De l’Ecosse au Bois Lacté avec Trashcan Sinatras.

Tout a commencé en 1993. C’était avec la sortie de I’ve Seen Everything qui avait été élu Album du Mois par la revue Les Inrockuptibles. N’étant pas familier du groupe écossais, je voulais connaître les raisons d’un tel mérite.

La magie et la délicatesse des compositions de Trashcan Sinatras ont opéré et ont su conquérir mon côté sensible. I’ve Seen Everything demeurera à jamais un chef d’oeuvre de la pop musique.

Je suis donc logiquement resté fidèle au groupe qui, jusqu’à son dernier album studio en date, Weightlifting (2004), n’a pas cessé de confirmer son talent d’écriture et de composition.

C’est donc avec une immense surprise et une grande joie que j’ai été contacté par John Douglas, le guitariste du groupe, qui offrait à Indie Rock Mag de répondre à quelques questions, réponses que nous vous proposons de partager ensemble.


- Il est très difficile de comparer votre musique à celle d’autres groupes : pourriez-vous présenter votre parcours et votre univers musical en quelques mots pour ceux qui ne vous connaîtraient pas encore ?

Notre univers musical est large et varié. Comme j’ai été élevé dans les années 70, mes premiers souvenirs musicaux de jeunesse sont des groupes comme Slade, Kenny, Sweet, Queen, Suzi Quatro, bien que dans la collection de disques de mon grand frère on trouvait aussi des trésors comme Alex Harvey, Bob Marley, David Bowie, Kraftwerk, Pink Floyd, Bob Dylan, Roy Harper, Can, Thin Lizzy, Led Zeppelin… A la fin des années 70, les groupes punk et new wave sont devenus mes héros : les Sex Pistols, les Clash, les Undertones, The Jam, Joy Division, Ian Dury, tous les groupes de Liverpool, tout ce qui sortait chez Two-Tone… Tard la nuit, l’émission de John Peel sur Radio 1 était essentielle : c’est là qu’on trouvait tout ce qui était moins commercial et qui était intéressant et source d’inspiration.
En tant que groupe, nous nous sommes formés dans la deuxième moitié des années 80, quand les groupes punk, new wave ou alternatifs s’étaient tous séparés ou avaient foiré et quand les charts anglais étaient bourrés de trucs infects : des groupes de dance music pour grands boulevards, du soft rock chevelu insensé. Les techniques de production étaient devenues sans âme : Stock, Aitken et Waterman étaient les plus coupables d’entre tous les producteurs, mais même les groupes qu’on disait « bons » étaient décevants. Les Smiths étaient la seule exception notable ainsi que des artistes méconnus comme les Go-Betweens, Tom Waits ou encore The Fall.
A travers nos furieuses discussions de bar, emplies de colère et de polémique à propos de la médiocre qualité de la musique du moment, nous avons découvert que nous avions des goûts communs comme le Velvet Underground, les Beatles, Joni Mitchell, les Pistols, la Motown, Dylan et Elvis, et un sain respect pour les songwriters, comme Bacharach & David, Jimmy Webb, Jacques Brel, Goffin & King, les frères Gibb, Willie Nelson…, bien que nos premières amours restaient, et restent à ce jour, le groupe, la réunion de personnes, des gens avec une osmose indéfinissable, comme de la magie, qui jouaient et composaient ensemble avec une éthique et des propositions communes.
Du caractère, de l’émotion, du sens, des mélodies, des guitares et de l’originalité…cela semblait être les règles de base pour tout groupe digne de ce nom et ainsi nous avons commencé avec de beaux idéaux tatoués sur nos cœurs.

- Les Trashcan Sinatras existent depuis bientôt 16 ans. Quel est le secret de votre longévité ?

Hé bien, nous sommes des rockers par nature. Nous avons une histoire et un ressenti communs et… conquérir l’espace semble être un processus plus long. Nous sommes pleins de talent, d’amour, on ressent bien les choses, une bonne répartition des dons, un rythme naturel et évident, de belles parties de guitares jumelles, un beau chant passionné, des harmonies émouvantes, le tout combiné à notre attitude collective d’écriture et d’arrangements individuels. Nous avons aussi une approche rare de la vie, merveilleuse et philosophique qui est l’apanage des habitants de la côte ouest écossaise. Nous prenons tout du bon côté et nous nous efforçons toujours d’y voir le plus clair possible.

