Bilan 2015, un casse-tête chinois - part 5 : Albums #70 - #61

Le casse-tête c’est surtout l’intro, quand on a dans un même article des univers si différents. Zéro point commun pour les albums de cette série donc, si ce n’est peut-être le stakhanovisme de certains des intervenants, ou le fait qu’une partie d’entre eux en dépit d’une présence en fort belle position dans ce classement ne m’ont pas tant impressionné que je l’avais anticipé, tandis que quelques autres sortaient ici leur meilleur disque... bref, trêve de blabla sans queue ni tête et place a un blabla, espérons-le, plus propice à la découverte.





70. BC Camplight - How To Die In The North


Entre soft rock 70s, pop romantique embrumée à la Brian Wilson (Love Isn’t Anybody’s Fault), disco rêveur et ironique (Just Because I Love You, antidote idéal à toute la carrière des Bee Gees), surf et psychédélisme déstructurés à l’ère électronique (Grim Cinema), parodies dadaïstes de synth-pop 80s (Lay Me On the Floor), rengaines délicieusement surannées (le latino Thieves In Antigua) et autres bijoux de piano rock à la Nilsson parfois sur le fil du dégoulinant sans jamais tomber tout à fait dans les filets de l’Eurovision ou alors avec une bonne dose de dérision (Why Doesn’t Anybody Fall In Love Anymore), le tout zébré de riffs de synthés retro-futuristes ou de guitare saturée avec un sens du contraste assez irrésistible (dès l’imparable You Should’ve Gone To School en ouverture), Brian Christinzio live ici son meilleur album, hors du temps mais en plein dans l’esprit postmoderne à la fois candide, sincère et décalé d’un Jim Noir.





69. L’Orange & Kool Keith - Time ? Astonishing !


"Depuis The Night Took Us In Like Family en début d’année avec le toujours classieusement nonchalant Jeremiah Jae, le producteur désormais basé à Nashville revient en beauté du côté cinématographique et syncopé de la force, avec une bonne dose de samples improbables et autres émissions martiennes sur cette collab rétrofuturiste ressuscitant le Kool Keith de Dr. Octagon en plus décontracté et moins dépravé. Délicieusement barré comme une semaine de vacances les doigts de pied dans la Voie Lactée, Time ? Astonishing ! est un petit traité de physique quantique pour touristes intergalactiques avec pour seul défaut de filer comme une supernova."


< top hip-hop 2015 >





68. B/B/S/ - NK012


Après sa participation au dernier Crystal Shipsss, seconde et dernière mention pour Aidan Baker qui aura pourtant fait d’autres très belles choses cette année, que ce soit au sein de l’Hypnodrone Ensemble ou d’Adoran, avec Idklang chez Karlrecords ou bien sûr en solo... il faut croire que face à tant de talent décliné sans retenue on devient difficile. Dans le mème ordre d’idée, cette troisième collaboration en trois ans avec l’Italien Andrea Belfi et le Norvégien Erik K. Skodvin, avec ses crescendos de tension kraut/jazz/ambient particulièrement secs et minimalistes, me laisse un tout petit peu sur ma faim, sans doute l’exigence démesurée d’un inconditionnel des atmosphères à couper au couteau qui ne s’est toujours pas remis du fabuleux Coltre/Manto car intrinsèquement ce NK012 n’a pas grand chose à lui envier.





67. Ghostpoet - Shedding Skin


Emmené par le parfait single Off Peak Dreams sonnant un peu comme un retour aux sources, ce troisième opus d’Obaro Ejimiwe se fait en réalité plus électrique, souvent plus proche de l’indie rock atmosphérique que du (tr)hip-hop des débuts. Résultat, de bonnes chansons intenses à l’image du morceau-titre avec l’excellente Melanie De Biasio aux backing vocals, même si l’on se prend à regretter le groove urbain mélancolique et ténébreux du parfait Peanut Butter Blues & Melancholy Jam, sommet toujours inégalé de la discographie déjà largement célébrée du Londonien.


< la chronique d’Elnorton >





66. Mgla - Exercises In Futility


"Meilleure sortie black metal (canal historique) de l’année au côté du Dreaming I d’Akhlys dont je reparlerai plus haut, les Cracoviens de Mgla (prononcer "mgwa", brouillard en Polonais) qui fêteront leurs dix ans d’existence cette année (probablement en sacrifiant une chèvre ou deux) se distinguent de ces derniers ou encore d’Ævangelist en privilégiant aux murs de son claustrophobes et viciés un certain minimalisme hargneux d’où ressortent riffs catchy, batterie schizophrène en roue libre et grunt déclamé aux inclinations old school. Épique et martial, le résultat fera plaisir à ceux qui apprécient leur black metal sorti des vieux pots dont on fait encore parfois, avec le talent de ces deux-là, les meilleures soupes."


< top metal 2015 >





65. John Lemke - Nomad Frequencies


Le brillant touche à tout berlinois de l’écurie Denovali persiste et signe dans le mélange des genres paradoxalement cohérent et le mashup nomade d’atmosphères en lévitation qui avaient fait la réussite de son opus précédent People Do, entre mélancolie post-classique, beats IDM épileptiques, réminiscences dub narcotiques, électro-rock cinématographique, techno jazz hypnotique, drum’n’bass éthérée et on en passe faute de mots. Le tout, d’une belle élégance et infusé d’un lyrisme discret, s’écoute aussi bien en fond sonore à l’apéro que religieusement, au casque, en méditant sur nos propres rêves d’Ailleurs.





