Tir groupé : ils sont passés sur nos platines (27/5 - 2/6/2019)

Quatre ans après l’arrêt du "Comité d’écoute IRM", on réactive le concept sous une forme hebdomadaire plus ouverte et spontanée : chaque dimanche, une sélection d’albums récents écoutés dans la semaine par un ou plusieurs membres de l’équipe, avec du son et quelques impressions à chaud. Car si l’on a jamais assez de temps ou de motivation pour chroniquer à proprement parler toutes les sorties qu’on ingurgite quotidiennement, nombre d’entre elles n’en méritent pas moins un avis succinct ou une petite mise en avant.





- Flowdan - Full Metal Jacket (24/05/2019 - Tru Thoughts)

Rabbit : Album plus classiquement grime pour le vocaliste récurrent de The Bug, qui brille surtout (dans la pénombre) pour l’enfumé Welcome To London aux beats deep et atmosphériques entre deux morceaux belliqueux aux voix pitchées plus racoleuses. Testé à la muscu et plutôt efficace ceci dit - on imagine bien le bonhomme caché dans un coin des vestiaires pour dealer de l’EPO !


- Haleiwa - Cloud Formations (5/07/2019 - Morr Music)

Rabbit : Une sortie Morr Music en hommage à notre tout dernier Comité d’écoute. Après l’aventureux et ardu EP d’Ellicist, on est ici à l’autre bout du spectre du label allemand, le Suédois Mikko Singh évoquant entre textures brumeuses et basse piquée à New Order ses compatriotes de The Radio Dept. sur ce charmant mini-album pop à paraître début juillet et culminant sur le lyrisme cristallin de l’instrumental Path Of Kahalu’u.


- Flying Lotus - Flamagra (24/05/2019 - Warp)

Rabbit : Pas de chronique en bonne et due forme pour Steven Ellison cette année... Indigeste au possible, cette première vraie déception discographique du Californien navigue entre r’n’b, prog, et le genre de musique de cartoons pour adultes dont il abreuve depuis pas mal d’années la chaîne Adult Swim. A l’exception d’Andromeda qui tient sur 1min30 les promesses d’échappées à la Tortoise de You’re Dead !, et d’un Black Balloons Reprise où le lyrisme à la Kanye des débuts du flow de Denzel Curry croise des chœurs de toute beauté, l’ensemble, assez vulgaire, ravira surtout la clique à Pitchfork toujours prête à sauter sur la moindre occasion de déguiser ses plaisirs coupables en petits canapés de caviar béluga.

Riton : La promesse d’une collaboration avec l’immense David Lynch teasée par une série de photos sur les réseaux et via le clip de l’étrange Fire Is Coming où notre réalisateur fétiche vient s’adonner au spoken-word, laissait entrevoir un nouveau disque surprenant, bizarre et aventureux. A l’inverse on se retrouve face à un album qui, certes fera mousser une bonne partie de la critique en ligne, mais qui prouve également que ce n’est pas en offrant un patchwork de 27 titres (par conséquent trop long) parsemés de collaborations tapageuses, que l’on crée de la consistance. Au contraire, on lutte contre l’ennui guidé par une somme d’insipides morceaux nu-soul, r’n’b poussif et électro de jeux vidéo où peu reste à sauver. Allez Steven, on se reprend !


- Tim Hecker - Anoyo (10/05/2019 - Kranky)

Rabbit : En dépit de son titre qui sentait l’ennui, peut-être bien le seul album réussi du Tim Hecker post- Ravedeath, 1972  : moins démonstratif et arty que ses prédécesseurs, le Canadien y retrouve un feeling organique dans une simplicité joliment pervertie par des harmonies de synthés en déréliction et l’utilisation plus centrale d’instruments japonais que sur l’inégal Konoyo de septembre dernier (dont le morceau d’intro This Life restera par contre le plus saisissant de l’auteur dHarmony In Ultraviolet cette décennie).


