Bilan 2015, un casse-tête chinois - part 2 : Albums #100 - #91

Comme l’an dernier 100 disques, par tranches de dix, du dernier au premier ce qui évidemment ne veut pas dire grand chose mais n’en déplaise à Drew Daniel qui a évidemment raison sur bien des points, un bilan annuel à l’instant T, fait en toute honnêteté avec soi-même et sans prétention d’exhaustivité car l’on ne pourra malheureusement jamais tout écouter, c’est autant de plaisir à lire qu’à faire.





100. Daniel Menche & Mamiffer - Crater


Nono en parle mieux que moi et si l’on pourra préférer de Mamiffer l’imposant Mare Descendrii entre ambient rituelle et post-rock pianistique, ou encore l’incantatoire et funeste Bless Them That Curse You avec les drone-metalleux Locrian (dont le dernier album en date échappe de peu à ce top), cette association d’Aaron Turner et Faith Coloccia avec le vétéran portlandien du soundscape sans concession (Daniel Menche, croisé aux côtés de Kevin Drumm, William Fowler Collins ou Mike Shiflet, chez Mego, Sonoris, Touch, Sub Rosa ou encore Important Records) ne manque pas de moments subjuguants, murs de radiations pullulantes et glacées encadrés par deux titres plus dynamiques au piano saturé.





99. thisquietarmy - Insect Kingdom


Eric Quach invente le drone entomologique avec ces deux longues plages contemplatives enregistrées live à l’insectarium Espace Pour La Vie de Montréal durant le festival Les Siestes Musicales de l’été dernier, et transposant dans l’infiniment grand de nos enceintes ce que pourrait être l’univers sensible de deux habitants de l’infiniment petit, la coccinelle et la piéride du choux. Pas très glam dit comme ça mais les crescendos synesthésiques qui en résultent sont saisissants, comme souvent avec le Canadien.





98. Emika - Klavírní


"Derrière la rupture stylistique d’apparence radicale, cette série de courts instrumentaux minimalistes renoue avec la sensualité ambivalente et tourmentée qui sous-tendait les joyaux noirs de l’album éponyme. D’accords cafardeux voire funèbres (Dilo 10, Dilo 11) en arpèges angoissés (le troublant hommage à Satie de Dilo 7), on y perçoit assez nettement l’ombre dramaturgique de Michael Nyman (cf. les Dilo 8 et 12), et bien que subsistent également quelques vestiges des structures chères à Philip Glass, mentor de ce dernier, ces fragiles remparts de lyrisme caressés par l’abîme du néant (Dilo 5) ne constituent qu’une éphémère échappatoire aux réminiscences de schizophrénie (Dilo 9) qui ne cessent d’aller et venir sous les gammes désespérées de l’Anglo-Tchèque, culminant sur la mélodie terrassante de tristesse d’un Dilo 6."


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97. Christina Vantzou - Nº3


Comme avec les deux précédents volets, la pensionnaire de Kranky livre un petit bijou d’ambient liturgique, drone harmonique d’inspiration post-classique qui doit autant aux atmosphères de la musique sacrée (des chœurs de Laurie Spiegel, CV ou Pillar 5 aux impressions d’orgue de Stereoscope) qu’aux rêveries et autres récollections d’un Leyland Kirby des débuts, avec lequel l’Américaine partage un certain goût pour les délicates esquisses mélodiques et les sonorités presque naïves de claviers et de synthés.







96. Massaith - The III


Digne du très bon et très barré II sorti en octobre dernier sur le même label CRL Strudios, le nouvel OVNI fleuve de l’Israélien Anatoly Grinberg aka Tokee (mais définitivement bien plus intéressant en hors format que sous cet alias IDM sévissant chez Raumklang) navigue entre électro et D’n’B abstraites, collages fantasmagoriques et chaos analogique semi-improvisé, cette fois sur une piste unique de plus d’une heure aux va-et-vient mentaux déstabilisants, illustrant la première année de vie de sa fille dont il tente vraisemblablement de nous faire partager la sphère émotionnelle encore privée du réconfort de la raison.





