Chez.Kito.Kat - 10 Years Compilation

On apprécie tellement Chez.Kito.Kat qu’il était tout simplement impensable de ne pas relayer la parution d’une compilation gargantuesque à l’occasion des dix ans d’existence du label. Initialement pensé pour être publié en double vinyle, 10 Years Compilation n’existera finalement que sous format digital, la faute à une conjoncture économique qui n’est pas de nature à favoriser de telles entreprises.

Side A :

1. KUSTON BEATER - Chicken Walk
2. SIGNAL2 - Eugene II
3. ALONE WITH KING KONG - Down In The Basement Again
4. DR GEO - Soap Bubble
5. TELEMAQUE - Groupie
6. THE SKANS - Heartbreaker
7. MR BIOS - Nautile
8. BEAT FOR SALE - On The Road
9. CLICHE - Divagabondage
10. KALIAYEV - Black Rain Falling (Feat Shadya)
11. FLEO - Croassroads
12. MAXIME ROBIN . Timewaves
13. SUG(R)CANE - Under the Sea
14. E1000 - Before After Now
15. TWIN PRICKS - Better View
16. MENY HELKIN - Fragment 8 (Dog Bless You original track)
17. DOG BLESS YOU - Hier Encore
18. THIRTEEN DEAD TREES - Every Tear Is A Pray
19. FILIAMOTSA - MontRoyal
20. DEAD BIRDS - They Are Alive
21. DIAPORAMA - Le Livre Rouge
22. KOMPARCE - Back To Monkland

Side B :

1. SH’NAPAN - Goodbye Buddies
2. NORSET.D - Disciples
3. MILLIMETRIK - Peninsula Mist II
4. MR BIOS - Cobalt
5. DET90 - 7 0 7 12 15 22 5
6. CINEMASCOPE & CYCLORAMA . Twin Asteroid
7. ARBEE - Gazon
8. CYCLORAMA - Reflecter
9. NO DRUM NO MOOG - In The Moog For Love
10. KOMPARCE - 1087
11. S.H.I.Z.U.K.A - Hikkikomori
12. ARTABAN - Pasta Calibro
13. DR GEO - #4
14. SYNTHESIS - Turn Around
15. ALEXANDRE MARTINEZ - La Nuit
16. S8N - Body Parts
17. ALONE WITH KING KONG - Private Jokers
18. DAILY VACATION - Palm Desert Rotor
19. IN CIRCLES - Sleep Less
20. MOUNT STEALTH - Geronimo
21. DOG BLESS YOU - Mad (Feat Wood & Carci)
22. E1000 - Flipside

date de sortie : Label : Chez.Kito.Kat Records

C’est bien la seule concession que s’autorise cette compilation, qui comporte quarante-quatre morceaux répartis sur deux faces (la première se basant sur des titres issus des millésimes 2006 à 2011, la seconde sur ceux qui ont été enregistrés depuis) pour près de trois heures et demie de musique. Vaste programme, et seuls les fans seront probablement assez courageux pour se lancer dans l’aventure d’une écoute intégrale et attentive.

Quel dommage tant le jeu en vaut la chandelle, et la démarche permettrait à ceux qui n’ont pas encore frotté leurs oreilles (pointues) au catalogue Chez.Kito.Kat d’en revenir avec quelques idées d’écoute. Surtout, 10 Years Compilation a la bonne idée de séquencer l’histoire du label en deux phases chronologiques, ce qui prend ici tout son sens.

Prendre conscience de l’évolution sonique du label constitue d’ailleurs l’un des autres intérêts de cette sortie. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cette évolution est perceptible, plus encore que ce que nos souvenirs auraient pu nous laisser penser.

Il faut dire que 2012 marque probablement une vraie rupture dans l’histoire du label, avec la sortie du chef-d’oeuvre Ghosts & Friends par Dog Bless You aka Samuel Ricciuti, patron du label, qui nous expliquait à l’époque qu’il mettait "moins d’énergie à rechercher les petites perles hip-hop venues des US. C’est peut-être signe de vieillesse. Je n’accroche plus aux textes du hip-hop français. Le bling bling, tout ça…Les priorités musicales et l’affect évoluent. En ce moment, je passe plus de temps sur soundcloud à rechercher des prods de la scène électronique et minimale allemande, hollandaise ou belge. L’électro minimale, ambient, house, c’est aussi un côté qui a toujours été très présent dans mon écoute et mes influences. Et il prend le dessus maintenant".

