2011, derniers regards en arrière : 11 albums hip-hop

Sorti de la poudre aux yeux des Drake, Kendrick Lamar ou Watch The Throne et autres trips vaguement arty à la Shabazz Palaces ou Tyler The Creator plébiscités en masse par la presse indie rock (les deux derniers sans être mauvais ayant largement déçu mes espérances), 2011 ne fut pas un grand cru hip-hop. Heureusement, même une petite année compte son lot de beaux albums passés parfois entre les mailles du filet des pêcheurs au gros et les 11 qui suivent, garantis sans bling-bling, auront certainement de quoi faire régurgiter à Kanye ses bâtonnets de poisson du petit déjeuner.


Beastie Boys - Hot Sauce Committee Part Two1. Beastie Boys - Hot Sauce Committee Part Two

Les Beastie Boys n’ont plus rien à prouver... et le prouvent avec ce huitième opus aux allures d’album-somme. Rien que du neuf mais sans rien inventer, une bonne dose de groove saturé à la Check Your Head (ça commence fort d’entrée de jeu avec Make Some Noise), une poignée de collages post-modernes qui pourraient sortir tout droit du stock funky de Paul’s Boutique, une paire d’hymnes psyché-punk dans la droite ligne d’ Ill Communication (cf. l’électrisant Lee Majors Come Again) et même quelques échafaudages cosmiques dignes d’ Hello Nasty, dieu sait que le cancer d’Adam Yauch et la peur de voir se tourner l’une des plus belles pages de l’âge d’or du hip-hop auraient suffi à excuser bien des redites... Or il n’en est rien, nos trois new-yorkais à la quarantaine bien avancée faisant preuve ici de la même spontanéité et du même plaisir communicatif qu’à leurs débuts tout en maîtrisant leur sujet mieux que jamais (notamment en terme de production, particulièrement dense et travaillée), malgré quelques fautes de goûts assumées (ce poussif Don’t Play No Game That I Can’t Win vaguement dub avec l’affreuse Santigold au micro qui passe pourtant tout seul au milieu du reste). Comme quoi trois décennies de carrière dans les jambes, ça peut avoir du bon quand on a l’inspiration solide.

- Un deuxième avis.


Ghostpoet - Peanut Butter Blues & Melancholy Jam2. Ghostpoet - Peanut Butter Blues & Melancholy Jam

L’hypnotisme syncopé du dubstep, les synthés ténébreux du grime, des programmations électroniques nébuleuses, un soupçon de guitares new wave, quelques emprunts rythmiques à l’eskibeat de Wiley dans ses passages les plus impétueux, un flow aux rondeurs nonchalantes proche de celui de Roots Manuva... Ghostpoet aurait pu n’être qu’une sensation de plus dans le petit monde de l’électro/hip-hop d’outre-Manche, s’engouffrant dans les sillons tracés par d’autres à la manière de Dizzee Rascal ou plus récemment de Dels dont la dimension pop n’aura pas transcendé grand chose sur la durée. Et pourtant c’est à une véritable refonte du UK Garage et même du trip-hop de Tricky ou Massive Attack que s’est attelé le Londonien avec ce premier opus, replaçant le spleen et l’atmosphère au centre des débats sans rien sacrifier à la flamboyance d’un songwriting à la fois épique et moelleux qui a su se fondre à la perfection dans ces productions sombres et néanmoins accueillantes. Un mètre-étalon des années 2010 ?

- Un deuxième avis.


AbSUrd - Close To Distantly3. AbSUrd - Close To Distantly

AbSUrd par-ci, AbSUrd par-là, album de chevet, chanson de l’année, ça commencerait presque à passer pour du bourrage de crâne mais si ça a marché pour un branque comme Orelsan alors pourquoi pas pour le beatmaker virtuose de l’écurie anglaise Decorative Stamp que les rappeurs underground du monde entier nous envient ? Car s’il l’on sait désormais qu’il faudra compter avec les instrumentaux cinématiques et psyché du metteur en son de Murmur Breeze dont les dédales acoustiques en clair-obscur, tantôt erratiques ou sous-tendus de rythmiques implacables, se suffisent à eux-mêmes quand ils ne ménagent de l’espace à quelque flow ésotérique, mélancolique ou fébrile (Bleubird ou Ceschi sont notamment de la partie en plus des compères de label James P. Honey, jamesreindeer, Babel Fishh ou Papervehicle), on sait moins que dans la vraie vie AbSUrd s’appelle Julien et qu’il est français, cocorico.

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Sole - Mansbestfriend Vol. 54. Sole - Mansbestfriend Vol. 5

Si le troisième opus de Sole & The Skyrider Band restera comme l’une de mes grandes déceptions de l’année, tentative manquée de concilier l’instrumentation nébuleuse du trio floridien et des productions plus orientées vers ce hip-hop mainstream avec lequel Tim Holland a notamment coutume de jouer par le biais des reprises satiriques de ses mixtapes Nuclear Winter (un faux-pas que l’EP Challenger s’est néanmoins empressé de nous faire oublier), la série Mansbestfriend de l’ex patron d’Anticon n’en finit plus de tutoyer les sommets. Après la parenthèse instrumentale du génial Poly.sci.187, et dans l’intervalle d’un sixième opus plus minimaliste et mystique, le projet retrouvait de la voix sur ce volume 5 aux productions abstraites et lancinantes, réflexion uchronique sur un futur étrangement semblable à notre présent qui permet en outre à Sole de laisser libre court à son goût pour les manipulations noisy. Immersif et entêtant.

