Entretiens à Twin Peaks : #25 - Monsieur Saï

Retrouvez chaque semaine dans nos pages les interviews de quelques-uns des contributeurs à la future compil’ Twin Peaks d’IRM. Aujourd’hui, on vous donne rendez-vous au Mans avec un habitué d’Indie Rock Mag : Monsieur Saï.

2016 aura été bien remplie pour le rappeur et producteur de la Sarthe : pas mal de concerts aux quatre coins de la France, une apparition flamboyante dans la compil’ Du Boucan sur les Braises avec les gars de Dezordr Records et puis L’Histoire des Hommes via Milled Pavement, une réflexion drôle et désespérée sur l’histoire de l’auto-parasite le plus con de la planète, c’est à dire nous ! Dans le sillon de Première Volte Digitale et de La Guerre ne Fait que Continuer, Monsieur Saï, nous refait un Il était une fois… l’Homme version spoken-word, un épisode de vulgarisation pessimiste de 30 minutes sur une seule piste, le gars nous parle de l’homme et de l’absurdité de son évolution faite de meurtre et de manipulation de masse : un exercice casse-gueule, mais ici archi-réussi. Ce feu que le Manceau a en lui, il nous en a fait cadeau puisqu’il nous a offert une piste (et quelle piste !) pour notre compil’ Twin Peaks, mais il l’utilise aussi au sein de SOMA Productions. L’année dernière, le label aura mis en avant N3O, le groupe de Nest et Sooolem, dont le futur L’Attaque des Baleines Cyborg avec Daez devrait arriver dans les jours à venir et de ce qu’on a pu écouter, l’affaire sent très bon ! Assez de blabla et place à l’interview de Monsieur Saï qui vous parle de Twin Peaks comme personne !




L’interview



IRM : Comment résumerais-tu ton rapport à Twin Peaks ? A l’univers de Lynch en général ?

Monsieur Saï : J’ai dû découvrir Lynch avec Lost Highway donc ça date un peu, j’ai longtemps été un fan inconditionnel, un peu monomaniaque, j’ai des bouquins sur sa carrière et tout. J’en suis un peu revenu mais j’ai rematé Blue Velvet récemment et je crois que c’est un de mes films préférés. Et puis sur tous ses films, les bandes-sons sont tarées. Pas juste la zic, mais toute l’ambiance. Je sais pas si t’as déjà écouté la BO de Eraserhead mais en gros, il a mis la bande audio du film sur le skeud et point barre. Bon il a peut-être un peu coupé dedans mais l’idée c’est ça.
Twin Peaks, j’ai découvert vachement tard, quand ils les ont réédités dans les années 2000, sinon, à moins de connaître quelqu’un qui avait les VHS, c’était chaud à trouver. Je crois que ce qui m’a le plus parlé, c’est l’humour pince sans rire de la série. T’es sur un truc tout pété sur le même format que Les Feux de l’Amour et tout tient sur un équilibre super précaire. Et c’est mortel. Je l’ai presque autant regardé que X-Files.



Ton personnage préféré dans la série ?

Le préféré je sais pas trop, j’aime bien les personnages secondaires en général. C’est souvent ce qui fait qu’un film ou une série a vraiment une identité. Le type du FBI qui se pointe pour aider Cooper - j’ai zappé son nom et la flemme d’aller sur Wikipedia (Albert Rosenfield ndlr) - il est complètement improbable. Tu le détestes tout le temps où il est là et en une seule tirade, il devient le mec le plus cool du monde. Et après on le voit presque plus, la classe.
Le perso de Shelly est assez dramatique aussi. Mais dramatique au sens terre à terre du terme. Elle existe vraiment Shelly, je la connais, j’étais au lycée avec elle. Tout le monde connaît Shelly. La fille qui se marie trop jeune avec un type violent, qui se retrouve dans des situations qui la dépassent pour essayer de rendre sa vie meilleure. Shelly, elle en a rien à battre de ces histoires de Loge Noire ou d’esprits de la forêt, elle a autre chose à foutre. C’est elle qui aurait dû être élue Miss Twin Peaks.

Une scène qui t’a particulièrement touché... ou fait flipper ?

Je vais pas être très original mais la scène du meurtre de Maddy Palmer est complètement folle ! T’as plein de sous-entendus psychanalytiques avec le père qui danse avec sa nièce qui ressemble à sa fille et qui la bute. (Ouais, j’ai carrément spoilé toute la série là). Toute l’émotion est dans le regard du géant qui répète "It is happening again" et les personnages qui se mettent tous à pigner sans raison sur le générique. C’est super bien vu.