- Vous êtes le guitariste du groupe. Pourriez-vous nous expliquer comment le processus d’écriture fonctionne chez les Trashcan Sinatras ?
John Douglas

Ça se passe tard le soir quand les rues se sont endormies. Les pensées et les événements de la journée ont fermenté, et, si la muse est dans le coin, la magie apparaît. Parfois les chansons arrivent toutes faites. Il y a des nuits où on capte une miette de séries d’accords. On met toutes nos découvertes nocturnes dans le pot et, quand chacun a touillé la soupe, une chanson des Trashcan (NdT : « trashcan song », jeu de mot sur « chanson de poubelle ») est prête à être servie ou gâchée.

- Quand on écoute vos disques, on pense toujours à des images. Avez-vous déjà été contactés pour composer une B.O.?

Non, nous attendons toujours patiemment un coup de fil de Monsieur Scorsese.

- Quel est le film pour lequel vous auriez aimé composer une B.O.?

« Under Milkwood », 1972, d’Andrew Sinclair.

- Quel est le livre qui pourrait décrire les Trashcan Sinatras et leur musique ?

Au Japon, on nous décrit comme un « groupe rock naturel » (Natural Rock Band). Nous sommes parfaitement d’accord avec cette étiquette. Le Rock Naturel, c’est le futur. Si j’avais un livre à prendre ce serait « Under Milkwood » de Dylan Thomas. Je sais, ce n’est pas vraiment un livre, Dylan Thomas l’a décrit comme étant « une pièce pour voix », mais, pour moi, c’est ce qui se rapproche le plus de votre question que je trouve franchement ridicule (Rires). C’est un trip halluciné de 24 heures dans la vie d’une ville et des ses habitants. Le riche brouillard du langage est réminiscent de certains de nos thèmes et de nos paroles et le sujet est large et coloré comme notre travail. Il parle de la vie, de l’au-delà, du désir, de la mort, de la nuit, de la jeunesse, du matin, de la mer, de la famille, de la violence, de la poésie, du surnaturel, de l’amour, du temps, de la musique, du temps qu’il fait, du travail, de l’observation, de l’humour : de tout ce qu’on aime.

- Quel est le dernier album qui vous ait bouleversé ? Pourquoi ?

Sur les dix dernières années, mes albums préférés ont été Love and Theft de Bob Dylan et Mule Variations de Tom Waits. Les chansons de Heirloom, un groupe d’Ayrshire, sont juste merveilleuses. Ecoutez leurs chansons magiques sur www.myspace.com/theauldloom. J’ai également découvert une magnifique chanson de Sinatra qui date de la fin de sa carrière et qui s’intitule It’s Sunday : fragile, sage, un Frank automnal et une guitare acoustique plaintive. Et pour les plus jeunes, The Ride par Joan as Policewoman, les fantastiques Midlake et les Super Furry Animals qui restent toujours une inspiration constante.

- Pour quelles raisons êtes-vous devenu musicien ? Et pourquoi la guitare ?

Je suis devenu musicien pour les raisons habituelles : l’amour, l’aliénation, l’incapacité à s’exprimer, l’angoisse et la colère… Mais, par dessus tout, l’amour. La guitare sèche était bon marché, transportable, belle et apportait des possibilités infinies. Le premier jour, ce fut le chant des sirènes… Finalement, la guitare électrique fut dans mes prix et il y a quelque chose de totalement séduisant dans le fait de dompter l’électricité, on le sent dans les cordes.

- Quels conseils donneriez-vous à des jeunes qui voudraient faire partie d’un groupe et se lancer dans une carrière musicale ?

Les règles d’or sont : « montrez-vous », ensuite « écoutez bien », puis « exprimez-vous » et « ne soyez pas effrayés des conséquences, bonnes ou mauvaises ». Un groupe est une belle chose mais seulement quand l’osmose est présente. Ensuite la plus appréciable et satisfaisante des joies arrive : la joie partagée.
Ensuite, « n’y pensez pas en terme de carrière ». C’est bien plus beau que cela. Être dans un groupe est un appel, une vocation. Faire de la musique peut être frustrant, l’inspiration passagère. Mais quand des esprits semblables se regroupent pour se consacrer à être dans un groupe, alors le son et les chansons peuvent être intemporels et compenser les plus mauvais jours. Elles peuvent vous rendre fou et briser votre cœur, mais si vous pouvez les appréhender et les faire vôtres, alors « c’est magnifique » (NdT : en français dans le texte).
Enfin, quand tout roule, « occupez-vous les uns des autres », la route est fatigante et les esprits s’échauffent. Relax, vous êtes avec des amis, profitez du voyage et de la compagnie. Un conseil plus terre à terre serait « voyagez léger, mangez tôt et bien, et soyez bons amis avec l’ingé-son ».