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Backburner - Heatwave5. Backburner - Heatwave

Si vous aimez le hip-hop mais avez manqué Backburner cette année, c’est sans doute que vous n’êtes ni Canadien, ni lecteur assidu d’Indie Rock Mag. Dix ans que l’on attendait cet album depuis les premiers pas du collectif en 2001 et d’autant plus au regard des exploits isolés de ses membres chez Hand’Solo Records ou ailleurs (et cette année encore au sein de Toolshed ou Teenburger classés plus bas), et le moins que l’on puisse dire c’est que Heatwave n’a nullement déçu, conciliant enfin la verve truculente des uns et la virtuosité tranchante des autres dans une grand-messe faussement décontractée, rarement ensoleillée mais jamais totalement sombre où chacun apporte sa petite pierre à l’édifice d’un hip-hop épique flirtant avec le rock, le jazz, la pop psyché, l’électro 8-bit ou même la musique de chambre. Une succession de tubes en puissance plus addictifs les uns que les autres.

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Beans - End It All6. Beans - End It All

Si Anticon aura bien besoin du retour en solo de Jel cette année pour retrouver un peu de sa superbe en terme de hip-hop, instrumental ou non, le label à la fourmi même bien entamé par le départ de Sole et un net ralentissement de ses sorties en 2011 aura au moins su accueillir comme il se doit le rappeur d’Anti-Pop Consortium, détachant notamment Son Lux et Tobacco entre autres invités de marque (de Nobody à Clark en passant par Four Tet, Tunde Adebimpe ou encore Sam Fog le batteur d’Interpol) pour offrir au New-Yorkais un lot de productions idéalement concises où promener son flow en décalage constant. Seul point commun entre toutes ces instrus comme pour rendre hommage à l’univers futuriste et mathématique du trio warpien, une certaine tendance à l’abstraction rythmique qui permet à Beans de tirer de l’ensemble une paradoxale cohérence et cette impression de continuité qui participe pleinement de la fulgurance de cet End It All. Un album expéditif mais complexe auquel on revient sans cesse.


Monsieur Saï - Soigne Tes Blessures7. Monsieur Saï - Soigne Tes Blessures

Oubliez les recommandations aussi régulières que douteuses des Inrocks et consorts, les grands du hip-hop francophone se comptent sur les doigts d’une seule main et Monsieur Saï en fait assurément partie, au même titre que Psykick Lyrikah ou Rocé... ou pourquoi pas Programme et NonStop puisque c’est du côté obscur de l’harmonie républicaine et de la bêtise humaine qu’il est question sur ce deuxième opus du Manceau aux pamphlets jamais démonstratifs mais toujours bien sentis. En faisant d’emblée se télescoper rimes désabusées et traits d’humour satiriques, saxophone en liberté et riffs orageux, instrus cinématiques et bêlements de moutons en guise d’acquiescement publique, Soigne Tes Blessures perpétue l’ironie acerbe du Nouveau Patriote mais en noircissant encore le tableau, à la mesure de ces détours de plus en plus sournois que prend la société pour nous faire avaler notre illusion de liberté.

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Deadverse Massive - TakeOver8. Deadverse Massive - TakeOver

Le premier album de Will Brooks en tant qu’iconAclass ayant parfois peiné à fixer sur sillons la pesanteur anxiogène et obsédante déployée en tournée par le rappeur de Dälek, c’est finalement le crew de son label Deadverse qui parvient à se placer avec cet exercice collectif tout aussi profondément ancré dans le hip-hop des années 90, dont les instrus mêlant beats oppressants, samples aux rondeurs funky et boucles de sonorités plus dissonantes convoquent la tension urbaine de Mobb Deep et du Wu-Tang des débuts, et cette coolitude de façade que l’on arbore la nuit pour mieux conjurer le danger, à ces coins de rue mal éclairés où s’affairent petits dealers, receleurs et autres souteneurs dans une atmosphère à la fois moite et âpre de plaisir facile et de violence latente. Un futur classique, dont les moments de bravoure s’imbriquent à la perfection pour former un ensemble d’une rare homogénéité.

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The Roots - Undun9. The Roots - Undun

Tout n’est pas parfait certes dans ce dixième album des Philadelphiens, mais comment résister au souffle et à l’ambition narrative de ce récit à rebours, trajectoire d’un petit dealer de sa mort prématurée au tournant de sa vie criminelle, magnifié par le sens de l’épure qui sied aujourd’hui mieux que jamais au producteur Questlove au point de convier un quatuor à cordes et d’inviter Sufjan Stevens à reprendre l’un de ses propres instrumentaux au piano en guise de final élégiaque. Quant au rappeur Black Thought, sa conviction semble démultipliée par les résonances personnelles qu’a engendrées chez lui cette histoire de jeunesse gâchée, culminant sur des titres aux refrains résolument mélodiques et mélancoliques tels que Make My, Lightouse ou Tip The Scale sur lesquels Dice Raw fait également merveille, autant de tirades humanistes empreintes de gravité dans la droite lignée du génial Rising Down.