Tu as enregistré un morceau pour notre future compilation Twin Peaks, quel aspect de la série t’a inspiré ? Toute anecdote est bienvenue !

En fait j’ai commencé à écrire sans avoir d’idée particulière, je voulais recréer l’ambiance. Le scénario est venu au fur et à mesure, je suis parti sur la suite directe, après le dernier épisode. Le challenge, c’était de pas être trop bavard pour que ça reste un peu mystérieux. Pareil pour le beat, j’ai essayé de faire un truc qui donne une atmosphère avec des coupures bizarres, comme dans la série. Avec plein de trucs cachés qu’on découvre plus tard. En fait, j’ai juste fait le fan qui voulait un bonus ou une scène coupée.
Le truc marrant, c’est que la BO de Twin Peaks je l’ai pillée dans tous les sens (presque autant que celle de Blade Runner) alors imagine ma frustration de pas avoir le droit de la sampler pour cette compile ! Du coup, j’ai dû recréer des faux samples et des faux extraits.

Tu as eu vent de quelques-uns des musiciens impliqués dans ce projet. Duquel es-tu le plus curieux d’entendre la contribution ?

J’ai envie de répondre comme Monsieur Connard : je suis surtout pressé d’entendre les contributions des copains : Dakota, Dezordr, nobodisoundz...

Un album vers lequel tu reviens quand il te faut ta dose de Garmonbozia ?

Si je comprends bien l’idée, le Garmontruc c’est de l’énergie négative qui donne envie de tuer des gens ? C’est pas joli joli tout ça. Je dirai que le morceau Nada 84 de Bérurier Noir fonctionne bien. Sinon, Absence de Dälek est un album que j’écoute avec parcimonie mais qui me fait toujours un effet assez puissant. C’est même pas un album de rap pour moi, c’est un mur de bruit, viscéral et extrêmement violent. En plus quand tu veux que tes potes se barrent et être peinard en fin de soirée c’est une valeur sûre.

En 2016 tu as sorti un excellent L’Histoire des hommes, on t’a aussi vu sur la non moins excellente compil’ Du Boucan sur les Braises de Dezordr Records. Quelques mots à leur propos ? D’autres projets sur les rails ?

Merci pour les retours positifs sur ces deux projets (ici et , ndlr). L’Histoire des Hommes traînait depuis un moment et je savais pas trop quoi en faire. Justin (Delareux qui se cache derrière le pseudonyme Vassily Dix et qui a bossé sur tous mes visuels depuis 2012) était vachement enthousiaste pour ce projet mais j’avais toujours d’autres trucs sur le feu. Finalement l’idée de le sortir en digital uniquement via les réseaux légaux permettait à la fois une sortie rapide chez Milled Pavement et de jouer sur la longueur du morceau et son prix. Une manière de troller l’industrie avec ses outils. Même si c’est complètement inoffensif, c’est plutôt marrant.
Je suis très content d’avoir participé à la compile de Dezordr. C’est le genre d’initiative qui donne envie de se défoncer, un peu comme votre compile avec Indie Rock Mag. C’est de la musique qui vit.
Sur les rails, j’ai toujours une tonne de wagons en marche mais je vais pas dire quoi que ce soit tant que rien n’est précis. Bon. On a peut-être une connerie derrière les fagots avec Monsieur Connard, mais tu lui dis pas que j’en ai parlé.
En revanche, on a des projets sur notre label SOMA Productions. On a sorti l’album de N3O cette année et Sooolem, le rappeur du groupe est aussi producteur sous le nom de Mitron Skovronski (il a notamment produit La Panne Optique et Mauvais Genre). Il a fait un album avec le producteur Daez qui verra le jour en Janvier. Uniquement instru, ça va être très très cool.




Monsieur Saï sur Bandcamp / Facebook / Twitter / Soundcloud




English version



IRM : How would you describe your relationship with Twin Peaks ? With the work/world of David Lynch in general ?

Monsieur Saï : I think I discovered Lynch with Lost Highway so it’s been a long time now, I have been a hardcore fan for a long time, even a little bit of a monomaniacal one, I have books on his works and everything. I eventually went back on this but I watched Blue Velvet again recently and I think that this is one of my favourite movies. And then there are always crazy soundtracks on his movies. Not just the tunes, but the whole mood. I don’t know if you’ve ever listened to Eraserheads OST but he basically put the audio track of the movie on the record and that was it. Well, maaaybe he just cut a little bit of it but the idea was just that. I discovered Twin Peaks really late, when they re-relased it in the ’00s, because unless you knew someone who had the VHS tapes it was hard to find. I think what made real sense to me was the deadpan sense of humour of the series. There you have a really broken thing on the same format than The Young and the Reckless and everything is held together very precariously. And this is heavy shit. I almost watched the series as often as the X-Files.