Cette orientation s’est effectivement précisée ces dernières années, et le premier volet de la compilation nous permet, après une ouverture de près de dix minutes sur le Chicken Walk du ’dandy de l’électronique’ Kuston Beater dont on évoquait ici la mixtape After Hate, de redécouvrir certains artistes du label. Tel est notamment le cas de la fusion électro-hip hop de Signal2, plus puissante que dans nos souvenirs ou le Black Rain Falling de Kaliayev avec Shadya au chant dont le registre rappelle finalement celui de Ninja, rappeuse de The Go ! Team. Se dégage alors un mélange détonnant entre l’instrumentation électro-pop, l’agressivité du flow féminin et la légèreté du chant masculin.

La pop est également à l’honneur sur cette face, avec un extrait du The Hardest Step d’Alone With King Kong ou un autre du premier EP de Twin Pricks. Même le rock à guitares avait à l’époque voix au chapitre dans le label puisque, si l’on n’avait évidemment pas oublié The Skans dont on attend depuis cinq ans un successeur à l’extraordinaire Alaska EP, s’invitent également la country-folk désenchantée à la Decemberists de Thirteen Dead Trees ou, moins subtil, le punk-rock mâtiné de cordes à la Dionysos de Filiamotsa.

Car là réside peut-être l’autre marqueur de l’évolution de l’histoire du label : il peut y avoir des titres - comme il y avait des disques - plus mineurs sur cette première période d’existence. On pense à l’extrait de Telemaque dont l’instru plutôt efficace ne suffit pas à masquer la pauvreté d’un flow aguicheur, ou le spoken word de Diaporama voire le titre de Maxime Robin.

Les réussites sont néanmoins nombreuses et Sug(r)cane ne manquera pas de nous surprendre, nous qui étions passés à côté du Under The Sea livré en 2010, avec cette voix soul à la Selah Sue sur fond de minimalisme à la guitare acoustique, teinté de quelques blips électroniques.

Evidemment, les artistes de la première heure sont à l’honneur sur cette face, et l’on retrouve avec plaisir Mr Bios avec son Nautilus qui donnait déjà dans l’onirisme électronique, tout comme Beat For Sale, projet réunissant les trois fondateurs du label ainsi que Kaliayev à la guitare, avec On The Road, l’une de ses plus belles réussites ou encore Dog Bless You avec un titre de la première heure sur lequel les mélodies étaient plus en retrait, laissant la place à des nappes sonores se rapprochant des drones, quelques accords de guitare et une batterie à tendance nu-jazz pour un résultat déroutant mais parfaitement convaincant dans sa capacité à susciter une émotion d’étroitesse et de mal-être chez l’auditeur. Le premier Komparce dans une veine plus onirique et forcément moins industrielle que ce qu’ils feront par la suite, laisse également entrevoir l’évolution de l’un des duos les plus marquants du répertoire du catalogue.

Enfin, on redécouvre Meny Helkin avec un titre paru sur le split avec Dog Bless You en mai 2010, en l’occurrence le remix de Fragment 8, titre justement composé initialement par Samuel Ricciuti ici revisité dans une veine déstructurée mêlant acid et IDM.



La face B est moins surprenante pour quiconque a suivi les récentes pérégrinations des proches du label. Elle est pourtant intrinsèquement plus passionnante encore que la première, ce qui tient en deux raisons essentielles : avec le temps, une sorte de sélection naturelle s’est opérée au sein du label et les artistes les plus ambitieux ont poursuivi l’aventure en étant touchés par une forme d’émulation. Surtout, là où Chez.Kito.Kat puisait ses inspirations dans différents registres, il s’est désormais recentré sur des artistes aux inspirations plus homogènes centrées autour d’une électronique onirique aux accents acid-ambient downtempo.

Certes, le manque de diversité peut nuire. Mais il ne s’agit-là que d’étiquettes. Et en recentrant son champ d’action, le label se dote désormais d’une forme de savoir-faire qui fait que l’on pourrait aisément reconnaître la "patte" de l’un des artistes qui y est signé. En bref, Chez.Kito.Kat dispose d’un son qui lui est propre. Et dans le cadre d’une compilation, cette donnée est précieuse. Cette face B s’écoutera presque comme un disque réfléchi et réalisé par un artiste à part entière.