Murmur Breeze - Foreshore Reverie10. Murmur Breeze - Foreshore Reverie

En version longue ou plus resserrée, que l’on préfère se perdre dans les méandres opiacées du CD ou aller à l’essentiel en vinyle, Foreshore Reverie se sera imposé cette année comme un véritable manifeste, pour l’esthétique du label anglais Decorative Stamp d’une part mais également pour le retour au premier plan d’un hip-hop plus organique aux influences transversales que préconisait déjà l’an dernier le vénéneux Doom Your Cities, Doom Your Towns des Irlandais de Melodica Deathship. Il sera d’ailleurs également question de folklore ici, et c’est en empruntant notamment à la musique traditionnelle chinoise, dont les cordes lancinantes parcourent l’album d’un bout à l’autre, qu’AbSUrd (hé oui, encore lui !) parvient à nous plonger dans cette atmosphère paradoxale de "tension zen" que vient habiter à la perfection le flow mystique de James P. Honey. Un disque envoûtant et a priori difficile à épuiser (Leoluce a testé pour nous).

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Subtitle - s.h.a.r.k. BRIEF11. Subtitle - s.h.a.r.k. BRIEF

Décidément bien malchanceux l’ami Giovanni Marks, qui non content de n’avoir jamais pu sortir ce s.h.a.r.k. BRIEF dans la version physique étoffée qu’il ambitionnait, échoue maintenant aux portes de ce top ten. Néanmoins relativisons, 11ème ça reste un très belle place et aux dires de Thavius Beck, son compère au sein de Labwaste (dont le tant espéré deuxième opus n’attend plus qu’un label au nez un peu plus creux que la moyenne pour enfin voir le jour), même en galère pour faire connaître au-delà du cercle d’initiés ses fulgurances futuristes et déliquescentes au romantisme décadent, le Californien se porte comme un charme - pour preuve notamment le récent EP instrumental Z.A.M./Fake Wars en libre écoute comme l’ensemble des sorties digitales de ce stakhanoviste du hip-hop synthétique admirablement désintéressé, mais que l’on vous engage tout de même à soutenir en cas d’affinité.

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25 très bons albums en rab :

12. Doc Singe - Kiss Of The Beast
13. Zone Libre vs. Casey & B.James - Les Contes du Chaos
14. Psykick Lyrikah - Derrière Moi
15. Del The Funky Homosapien - Golden Era
16. Wiley - 100% Publishing
17. Angerville - Warfare
18. The Garthim-Master & DJ Extend - Ghosts Of Nostalgia
19. iconAclass - For The Ones
20. Random Axe - Random Axe
21. Birdapres - Catch An L
22. Doomtree - No Kings

23. Papervehicle - Papervehicle
24. Teenburger - Burgertime
25. Speed Dial 7 - 11
26. Qwazaar & Batsauce - Bat Meets Blaine
27. Kaigen - Re : Bloomer
28. Atmosphere - Family Sign
29. Thurz - LA Riot
30. Toolshed - The Lost
31. Dope D.O.D. - Branded
32. CunninLynguists - Oneirology
33. Descry - As Serenity Approaches
34. Onry Ozzborn - Hold On For Dear Life
35. Pharoahe Monch - W.A.R. (We Are Renegades)
36. Astronautalis - This Is Our Science


5 labels essentiels :

1. Decorative Stamp
2. Marathon Of Dope
3. Hand’Solo Records
4. Fake Four, Inc.
5. Bandcamp... hé oui.


5 albums instrumentaux :

Car qui dit hip-hop dit rap et que je m’étais de fait interdit toute incursion dans l’abstract, le glitch-hop et autres univers instrumentaux apparentés, certes avares en sorties marquantes cette année mais à quelques exceptions près :

1. Blue Sky Black Death - NOIR (le duo ne s’étant guère foulé par contre dans ses productions pour Nacho Picasso)
2. Man Mantis - Cities Without Houses
3. Big Pauper - Beyond My Means
4. FRKSE - FRKSE
5. B.Lewis - Science Within Reason


5 mixtapes à ne pas manquer :

1. Sole - Nuclear Winter Volume 2 : Death Panel
2. Noah23 - Prefuse 23 Mixtape
3. Death Grips - Exmilitary
4. The Streets - Cyberspace And Reds
5. Latyrx - Latyrical Madness Volume One


4 concerts qui m’ont marqué, en un mot :

1. Saul Williams au Transbordeur (Festival Riddim Collision, Lyon) : tribal !
2. iconAclass au Sonic (Festival Riddim Collision, Lyon) : étouffant !
3. Dope D.O.D. au Transbordeur (Festival Riddim Collision, Lyon) : vénéneux !
4. Speed Dial 7 & Pip Skid aux Valseuses (Lyon) : jubilatoire !