Your favorite character in the series ?

My favorite, I don’t know, I generally like the secondary characters. This is often what truly makes the identity of a film or a series. The FBI guy who comes in to help Cooper - I forgot his name and I’m too lazy to go online to look for it (editor’s note : Albert Rosenfield) - is completely unlikely. You hate him the whole time he’s there and then in one line he becomes the coolest guy in the universe. And then you seldom see him again, classy.
Shelly’s character is pretty dramatic too. But she is dramatic in a down-to-earth kind of drama. Shelly exists, I know her, I was in high school with her. Everybody knows a Shelly. The girl who marries a violent bloke too young, who finds herself in situations that overwhelm her to try to make her own life better. Shelly, she doesn’t give a fuck about these Black Lodge stories or Forest Spirits, she’s got plenty of other stuff to give a shit for. She should have been chosen as Miss Twin Peaks.



A scene that particularly moved - or scared - you ?

My choice’s not gonna be really unusual, but... Maddy Palmer’s murder scene is completely crazy ! You have a hell of a lot of psychanalytic innuendos with the father dancing with his niece who looks like his daughter and then kills her. (yes, I spoilt the whole series at this point). All the emotion is in the eyes of the Giant who carries on saying "It is happening again" and the charcaters who all start to moan without any reason as the credits roll. This is really well spotted.

You recorded a track for our forthcoming Twin Peaks compilation, what aspect of the series inspired you ?

In fact I started to write with no particular idea, I wanted to recreate the mood. The scenario came little by little, I went for a direct follow-up, after the last episode. The challenge was not talking too much, so that it would remain a mystery. I did the same for the beat, I tried to do something that gives a mood with weird cuts, just as in the series. With many easter eggs that you will discover later. In fact, I just played the fan who wanted a bonus or an unreleased scene.
The funny thing is that I looted the Twin Peaks OST in every way possible (almost as much as Blade Runner ’s) so imagine my frustration when I realized I didn’t have the right to sample it for this compilation ! So I had to recreate false samples and false extracts.

You heard about some of the musicians involved in this project. Which one are you the most curious to hear the contribution from ?

I would like to say the same as Monsieur Connard : I’m really eager to listen to my friends’ contributions : Dakota, Dezordr, nobodisoundz...



An album you often listen to when you need all your Garmonbozia ?

If I get the idea, the Garmonstuff is negative energy that makes you want to kill people ? That’s not a very nice picture, I’d say. I would tell you that this track, Nada 84 by Bérurier Noir works well for that. There’s also Absence from Dälek, an album I sparingly listen but that almost always affects me in a very powerful way. This isn’t even a rap album for me, it’s a wall of sound, visceral and extremely violent. Moreover, when you want your friends to leave you to chill out at the end of a party it’s a safe bet.

In 2016 you released an excellent L’Histoire des hommes, and you were spotted on the also excellent Dezordr Records’ Du Boucan sur les Braises compilation. A few words about that ? Other projects on the way ?

Thanks for the positive feedback on both projects. L’Histoire des hommes was lagging behind for a while and I didn’t quite know what to do with it. Justin (Delareux who hides behin the Vassily Dix moniker and worked on all my visuals since 2012) was pretty enthusiast for this particular project but I always had something else cooking. Finally, we had the idea to release it in digital form only via legal networks, as it allowed for a quick Milled Pavement release, and so we could play on the track length and its price tag. A way to troll the industry with its own tools. Even if it’s pretty harmless it’s rather funny.
I’m very happy to have been part in the Dezordr compilation. This is the kind of initiative that gives you the will to outdo yourself, the same kind of boost your IRM compilation gives. This is living music.
On my rails, there are always loads of wagons that are running down but I’m not going to tell until I precisely know. Well. Maybe we’d have some bullshit ready with Monsieur Connard, but don’t tell him I’ve talked to you about it.
However we have projects on our SOMA Productions label. We released N3O’s album this year and Sooolem, the band’s rapper, is also a producer under the guise of Mitron Skovronski (he produced La Panne Optique and Mauvais Genre amongst others). He did an album with producer Daez that will be released in January. An instrumental only album, which is going to be very, very cool.




Un grand merci à Monsieur Saï. Son morceau intitulé La Loge Blanche paraîtra sur notre compilation Twin Peaks au printemps prochain.


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