Mon année 2014 en 100 albums - Part 7
Mes favoris de l’année écoulée triés sur le volet à l’instant T, 10x10 albums tous genres confondus et quelques bonus à la fin (meilleurs EPs, labels, etc.), voilà ce qui vous attend dans cette série qui réduira faute de temps les commentaires au strict minimum (les deux tiers des disques mentionnés ayant été chroniqués dans les pages d’IRM, vous savez où aller).
Sortez les écouteurs, immersion au casque de rigueur pour cette nouvelle salve où impressionnisme et spiritualité le disputent au chaos et à l’obscurité.
40. Charlatan - Local Agent (Umor Rex)
"A mi-chemin des turbulences angoissées d’une kosmische musik fantasmagorique et des tréfonds grouillants du marais dub-ambient le plus glauque, Brad Rose livre sa vision du thriller d’espionnage sci-fi, résolument lovecraftienne. Zébré de vapeurs abrasives et de glitchs vintage dissonants, sous-tendu de beats technoïdes aux pulsations organiques décousues, Local Agent ne conviendra sûrement pas à toutes les sensibilités - pas plus que les masses de drones post-indus en fusion du projet parallèle The North Sea dont l’Américain imaginait il y a deux ans chez Field Hymns la rencontre avec Charlatan - mais s’avère capable, tout ardu et déstructuré qu’il soit, de moments de grâce inattendus irradiant sous leurs distos stridentes d’une quiétude salvatrice (Lonely City)."
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39. jamesreindeer - مدينة الياسمين - The City Of Jasmine (Autoproduction)
Dans la continuité de son album Six Six Seven de l’an passé dont il décline la pochette noire de suie en un gris anthracite parfaitement raccord avec la tonalité générale de ces chroniques du front partagées entre mélancolie, désolation et mystique malaisante, The City Of Jasmine ça n’est plus complètement du hip-hop, encore moins que son prédécesseur sans doute tant ce disque enregistré durant les sessions de répétition du rappeur et musicien anglais pour un festoche allemand laisse les sombres instrus arabisants aux incursions jazz névrotiques, les field recordings lancinants façon Iron Filings And Sellotape et autres samples hypnotiques de chansons moyen-orientales amener à leur climax les charges martiales de son flow habité.
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38. Erik Honoré - Heliographs (Hubro)
Si Hubro a déjà derrière lui 5 ans d’exploration de cette nébuleuse jazz expérimentale norvégienne flirtant régulièrement avec l’ambient, la noise et l’improvisation, gageons que cette année ce sous-label de l’écurie indépendante Grappa Musikkforlag sera sorti pour de bon de la confidentialité pour se mesurer au mythique Rune Grammofon. Entre Møster ! et cette première échappée solitaire du génial Erik Honoré, collaborateur récurrent de David Sylvian, on est en effet dans le haut du panier et avec Jan Bang aux pulsations impressionnistes, Arve Henriksen à la trompette psyché, Eivind Aarset à la guitare déliquescente et la grande Sidsel Endresen aux mantras angoissés pour rendre la pareille a l’ex Velvet Belly qui les avait tous épaulés à un moment ou à un autre de ses 25 années de carrière, Heliographs ensorcelle par ses troublantes rêveries somatiques empruntant à la dub techno comme à la musique de chambre contemporaine.
37. Tindersticks - Ypres (City Slang)
"Bande-son on ne peut plus austère et plombée d’une exposition permanente consacrée par le musée local In Flanders Fields World War One aux ravages de la Grande Guerre dans la cité belge du même nom, Ypres couche sur sillons ces poignantes élégies orchestrales proches du classique contemporain où nappes de cordes funestes (Ananas Et Poivre), cuivres lourds de menace et tambours inquiétants au second plan (La Guerre Souterraine) voire même une flûte contemplative sur le post-traumatique Gueules Cassées n’ont pas tant pour vocation d’évoquer le cauchemar du conflit que de nous plonger dans une atmosphère imprégnée d’émotions contradictoires, fatalisme et espoir diffus, résignation et tristesse infinie, beauté du tragique et désolation mortifère, à l’image du glas que sonne Whispering Guns en ouverture sur plus de 12 minutes d’harmonies crépusculaires et angoissées. Terrassant."
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36. Monade - Puni (Xtraplex)
"On progresse à la serpe numérique dans un labyrinthe de beats fractionnés et de mélodies oniriques qui laisse enfin, après deux premiers disques flirtant avec l’ambient, s’épanouir pleinement le goût du Turinois pour l’IDM des grandes heures du label Warp... au point de rendre rendre hommage à la fausse candeur d’outre-rêve de Boards of Canada (Freq 1) mais sans pour autant tomber dans le piège de la démonstration technologique purgée de toute ambiguïté et de tout sentiment comme le récent Syro de vous-savez-qui. Car au contraire de l’Arlésienne à barbe, Monade n’a jamais rien eu à prouver ni de fanbase démesurée à contenter et sa personnalité ne cesse de s’affirmer, qu’il cherche à insuffler la vie dans une culture en éprouvette de circuits imprimés (Ak L) ou s’abandonne au spleen carillonnant d’une berceuse pour moutons mécaniques (Vinics)."