- En juillet dernier, votre premier DVD Midnight at the Troubadour est sorti (disponible uniquement sur le site officiel du groupe). C’est un témoignage d’une tournée de plus d’un an avec les Trashcan Sinatras. Comment se sent le groupe par rapport à la scène ?

Jouer en public est une bénédiction et une malédiction. On voit les gens réagir aux chansons, on doit donner vie aux titres, on rencontre et on entend l’avis des gens qui sont connectés à notre musique… On se rend compte qu’on n’est pas seuls et notre voyage est agréable et plein de sens pour les autres : on voit le monde.
Les mauvais côtés sont qu’on passe de très longues périodes loin de la maison. Les heures d’attente et de voyage peuvent être dévastatrices et un mauvais concert peut vraiment ruiner votre moral. Les soirées au Troubadour étaient le point d’orgue de notre tournée : une superbe salle, des vieux amis, ainsi que des nouveaux, … Et on a joué une de mes chansons préférée, venant de nos vieilles archives : I’m the one who fainted.

- Ça fait dix ans maintenant que l’Ecosse engendre de nombreux groupes de talent dans une scène musicale riche et variée. Comment expliquer cela ?

Pendant des siècles, l’Ecosse a été un pays qui chérit et exige une bonne éducation pour tous les gens de toutes les classes sociales. Ainsi, depuis notre tout jeune âge, nous sommes entourés par les fruits des esprits les plus talentueux. J’ai grandi dans une HLM (NdT : Working Class Housing Estate, = Quartiers d’habitations pour classes ouvrières) et sur nos étagères on trouvait Charles Dickens, Edgar Allan Poe, Robert Burns, sur la chaîne hi-fi familiale passaient Artie Shaw, les Clancy Brothers, Maurice Ravel, les Rolling Stones
Dans notre école, on étudiait l’histoire des Romains et la philosophie grecque. Dans notre ville, il y avait une bonne bibliothèque, dans nos rues des statues de poètes, d’auteurs… Mélangez tout cela avec des décennies de chômage, un excellent système d’aides sociales et le mauvais temps et vous obtiendrez de l’art, des tonnes d’art, peinture, poésie, livres, musique.

- Quel sera le futur proche des Trashcan Sinatras ? Est-ce que les fans devront attendre encore 8 ans pour apprécier un nouvel album du groupe ?

Nous répétons de nouvelles chansons. Les titres provisoires sont : Prisons, Astronomy, Easy On The Eye, The Engine, Down And Out In New York City, I Don’t Know How, The Neighbours Place, Come If You’re Coming et I Wish You’d Met Her. Et d’autres n’ont pas encore de noms, on les appelle The Shangri-Las tune, The Abba Tune, The J.Geils tune, The Fender Rhodes tune, The Camera Tune… Nous les écrivons et les arrangeons. Nous pensons les enregistrer tôt l’année prochaine avec une date de sortie probable pour l’été ou l’automne 2007.


Liens :
www.trashcansinatras.com
www.myspace.com/thetrashcansinatras

Traduction : Lloyd_cf. Un grand merci à lui.

Merci à John Douglas pour sa disponibilité, sa gentillesse et bien sûr pour son immense talent.


Interviews - 15.12.2006 par JohnSteed


La douceur fruitée des Trashcan Sinatras

Les Trashcan Sinatras s’apprêtent à sortir Oranges and Apples, une chanson en hommage à Syd Barrett. Dans un premier temps, cette chanson de 6min41 sera disponible sur I-Tunes à partir du 13 octobre 2008 et ce durant 3 semaines. Une partie des recettes sera reversée à l’association Syd Barrett Trust dirigée par la sœur de l’ancien Pink Floyd. Bien (...)