- Wren Dove Lark - A Boy’s Guide To My Galaxy (2/05/2019 - autoproduction)

Elnorton : Tout au long de ce disque, l’Américain basé à Nikko au Japon trimbale sa voix d’Alien, titre de l’imparable et évident single, sur des compositions partant dans tous les sens, admettant aussi bien les synthés les plus cheap que des ritournelles bien senties à la six cordes. Entre pop de chambre et electronica lo-freak, certains seront sans doute refroidis par les excès certains de A Boy’s Guide To My Galaxy quand les autres savoureront simplement ses grands moments emplis d’une sincérité et d’un sens mélodique auxquels la production soignée du français Alex De La Pampa rend justice.

Rabbit : J’ai aussi passé un bon moment en compagnie de ces petits cousins queer et passionnés d’OVNIs de Death Cab For Cutie dernière période. Ne vous arrêtez pas à la pochette photoshopée ou aux voix pitchées d’emblée un peu envahissantes, entre mal-être et légèreté l’album s’avère assez touchant, parvenant notamment à parler d’abus sans trop plomber l’ambiance (Good Old Boys).


- Jozef Van Wissem & Jim Jarmusch - An Attempt to Draw Aside the Veil (8/02/2019 - Sacred Bones)

Rabbit : Les mélodies de luth minimalistes du Hollandais rencontrent pour la quatrième fois la guitare électrique du cinéaste américain, ici tout en nappes de larsens et drones ésotériques. Inspirés notamment de William Blake, ces instrumentaux sombres et oniriques pourraient faire office de BO alternative à Dead Man, le chef-d’œuvre de ce dernier, tant la mort en tant que passage initiatique vers un au-delà plein de mystères semble en habiter les recoins plus ou moins méditatifs (The Unclouded Day, Final Initiation) ou menaçants (Dark Matter, When the Sun Rises Do You Not See a Round Disc of Fire).


- Bronnt Industries Kapital - Force The Line (8/05/2019 - Giallo Disco)

Rabbit : 10 ans après Hard For Justice, Guy Bartell renoue avec l’hommage au krautrock synthétique et aux BOs de films bis de l’underground 80s. Pas ma facette préférée du Britannique, auteur de ce chef-d’œuvre ou plus récemment celui-ci, cette mixture d’italo-disco biberonné à John Carpenter, d’électro vintage et de motorik est plus que jamais capable de passer des instrus les plus cheap et datés (Spring) aux plus sombres et réussis (le saturé et malaisant (Accumulator) mais ravira sûrement les admirateurs de Zombie Zombie ou du label Field Hymns.


- Jake Mandell - Magnetic Resonance (10/01/2019 - Schematic)

Elnorton : Le vétéran de la scène électronique de Woodstock est désormais basé à Boston où il travaille comme médecin. Après une pause de 15 ans, c’est désormais sur Schematic qu’il trouve refuge pour distiller des abstractions électroniques à classer entre dance, techno voire même IDM et drum & bass. Si les rythmiques prennent évidemment le dessus, les mélodies désenchantées (Insect Propellant) ne sont pourtant pas négligées et l’ensemble est finement construit.

Rabbit : Un peu trop radicalement techno pour m’emballer autant que la plupart des sorties du label de Miami, ce Magnetic Resonance n’en est pas moins redoutablement efficace, surtout quand il incorpore un soupçon de dub sur Echo Train, lorgne sur les disrythmies décadentes de la grande époque de Mr. Oizo sur Insect Propellant ou Build Big Digger voire les deux à la fois (Phantom Plane).


- Golden Ashes - Gold Are The Ashes Of The Restorer (10/05/2019 - Aurora Borealis)

Rabbit : Entre black metal étouffé au growl presque vaporeux et ambient à synthés dystopiques et guitares crépitantes, cette quatrième sortie de l’année pour Maurice de Jong des flippants Gnaw Their Tongues convoque ces sombres rêveries des années 80 revenues à la mode, dans l’esprit par exemple de la BO de la série Stranger Things. Une porte d’entrée presque "pop" et non moins excellente dans l’univers mystique et déliquescent du Néerlandais fasciné par la mort et l’au-delà.