64. Crowhurst - Crowhurst


"Il nous avait plutôt habitués depuis quelques années à un certain stakhanovisme dans le harsh noise le plus abstrait et névrotique qui soit, entre tempêtes de bris de verre analogiques et manipulations électro chaotiques, mais quand Jay Gambit s’essaie au black metal et au doom on dirait qu’il a fait ça toute sa vie (cf. le déferlement démonique de Languorous Void). Pour autant on ne se refait pas totalement, le Californien n’hésitant pas à émailler de quelques stridences bienvenues l’orage saturé de Penumbra ou la grand-messe infernale d’It Is The Mercy, tandis que Lina Falsatta, habité par le chant erratique d’Eugene Robinson (Oxbow) renoue avec les averses d’échardes grésillantes, distos électro futuristes et autres larsens rugissants."


< top metal 2015 >





63. Gimu - Tired Lifeless All In


J’ai bien dû louper une demi-douzaine de sorties de Gilmar Monte cette année, mais celle-ci, grouillante d’étranges présences ectoplasmiques sans pour autant être plombée de bout en bout comme c’est souvent le cas avec les instrus tourmentés du Brésilien, m’a bien accompagné : le genre de murs de son organiques, denses et vaporeux qui vous détachent l’esprit du corps sans pour autant vous ratatiner les tympans. Dans la foulée, il ne faudra pas manquer d’écouter It Didn’t Either et Of The Spirit, Of The Space tout en maudissant les labels sourds ou malentendants auxquels le musiciens s’échine à envoyer année après année ses fantastiques albums, sans résultat jusqu’à présent.





62. Chelsea Wolfe - Abyss


"Dès le martial et saturé Carrion Flowers, le bien-nommé Abyss convoque de nouveau les tourments atones et hantés des débuts de la Californienne dans une veine moins lo-fi aux murs de guitare imposants. Entre deux progressions doomesques, l’héritage de l’opus précédent Pain Is Beauty a néanmoins fait son chemin et ces couplets acoustiques susurrés çà et là comme autant d’éclaircies (Iron Moon, Maw, Crazy Love) expliquent certainement la présence dans notre bilan pop/rock 2015, plus ou moins par défaut, d’un album non dénué d’émotion immédiate sous ses atours fondamentalement misanthropes de bande-son pour avènement des harpies de l’Apocalypse."


< top pop/rock 2015 >





61. Prefuse 73 - Rivington Não Rio


Je reparlerai dans un éventuel bilan EPs de l’excellent Forsyth Gardens, sommet cette année du beau retour en forme de l’incarnation électro du Floridien Guillermo Scott Herren après quelques disques un peu en retrait. Avec des morceaux chantés un peu trop évidents (à l’exception de Jabs Interlude où le contraste entre le spoken word spirituel de Milo et le rap enflammé de Busdriver fait son petit effet), ce long format n’en égale tout à fait ni la féerie glitch-hop séraphique ni l’efficacité syncopée façon future bass ou post-RnB - autant de genres que le cerveau de Savath & Savalas et Risil n’a pas manqué de préfigurer au tournant des années 2000 - mais ne démérite pas avec son lot d’instrus déstructurés acrobatiques à souhait (cf. Applauded Assumptions ou Jacinto Lyric Range, flirtant respectivement avec feu Depth Affect et les compères warpiens de Boards of Canada).


N’attendez plus, ils n’y seront pas :

- Noveller - Fantastic Planet

La production est idéalement contrastée et sous les doigts de fée de la guitariste new-yorkaise, les influences de Vangelis ou du Pink Floyd post-Barrett deviendraient presque respectables. Mais même quand les guitares se gonflent d’électricité, nous rappelant aux précédentes sorties plus abrasives de cette grande dame de l’ambient d’aujourd’hui, le futur qu’elles dessinent semble saturé de tant d’espoirs et de bonnes volontés qu’on en arriverait presque à regretter que tout aille désormais si bien dans le meilleur des mondes pour une musicienne que l’on avait connue plus inspirée dans la tourmente. Il manque finalement à cet album superbement maîtrisé mais sans doute trop harmonieux une bonne tempête sous un crâne.

- Earl Sweatshirt - I Don’t Like Shit, I Don’t Go Outside

Minimaliste, sombre et désespéré comme on s’y attendait, allez savoir pourquoi ce nouvel opus de l’ex OFWGKTA ne m’a pas fait l’effet escompté. Peut-être que le DIY aujourd’hui ultra-marketé par Colombia - et ultra-monotone, il faut le dire - du gamin de Los Angeles sent davantage la pose que le nihilisme patraque de l’auto-produit Earl, meilleure sortie à ce jour d’un collectif qui n’a dans l’ensemble pas tenu ses promesses.

- Sleater-Kinney - No Cities To Love

Célébrées en leur temps puis quasi oubliées, tout le monde s’extasie aujourd’hui sur le retour autocaricural aux relents art rock policés pas franchement excitants des trois riot grrrls d’Olympia, revenues sur le circuit après pas loin d’un décennie de hiatus et de projets perso. C’est à se demander si cette nouvelle recette moins rageuse, classieuse et tourmentée mais plus dansante, sans commune mesure avec les chefs-d’œuvre The Woods, One Beat ou Dig Me Out, n’a pas été légèrement calibrée pour le succès.


Articles - 23.01.2016 par RabbitInYourHeadlights