Comme Chez.Kito.Kat ne fait rien comme tout le monde, ils choisissent d’ouvrir cette seconde face par un titre qui s’appelle Goodbye Buddies et est signé Sh’napan sur ce qui est la dernière sortie du label et dont on reparlera prochainement dans ces colonnes tant ce hip-hop downtempo onirique s’avère addictif. On retrouvera également Artaban (projet initial de la moitié de Sh’napan mené avec son frère Max Niles) pour un Pasta Calibro qui opère dans une veine assez proche, si ce n’est que le synthétisme y est peut-être moins présent et la progression plus marquée. Le potentiel de séduction est en tout cas assez similaire.

Les fidèles du label sont évidemment présent, et il convient de rapporter de nouveau les propos que Samuel Ricciuti nous avait accordés en 2012 à ce sujet : "Je ne suis pas franchement à l’affût de nouveaux artistes. C’est pas une obsession. Mais c’est vrai que, déformation professionnelle, j’écoute tout ce qui m’arrive aux oreilles avec attention, et quand ça me plaît, je me renseigne sur qui fait quoi, comment, pourquoi. Et si l’éventualité d’une sortie CKK est envisageable, j’y travaille. Les amitiés initiales sont toujours là, et pour nous, c’est très important. Twin Pricks, Dr Geo, Mr Bios, Alone With King Kong... Les prochaines sorties du label sont des suites logiques de rencontres. Car c’est comme ça que nous fonctionnons depuis le départ avec CKK".

Effectivement, ceux-ci sont pour l’essentiel présents sur cette deuxième face, d’un Dr Geo qui remettait l’optigan au goût du jour sur ses The Lo-Fi Studies et présent avec un #4 qui est paradoxalement l’extrait qui fait le moins honneur audit instrument, aux expérimentations IDM à la Autechre de Mr Bios, en passant par Alone With King Kong représenté par Private Records qui ouvrait le split avec S8N que l’on retrouve également pour la caution ’rock à guitares’ sur cette compilation. Une orientation dont Daily Vacation représentait en 2012 l’aboutissement avec un Yumaque encensé dans nos colonnes et représenté par, petite déception dans ce choix, Palm Desert Rotor, qui ne rend pas tout à fait grâce à la complexité des compositions de ce trio que l’on devrait retrouver avec une nouvelle galette pour le premier semestre 2017.

Samuel Ricciuti occupe également une place de choix sur ce versant de la compilation, alors même qu’il publie moins de contenus musicaux depuis son déménagement aux Etats-Unis voici deux ans. Komparce, dont il forme la moitié du duo, est ainsi présent avec l’oppressante 1087, issu d’un Zerlegzen plus cinématographique voire industriel que leurs sorties précédentes. Surtout, Mad, le sommet de Ghosts & Friends, plus grande réussite du catalogue du label, constitue un choix aussi bien de cœur que de raison.

Toutefois les nouveaux habitués de Chez.Kito.Kat, depuis 2012 mais ce phénomène s’est accentué depuis 2014, lorgnent surtout vers l’IDM ambient. En ce sens, Arbee (l’excellent Gazon), Mount Stealth (la cavalcade Geronimo), In Circles (Sleep Less), Norset.D (Disciples), Alexandre Martinez (La Nuit) ou Millimetrik (Peninsula Mist II) apparaissent fièrement sur cette face.

Difficile de passer sous silence la bonne surprise que constitue le Turn Around de Synthesis, extrait d’un Human (dont le successeur est attendu pour les prochains mois) qu’il conviendrait peut-être de réévaluer tant le duo explore sur ce titre des contrées tourmentées, à la fois oppressantes et lumineuses, rappelant les morceaux de Tricky sur lesquels il convie l’une de ses muses. La moitié du duo incarnée par Det90 s’invite également avec l’un des extraits les plus oniriques et envoûtants de 452090 et l’on appréciera également les circonvolutions déstructurées de No Drum No Moog.

Enfin, que serait une compilation Chez.Kito.Kat sans une contribution de Shizuka ? Avec l’IDM industrielle de Hikkikomori qui ouvrait en 2014 Between, l’un des chefs-d’oeuvre qu’il délivre chaque année depuis 2013, Anthony DoKhac, l’homme qui envoie chaque semaine ou presque des inédits à Samuel Ricciuti est finalement celui qui incarne le mieux le virage entrepris par le label ces dernières années : Chez.Kito.Kat, c’est à la fois une éthique à travers le partage de valeurs presque familiales, une émulation entre boulimiques de travail et l’établissement d’une patte sonore qui lui permet désormais de s’affranchir des comparaisons comme celle de Warp, pour proposer à l’issue d’un processus réflexif abouti, quelque chose d’absolument singulier et cohérent.

Chroniques - 14.12.2016 par Elnorton