Nine Inch Nails - Still EP

Un EP d’une formation de rock-metal industriel qui utilise des reprises de plusieurs morceaux de sa propre discographie ? A priori, voici un disque qui aurait bien plus sa place dans les disques à oublier que dans nos "chefs-d’œuvres oubliés". Et pourtant, il offre un magnifique voyage à la limite de l’album-concept, basé en l’occurrence sur une interprétation bien personnelle mais totalement assumée.


1. Something I Can Never Have
2. Adrift And At Peace
3. The Fragile
4. The Becoming
5. Gone, Still
6. The Day The World Went Away
7. And All That Could Have Been
8. The Persistence Of Loss
9. Leaving Hope

date de sortie : 22-01-2002 Label : Nothing Records

"Nine Inch Nails is Trent Reznor" pouvait-on lire dans le livret du premier album de la formation, Pretty Hate Machine, sorti en 1989. Depuis, les choses n’ont pas changé. Ou plutôt si, elles ont considérablement changé. Car si Trent Reznor est toujours le seul maître à bord du navire Nine Inch Nails, sa musique et ses influences n’ont, elles, jamais cessé d’évoluer. Ainsi, sur Pretty Hate Machine et son successeur Broken paru en 1992, Trent Reznor pouvait légitimement apparaître aux moins attentifs comme un simple métalleux. Les plus attentifs, eux, auront repéré quelques morceaux comme la ballade Something I Can Never Have qui ne pouvaient avoir été composés par le premier venu...

Mais ce n’est qu’avec la sortie en 1994 de The Downward Spiral que Trent Reznor saura parfaitement digérer ses diverses influences et proposer un album réussi de A à Z. Suivront des années d’addiction aux drogues, avant la sortie on ne sait comment du chef-d’oeuvre The Fragile en 1999, double album étouffant, oppressant, mais bien trop complexe et intelligent pour être enfermé dans ce registre de "rock industriel".

Malgré l’accueil critique et le succès public de ce monument, la dépendance de Trent Reznor et ses pulsions suicidaires ne cessent de croître, au point d’aboutir en 2002 à un programme de désintoxication drastique. C’est à ce moment même que sort l’album live And All That Could Have Been, qu’on peut toujours trouver dans le commerce aujourd’hui. Cependant, quelques chanceux auront eu la chance de tomber sur une édition limitée avec en bonus l’EP Still, désormais quasi introuvable à moins de la commander directement via le site du groupe. Et c’est bien de cet EP dont nous parlons aujourd’hui.


Mais assez de mise en contexte, abordons de ce pas le plus passionnant, l’EP en lui-même. Trent Reznor nous propose la version la plus dénudée de sa musique, loin de l’indus de ses débuts. Mais il réussit l’exploit de dégager davantage de rage encore en limitant le nombre d’instruments. Tout est suggéré derrière une voix paraissant plus intimiste que jamais, souvent accompagnée par de discrets effets et un piano jouant de simples notes en boucle. La recette semble banale et peu attractive, et ce n’est sans doute pas en précisant que sur les neuf morceaux, cinq sont des relectures quasi acoustiques d’anciens morceaux de sa discographie qui motivera quiconque à écouter cette galette introuvable.

Et pourtant, ce serait passer à côté de quelque chose de fabuleux. Dès les premières notes de piano répétitives de Something I Can Never Have, libéré de cette boîte à rythmes agressive qui faisait pourtant tout l’intérêt du morceau sur le premier album du groupe, la voix de Trent Reznor semble ici se suffire à elle-même. On est déjà envoûté, et les 6 minutes 40 semblent n’en durer que le tiers... Mais on n’est pas au bout de nos surprises.

Car avec Adrift And At Peace, premier inédit de l’album, Trent Reznor place déjà la barre très haut. La ligne de piano semble à la fois simple et alambiquée, les effets nous conduisent directement en bord de mer, un jour de brume ensoleillée. On sait que la tempête et l’orage vont arriver, mais on ne saurait dire quand... Cette tempête ne viendra finalement jamais, quelques coups de vent tout au plus. Un instrumental pour le moins déroutant, suivi de The Fragile, morceau éponyme de ce qui est alors le dernier album en date de Nine Inch Nails. Comme sur Something I Can Never Have, la boîte à rythmes agressive de l’originale est rangée au placard. Mais les changements de rythme affluent, et le morceau dans sa globalité gagne en rage, pas besoin d’attendre ici la dernière minute pour avoir envie de cracher sa haine à ce monde cruel, ce même monde passé à côté d’un tel chef-d’oeuvre depuis huit ans déjà et qui continue à tourner comme si de rien n’était...