Riton : Oh tiens ! Un énième projet de Maurice de Jong ? Oui ! Mais ici le Hollandais spécialiste du chaos occulte et dépravé (sur l’excellent Aurora Borealis) expose sa facette la plus synthétique, atmosphérique et étrangement lumineuse. Sans pour autant s’adoucir, son black-metal projette étonnamment ce qu’il a de plus beau, dans un amas de poussières étincelantes et exaltantes.


- Chris Weeks - Life Begins EP (21/05/2019 - Odd John)

Rabbit : Pour le Britannique chouchou d’IRM, la vie commence ou recommence à 40 ans, en témoigne cet EP enregistré pour son anniversaire. Un Late Bloomer, l’auteur de Conductor  ? Au moins pour ce qui est de la guitare acoustique qui l’inspira à ses débuts et qu’il remet finalement au centre des débats après une décennie de sorties drone ambient (sous son vrai nom) et IDM (en tant que Kingbastard). On y entend toujours beaucoup de textures oniriques, de field recordings triturés et de manipulations électroniques extra-terrestres, un peu de voix filtrée aussi, et c’est surtout un enchantement de tous les instants, souffle de vie à la croisée de l’ambient mutante et de la méditation folk.


- Quelle Chris - Guns (29/03/2019 - Mello Music Group)

Spoutnik : Cela va faire 6 ans que nous suivons l’évolution de Quelle Chris, depuis ses débuts et l’énorme Niggas Is Men  ; logiquement, depuis, le petit gars de Detroit est passé chez Mello Music Group, un label dont le cool lui allait comme un gant, 5 albums ont suivi, et un certain nombre de pépites notamment Being You Is Great, I Wish I Could Be You More Often qu’on pourrait qualifier d’album important, mais là, avec Guns, Quelle Chris franchit encore un cap et signe une des sorties hip-hop les plus abouties de 2019. Le Détroitien aborde de manière juste et fantastique le sujet de la violence, du contrôle des armes et de la fracture raciale et sociale aux USA. Alternant le frais et le sombre, posant son flow lent, décontracté mais réfléchi et inventif sur des productions à la fois exquises et multidirectionnelles, Quelle Chris marque les esprits à coups de tubes absolus (Straight Shot, You, Me & Nobody Else) et des pistes plus difficiles, abstraites ou frontales (Obamacare, It’s the Law). Un immense album à la portée de toutes et tous, que demander de mieux ?

Rabbit : J’avais lâché Quelle Chris depuis que Spoutnik n’était plus au taquet pour nous relayer ses sorties (héhé). Mal m’en a pris, en tout cas si tout est aussi réussi que ce Guns, où l’introspection la plus mélodique (sublime Straight Shot) côtoie le romantisme le plus soulful (You, Me & Nobody Else) ou décalé (Box of Wheaties), et des hymnes délicieusement absurdes et décadents (Mind Ya Bidness, ou l’énorme Obamacare) qui sonnent tout à fait appropriés dans l’Amérique de Trump, taclant notamment les défenseurs de la libre circulation des armes à feu ou une dangereuse proximité entre législation et religion du côté de la droite catho (It’s The Law).


- Slauson Malone - A Quiet Farwell, 2016–2018 (18/04/2019 - autoproduction)

Spoutnik : Slauson Malone est en fait le premier vrai projet solo du fils de la légende, plutôt "traditionaliste", du jazz, Wynton Marsalis. Avec A Quiet Farwell, le New-Yorkais déconstruit, coupe et échantillonne des sons si variés et obscurs qu’il semble impossible de créer quelque chose qui ressemble à de la cohérence sur la longueur d’un album, certes court. Oui, mais Jasper reconstruit et recompose tout ça avec génie, et d’une base, de prime abord, sporadique et décousue, il ajoute sa folie piquante et étrangement fascinante. Écoute après écoute, la vraie beauté abstraite de ce premier essai devient de plus en plus apparente et finit par vous sauter à la gueule. Et en plus de ça, ça groove, certes bizarrement, mais putain, ça groove ! Jasper Marsalis est donc quelque part l’antithèse de son père version post-hip-hop. Serait-il en fait le fils caché de John Coltrane ?