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35. Anjou - Anjou (Kranky)
"Quasiment vendu par Kranky comme le retour Labradford, ça n’est pourtant pas l’association de ces derniers et Steven Hess mais bien l’équation Pan·American + Robert Donne qui préside à ces abstractions texturées mariant batterie feutrée, drones de synthés bucoliques et pulsations analogiques glitchées. Cette seconde collaboration des trois Américains s’inscrit en effet dans la continuité électro-acoustique foisonnante et cardiaque du superbe Cloud Room, Glass Room de l’an dernier sur lequel officiait déjà Bobby Donne à la basse, esquissant ses espaces urbains proches du futurisme dans un esprit paradoxalement pastoral et lo-fi. Maître d’une temporalité suspendue où la moindre réfraction de lumière semble prendre corps dans un rai de poussière tendu vers l’infini, le trio évoque la démesure hallucinée que prennent les cités désertées aux premières lueurs de l’aube, lorsque la fatigue aidant, nos yeux voient moins qu’ils n’extrapolent à partir du jeu d’ombres et de scintillements des édifices de verre et de béton."
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34. tētēma - Geocidal (Ipecac)
Parfois il suffit de faire la bonne rencontre pour enfin toucher du doigt ce qu’on cherchait à accomplir depuis des lustres sans le savoir vraiment. Mike Patton en sera témoin, lui qu’on avait croisé aux beuglantes schizophréniques des Moonchild de John Zorn (jusque sur le dernier en date qui dans la droite lignée de Templars privilégie, orgue à l’appui, des jams psychédéliques plus mesurés) et aux crédits de la compilation Crime And Dissonance rassemblant quelques-unes des meilleures compos horrifiques et avant-gardistes du Morricone versant giallos et thrillers transalpins - figure tutélaire évidente de ce Geocidal, de Ten Years Tricked à Death In Tangiers - sans qu’aucune de ces expériences ne vienne jamais phagocyter aussi ouvertement la musique pourtant bien déglinguée de ses propres formations. Il aura donc fallu qu’arrive le compositeur australien Anthony Pateras, coutumier des labels Tzadik ou Editions Mego, pour que les borborygmes belliqueux, murmures menaçants et autres incantations baroques du chanteur de Faith No More (de retour en avril, c’est officiel et il y a même du son !) trouvent un écrin à leur mesure, entre cavalcades percussives, crescendos mystiques, jazz de film noir et chamber music cauchemardée. Et pour qu’à nouveau l’on frissonne ("tētēma" en Swahili) comme on ne l’avait plus fait depuis longtemps à l’écoute d’un projet du vocaliste protéiforme de San Francisco.
33. David Shea - Rituals (Room40)
Les rituels du Melbournais ne ressemblent à rien d’autre, façonnant pour chaque morceau un univers à part entière où l’impact physique de la transe tient autant de place que l’imaginaire ésotérique qu’elle génère. Il faut dire que Rituals résulte de 5 années de travaux, combinant acoustique, électronique, grondements orchestraux macabres à la Penderecki (Emerald Garden), field recordings d’une nature primitive rattrapée par la civilisation (le train filant dans la forêt vierge de Wandering In The Dandenongs) et percussions mystiques sous l’influence des mythologies, croyances et traditions musicales asiatiques ou encore des pionniers italiens du minimalisme orchestral ou de expérimentation sur bande comme Giacinto Scelsi ou Luc Ferrari, pour allier profondeur des textures et ampleur des compositions, souffle ancestral et méditations post-modernes - au risque de flirter parfois avec le kitsch (le piano du tortueux Rituals 32) mais ça n’est pas en demeurant dans sa zone de confort que l’on atteint de tels sommets et David Shea l’a bien compris !
32. Seez Mics - Cruel Fuel (I Had An Accident/Crushkill Recordings)
Cruel Fuel, c’est d’abord le flow charismatique de Seez Mics, son goût d’un hip-hop ultra-métissé qu’on croyait perdu depuis la grande époque d’Anticon et ses chansons introspectives réveillant les démons que d’aucuns auraient préféré laisser engraisser au placard, quitte à leur abandonner l’ascendant sur leur vie. Mais Cruel Fuel, c’est aussi et surtout le tour de force d’un certain Max Bent, producteur de l’ombre qui réalise l’intégralité des instrus de l’album avec pour principal instrument... sa voix ! Un travail de beatbox tellement porté sur l’abstraction qu’on ne le remarque pas immédiatement, si ce n’est pour ces nappes de chœurs hantés qui enveloppent le disque de leur aura mystique, à l’aune des mantras existentialistes du MC. Du grand art, boosté par un premier tiers de disque particulièrement fameux (si tout avait été du même acabit, l’album gagnait 30 places, c’est dire), et un chef-d’œuvre de plus à mettre au crédit du label IHAA cette année.
< lire la chronique de Spoutnik >
31. Illuha - Akari (12k)
Chaque année compte son lot de beaux albums ambient voués à la délicate émulsion d’une instrumentation néo-classique avec des éléments issus de l’électronique, du drone et du field recording, mais rares sont ceux capables de prêter autant d’espace, de liberté et d’attention au détail que cette fascinante troisième sortie du duo formé par le Tokyoïte Tomoyoshi Date (moitié d’Opitope avec Chihei Hatakeyama et de Melodía avec Federico Durand, cf. l’excellent Saudades), et son compère Corey Fuller, Américain émigré au Japon dès l’enfance puis retourné vivre aux US. Rappelant quelque peu l’univers de leurs compatriotes Minamo en plus impressionniste, ce premier opus enregistré par le duo sans contrainte de distance durant une tournée au Japon irradie d’une ampleur nouvelle, à la mesure de ces longues rêveries scintillantes suspendues entre atonalité et mélodie, dont la fausse quiétude agitée de l’intérieur par mille cliquetis mouvants culmine sur le doux séisme subaquatique d’un Relative Hyperbolas Of Amplified And Decaying Waveforms au piano liquéfié par le poids des regrets.
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