S’ensuit The Becoming, le morceau le moins impressionnant de l’album. Sans doute est-ce dû à l’utilisation de la boîte à rythmes, ou tout simplement au choix moins judicieux de reprendre ce morceau, qui n’a peut-être pas la qualité mélodique des autres. Attention, la relecture n’en demeure pas moins excellente, et la valeur ajoutée par rapport à l’originale, bien réelle. Mais le rythme est peut-être trop soutenu, pas assez suggéré, pour un album aussi intellectuel que Still.

Pour le cinquième morceau de l’album, Trent Reznor arrivé en milieu de disque nous offre un second inédit, toujours instrumental, dont le rythme très calme contraste avec celui de The Becoming, la fameuse tempête annoncée par Adrift And At Peace et dont Gone, Still semble constater les dégâts. Un morceau au piano, se terminant avec des effets innommables mais majestueux, permettant un enchaînement tout en douceur (on distingue à peine le changement de morceau) avec The Day The World Went Away, peut-être le titre le plus différent de l’original. Autant sur The Fragile, ce dernier était tout en puissance, faisant dans l’efficacité plutôt que dans la dentelle, autant ici s’en dégage une mélodie totalement insoupçonnée, bonifiée par quelques libertés prises par rapport à l’originale, la boîte à rythmes faisant son retour à partir de la moitié du morceau. Quant à l’atmosphère globale, elle nous remet sur le chemin de l’individu qui constatait les dégâts causés par la tempête, fuyant cette fois la terre ferme dans une embarcation de fortune, comme effrayé par son propre monde...

Et tout s’articule tellement bien sur Still que le morceau suivant And All That Could Have Been semble suggérer, piano et boîte à rythmes décomplexés à l’appui, que notre individu arrive enfin sur une nouvelle terre (une île ? Un phare ? Pas un monde comme celui qu’il a quitté en tout cas, l’atmosphère change et bascule ici), et prend le temps de la découvrir, passant de la peur (liée à ce nouveau monde ? Au fait de quitter sa terre d’origine ?) à la joie. La voix de Trent Reznor, on pourrait le dire de chaque morceau de l’album mais sur celui-ci tout particulièrement, est libérée de toutes les contraintes liées au genre. L’américain se livre à un exercice périlleux, basé sur des changements de rythmes et de registres assez déroutants.

Il prépare en outre la fin du disque avec The Persistence Of Loss, instrumental et troisième inédit. C’est évident désormais, c’est sur un phare que notre ami est arrivé. Il passe la première moitié de la chanson à monter jusqu’à son sommet, piano répétitif mais pertinent à l’appui, jusqu’à observer la vue panoramique, d’où il aperçoit sa terre d’origine non sans un brin de nostalgie. Avec Leaving Hope, morceau final qui débute sur un interlude déprimant au possible, Trent Reznor nous propose le dernier instrumental inédit de l’album, mais incontestablement le plus beau. On peut librement penser que le morceau final d’un album a une influence considérable sur les grandes oeuvres, et à ce petit jeu-là Nine Inch Nails est décidément doué, réussissant ici plus grand exploit encore que sur The Downward Spiral où le Hurt de clôture semblait indétrônable en terme de beauté. Ici, Leaving Hope fait encore plus fort, avec un effet venu d’on ne sait où qui nous accompagne quasiment du début à la fin vers l’issue de l’album (et de la vie de l’individu ?), le tout accompagné par des notes de piano, toujours simples mais plus inspirées que jamais, et quelques ponts, changeant le rythme du morceau comme pour nous informer que l’individu en haut de ce phare hésite quant à la suite à donner à sa vie, réfléchit, se livre à un questionnement philosophique. Et décide finalement de se jeter dans le vide au bout de 3 minutes 58. La suite du morceau, plus dénudée que jamais, pourrait être illustrée par le corps inanimé de notre héros frappé par les vagues d’une mer et d’une nature qui, il le sait depuis le début, lui prendront la vie.

Still est donc un EP construit comme un album (9 morceaux pour plus de 40 minutes tout de même), extrêmement cinématographique, à la limite de l’album concept. Le tout avec rien de plus qu’une voix, un piano, et quelques effets (parmi lesquels une boîte à rythmes qui sait se faire rare), et réutilisant plus de la moitié des morceaux pour leur donner à chacun une seconde vie, à chaque fois plus belle encore que la première. Merci Trent.

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