Rabbit : Un peu de mal à me faire un avis sur cet album effectivement un peu trop décousu peut-être mais définitivement atypique et mélangeur, qui évoque les vignettes de J Dilla, Knxwledge et autres bidouilleurs narcotiques et low end de la galaxie Stones Throw en phase avec les troubles du déficit d’attention propres à notre époque (comprendre : les morceaux durent en moyenne entre 1 et 2 minutes). Finalement c’est dans les moments les plus rap et cadrés que j’accroche le plus (02/26/12, Smile #2 feat. Maxo), ceux qui doivent faire bondir le paternel qui n’a semble-t-il jamais vu le hip-hop d’un bon oeil. Sinon moi j’aime bien Wynton Marsalis, moins les big bands que le post-bop marchant sur les traces du Miles Davis 60s (mais ça commence à dater)... le débat est lancé (ou pas) !


- Samsuo - The Other Gold Side (27/05/2019 - Whitelabrecs)

Rabbit : Plutôt fidèle à l’esthétique générale du label Whitelabrecs, du moins dans sa facette la plus minimaliste, ce premier album non autoproduit de l’Anglais Samsuo nous enveloppe dans un cocon vaporeux avec ses loops de drones opaques et ses touches de guitare ou synthés parcimonieusement distillées. Rêveur à souhait non sans quelques passages plus inquiétants (Scene Break), ce disque brumeux d’une lenteur consommée vous ennuiera à mourir ou encouragera avec bienveillance vos siestes musicales du moment, c’est selon !


- Jaeho Hwang - ‘Non​-​self 비자아’ EP (1/03/2019 - Chinabot)

Rabbit : Après la house-pop de Park Hye Jin, la miusique électronique coréenne est à l’honneur sur IRM. Fief privilégié des musiciens d’origine asiatique faisant dialogiuer tradition et modernité, c’est le label anglais Chinabot qui régale. Sans atteindre les cîmes du premier album de Sabiwa l’an dernier, cet EP est également construit sur un concept bouddhiste, l’anatta cette fois, ou impermanence de l’âme et de la personnalité, auquel fait forcément écho une série de morceaux aux influences variées, allant de la musique traditionnelle croisant percussions, flûte et chant électroniquement modifiés à l’ambient en passant par une techno-indus sombre et déstructurée. Vivement la suite en long format !


- Trigger Cut - Buster (1/05/2019 - autoproduction)

leoluce : Buster est le premier long format de Trigger Cut, trio allemand pas totalement inconnu puisqu’il naît sur les cendres encore fumantes de Buzz Rodeo, trio lui aussi, qui avait prématurément mis fin à son aventure en pleine tournée. Ralph Schaarschmidt n’a pas laissé sa guitare prendre la poussière et a immédiatement rebondi en amalgamant autour de lui Sascha Saygin aux baguettes et Daniel Wichter à la basse (qui avait d’ailleurs enregistré le dernier Buzz Rodeo, on reste en famille). Au programme, du noise rock canal historique qui s’il débarque d’Outre-Rhin pourrait tout aussi bien descendre de Chicago. Peut-être pas très original mais extrêmement addictif : guitare, basse et batterie enclument et lacèrent, offrant un écrin idoine pour le chant rugueux et c’est imparable. Secs et tendus, les morceaux très créatifs ne sacrifient néanmoins jamais la petite mélodie sur laquelle ils sont bâtis et ensemble, dessinent un disque tout à la fois urgent, bouillant, contondant et en tout point réussi. Superbe.

Rabbit : Un chanté-parlé (voire déclamé-beuglé) nihiliste à souhait, du noise rock à la fois déglingué/dissonant et lourd/frontal/matraqué, beaucoup de spontanéité, ces rejetons teutons de Shellac, Drive Like Jehu ou encore The Jesus Lizard m’ont également mis une bonne petite claque. De quoi réconcilier avec les guitares qui sonnent et résonnent même quand on n’est pas d’humeur !