95. Colin Stetson & Sarah Neufeld - Never Were The Way She Was


L’accord est majeur entre le violoncelle et le saxo tantôt pulsés, angoissés ou affligés mais toujours lancinants de l’échappée d’Arcade Fire et de l’électron libre de l’écurie Constellation qui accompagna également ces derniers sur la tournée Neon Bible. Pour le reste, Le Crapaud vous décrira mieux que moi de ce "cinéma mental aux panaromas lugubres ou étincelants", l’un des albums improv/expé les plus remarqués de l’année, label oblige. En espérant que les néophytes ayant apprécié l’expérience aillent plus avant dans la démarche en s’intéressant davantage à cette nébuleuse musicale aussi fascinante que sous-exposée.





94. Jel - Greenball 6


Le patron officieux d’Anticon recycle à tout va sur ce sixième volet mais après tout c’est un peu l’idée des compils Greenball, regrouper des instrus pour la plupart déjà utilisés sur d’autres sorties. Qu’importe, le lot d’inédits que comporte cette beat tape en met plein les oreilles une demi-heure durant, culminant sur l’abstract insidieux et tendu de Fall Soon avec Dosh et Andrew Broder des fabuleux Fog - excusez du peu - et sur la miniature Paris Texas où le producteur de Themselves s’en donne à cœur joie à la MPC sur les nappes saturées du compère Odd Nosdam.





93. The Eye Of Time - ANTI


Après un beau disque acoustique sorti l’an dernier chez Denovali, Marc Euvrie (par ailleurs bassiste des hardcoreux Aussitôt Mort) revient quelque peu aux racines mélangeuses du projet, oscillant entre ambient spleenétique, indus cinématographique, électro gothique et orchestre de goules à la Penderecki sur ce disque évoquant le désespoir de l’homme face à un monde gâché par ses propres travers, miroir tendu à nos angoisses pour mieux nous tirer de notre apathie, cause de tous les maux à ce qu’il paraît.







92. Mika Vainio & Frank Vigroux - Peau Froide, Léger Soleil


Sans valoir les dernières collaborations respectives de ces deux figures de l’abstraction technoise, avec Joaquim Nordwall pour le Finlandais Vainio ou Ben Miller pour le Français Vigroux désormais sous le nom Transistor, ces déflagrations saturées entrecoupées de crescendos de tension plus feutrés comme du Carpenter à la sauce indus se dégustent glacées et dans le noir complet, euphémisme d’un titre dont les faux-airs de mois de mai sur l’ile de Ré ne tromperont personne.





91. Stefano Pilia - Blind Sun New Century Christology


Le guitariste transalpin des fameux Belfi / Grubbs / Pilia qui avaient fini très haut dans mon top l’an passé livre en solo un grand disque d’instrus mystiques, entre expérimentations analogiques plus ou moins discrètes (Blind Moon, Golgotha Chamaleon, Children Ghost) ou saisissantes (Blind Sun, Getsemanhi Crickets Night Air, The Cross Peregrin Falcon N. C.) et pures méditations americana au bottleneck façon primitivistes ricains (John Fahey, Jack Rose et compagnie ou plus récemment Daniel Bachman dont je reparlerai plus loin dans ce bilan).


N’attendez plus, ils n’y seront pas :

- Courtney Barnett - Sometimes I Sit And Think, And Sometimes I Just Sit

L’Australienne ne démérite pas en terminant 101ème du classement. Si l’incandescence d’une PJ Harvey ou l’intensité d’une Scout Niblett eurent été nécessaires pour vraiment marquer mon esprit, le mélange de morgue et de nonchalance qui fait le sel de ces chansons, des ballades les plus décontractées au petit hit vénère tous riffs dehors Pedestrian At Best fait plaisir à entendre, 20 ans après la grande époque Liz Phair dont Courtney pourrait être l’héritière.

- Godspeed You ! Black Emperor - Asunder, Sweet And Other Distress

Si la musique des Montréalais emporte toujours le morceau, elle est loin aujourd’hui d’avoir l’ampleur ou la puissance d’évocation des années Lift Your Skinny Fists / Yanqui U.X.O., et peine à rivaliser avec les meilleurs descendants drone metal du combo, d’autant plus évident depuis que ce dernier s’essaie plus ouvertement que jamais aux bourdons de guitare grésillants.

- Björk - Vulnicura

Malgré un superbe titre d’ouverture digne dHomogenic et les beaux moments de sincérité et de mise à nu qui émaillent régulièrement le disque, cette dernière livraison en date de l’Islandaise se perd trop souvent en digressions interminables, en faisant à mes yeux son album le plus dispensable.