revendication donc. D’un autre côté, étant donnés les intervenants, fallait-il s’attendre à autre chose ? Crescent Moon, Oktopus, Jean-Michel Pires et Chris Cole aka Manyfingers. Un emcee, un producteur et deux batteurs. Et pas vraiment n’importe qui. Quand on a l’idée de croiser le hip-hop crépusculaire très spoken word et jazz de Kill The Vultures avec l’imperméabilité monolithique de Dälek à grands renforts de percussions, il ne peut en résulter qu’un album étouffant. Quand on ajoute que ces dernières sont le fait d’un membre de NLF3, machine instrumentale au groove carré, voyageur et ravageur, et du batteur de Third Eye Foundation, pas vraiment ce qui se fait de plus positif côté électro, une seule conclusion s’impose : les petits oiseaux et le soleil dans les yeux ne sont pas de ce monde ou en tout cas, pas de ce disque.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le greffon initié par Stéphane Grégoire, big boss d’Ici voire d’Ailleurs résiste plutôt bien et tient la dragée haute aux anticorps de tout poil qui ne manquent pas de l’attaquer. En premier lieu, on le sait, et les exemples sont légion, à super-groupe, rarement super-disque. Mais ce n’est pas le cas ici : What’s The Price est avant tout cohérent. Il n’est venu à l’idée de personne de tirer la couverture à lui et si les sons et l’atmosphère rappellent immanquablement tous les groupes dont sont issus les quatre Numbers Not Names, ils ne rappellent pas spécialement l’un au détriment des autres. On peut aimer Kill The Vultures et ne pas aimer Numbers Not Names, on peut aimer Numbers Not Names et rejeter Dälek et ainsi de suite. Le disque développe quelque chose qui lui est propre. Et il faut bien avouer que le flow si caractéristique de Crescent Moon, une articulation poussée à l’extrême qui détache toutes les syllabes associée à un timbre de voix fatigué, un flow tout à la fois patraque et dynamique, se marie à merveille aux productions très détaillées et denses d’Oktopus qui rappellent bien évidemment celles qu’il a développées pour Dälek dont on retrouve la singulière atmosphère de métal rouillé sans le mur du son costaud et constant qui en fit pourtant les heures les plus riches. De la même façon le jeu des deux batteurs ainsi que tous les sons divers qu’ils ont pu emmener dans le projet (pêle-mêle, percussions, claviers, piano, violoncelle, trompette, guitare ainsi qu’une foultitude de bruits indéterminés) s’emboîtent remarquablement dans la jungle de beats synthétiques et aboutissent à un tapis rythmique franchement varié.
Pour une poignée de morceaux immédiats qui se ruban-adhésivent fortement au cortex au bout de la première écoute, d’autres, beaucoup plus abstraits prennent leur temps. Les deux premiers titres, Numbers Not Names et What’s The Price posent ainsi les bases du projet d’emblée, comme si le groupe voulait définir son univers puis son album sans attendre : d’un côté une attaque sombre et frontale qui balance des uppercuts, s’arrête puis revient à la charge dans un inlassable mouvement de va-et-vient, de l’autre un morceau qui pousse ses percussions en avant sur fond de nappes voilées, viciées et synthétiques. Voilà pour le côté prompt et jubilatoire. Les deux suivants, bien plus renfrognés et contenus, explorent tour à tour la voie d’une production complexe, dense, sens dessus-dessous jouant au chat et à la souris avec le flow increvable de Crescent Moon puis celle d’un jeu sur les rythmes, les textures, les voix et les percussions. Moins immédiats peut-être mais tout aussi intéressants. La suite est du même acabit, alternant titres abstraits (My Home Is My Headache), décousus (This Will End Badly, accumulation bizarre à la fois massive et fuyante ou encore Cold War Sound), et percutants (le superbe Night Train, longue épopée hypnotique qui donne l’impression que le disque bégaye, ou encore Stand Your Ground). Un agrégat de morceaux à la noirceur monolithique et aux textures identiques qui trouvent pourtant une diversité salutaire dans le traitement infligé aux interventions de chacun : percussions étouffées ou en avant, avançant de concert ou s’opposant, voix altérée ou non, rythme martial ou syncopé, accumulation d’instruments, à l’envers ou à l’endroit ou tout synthétique, et cætera et cætera.
Labyrinthe sonore et fracassé, What’s The Price est dans un premier temps parfaitement épuisant. Trop de tout en trop peu de temps. Puis l’humeur s’acclimate petit à petit et l’on se prend à détailler l’architecture imaginée par Oktopus, à surveiller le jeu des percussions, à distinguer la part d’organique dans l’ossature synthétique, à suivre les circonvolutions du flow de Crescent Moon. Le disque se révèle lentement et passe du statut de patchwork saisissant mais fatigant à celui d’ensemble cohérent et sidérant. Quand on connait le contexte qui a amené un tel projet et un tel disque, il est difficile de ne pas être ébahi par ce que les quatre Numbers Not Names ont réussi à mettre sur pied : un Frankenstein à la noirceur et à la densité insondables. Un pavé massif dans la mare encombrée. Un disque que l’on n’est pas prêt d’oublier. Sonnant exactement comme ce à quoi l’on s’attendait de la rencontre de telles individualités sans l’avoir jamais vraiment envisagée, What’s The Price vibre comme du Dälek écorché dont on aurait arraché quelques strates, ressemble à un Kill The Vultures très urbain mais coupé de ses racines profondes, coupé du jazz donc, rappelle un NLF3 diminué, amputé de ses ondes positives, complètement plombé, puis un Third Eye Foundation plus vraiment synthétique qui aurait ajouté l’attaque frontale à son arsenal déjà pourtant bien vicié. Il s’échappe de ce disque un vent mauvais. Un vent mauvais certes mais au moins s’en échappe-t-il quelque chose, preuve que l’air y circule sous ses dehors claustrophobes et sans issue. Bien plus complexe qu’on ne le supposait, il est bien évident que ce premier essai n’est pas près de s’épuiser.
Une suite est d’ores et déjà en préparation, celle-ci ne serait pas tout à fait la même. En attendant qu’elle nous parvienne, replongeons dans les entrailles de What’s The Price.
Bien noires.
Bien belles.
Mixed Blood Majority, c’est son nom et ça n’est rien d’autre que la nouvelle collaboration entre Crescent Moon (MC des cultissimes Kill the Vultures et de Numbers Not Names), Joe Horton (MC des très bons No Bird Sing) et Lazerbeak (DJ du collectif Doomtree)... Cette année, Joe Horton et Crescent Moon (ainsi que Kristoff Krane) avaient déjà (...)
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