Top albums - octobre 2014

Au hasard des albums plébiscités le mois dernier par les membres du FIR se croisent des musiciens qui font exactement ce qu’on espérait d’eux tout en poussant plus loin encore leurs singularités (les névroses de Pharmakon, l’ampleur de Wrekmeister Harmonies, la nonchalance pour Baxter Dury) et d’autres qui empruntent des chemins détournés pour aller voir ailleurs, si on les suit toujours (Oren Ambarchi et sa suite "microsound" hypnotique, Primus lâché tel un gremlin sur pellicule, le requiem des Tindersticks).

Au milieu, certains parviennent même à combiner les deux (Flying Lotus encore plus jazz, Musée Mécanique nettement moins réservé), et tous, finalement, se rejoignent dans la réussite générale que constitue ce cru d’octobre avec plus de 120 disques mentionnés aux urnes par les rédacteurs d’IRM et les votants de son forum.


Les résultats



1. Flying Lotus - You’re Dead !

"L’album le plus ouvertement jazz du petit-neveu d’Alice Coltrane a beau concéder comme Cosmogramma avant lui quelques friandises frelatées aux hipsters - Never Catch Me avec Kendrick Lamar pourtant parfait musicalement et Dead Man’s Tetris avec Snoop Dogg, deux incursions hip-hop qui cassent un peu le trip - c’est surtout l’héritage classieux autant qu’aventureux du John Coltrane free et méditatif des dernières années (Turkey Dog Coma, Moment Of Hesitation), du bebop cosmique des meilleurs Sun Ra (Tesla, avec Herbie Hancock aux claviers, rien que ça) ou du visionnaire Tortoise de Standards que l’on entend ici.
Un rétro-futurisme qui atteint ses limites lorsque la basse vintage de l’omniprésent Thundercat confond circonvolutions libertaires et emphase datée (Fkn Dead) mais qui en général fait mouche (ou plutôt tortue, les Chicagoans sus-nommés n’étant pas étrangers aux lignes... hum... reptiliennes d’Eyes Above ou de la déferlante post-jazz Cold Dead), quelque part entre les cieux (la nu-soul séraphique de Coronus, The Terminator et son prolongement éthéré, Siren Song) et l’arrière-boutique enfumée d’un club jazz 70s de film blaxploitation où deux personnages dissertent sur la mort avec la gouaille et le sens de la dérision d’un vieux Tarantino."

< lire la suite >

En guise de mise en bouche, "le chamanique Turtles aux troublantes harmonies vocales samplées sur le score de L’oiseau au plumage de cristal d’Ennio Morricone :




(Rabbit)


2. Oren Ambarchi - Quixotism

Cet excellent Quixotism est remarquable à au moins deux titres.
Le premier, c’est le pulse. Ce battement hyper régulier qui sous-tend la pièce (divisée en cinq "mouvements", si vous voulez) donne à l’ensemble cette impression saisissante de "slow burning", de feu qui couve, même au moins fort des passages les plus sourds (le début principalement). Quixotism, disque aux confins de l’ambient, du drone, de la musique contemporaine et de la microhouse peut se permettre d’être presque dansant ici (le temps d’une splendide troisième partie), ou d’être au bord du silence ailleurs : jamais ce battement, je dirais presque ce swing, ne laisse s’échapper la musique dans l’évanescent ou la dilution. C’est bien.
Le deuxième, c’est cette cohésion, cette croyance dans le collectif. Produit d’une collaboration serrée, menée de main de maître par le band leader Ambarchi, ce disque réussit à faire du tout quelque chose de plus grand que la somme des talents convoqués. Chaque son, chaque note, paraît indispensable à l’épanouissement de la composition. Pas une tête ne dépasse, sans qu’on ait jamais l’impression que l’inspiration de quiconque ne soit freinée. On appelle ça être au service de la musique, et il y a quelques décennies, on appelait ça du jazz (ce qu’évoque d’ailleurs la présentation de la liste des noms des musiciens sur la pochette).
Aujourd’hui, on ne sait pas comment ça s’appelle, tant mieux. Ne pas faire du jazz aujourd’hui, c’est peut-être le meilleur moyen de parvenir à ce qu’il offrait de meilleur. Ce que fait Quixotism.




(Norman Bates)


3. Wrekmeister Harmonies - Then It All Came Down

"C’est en basculant peu à peu dans la puissance sourde d’un doom cataclysmique aux incursions vocales malfaisantes que les élégies violoneuses aux chœurs séraphiques de la troupe enrôlée par J.R. Robinson (avec Chris Brokaw de Codeine ainsi que des membres de Leviathan, Twilight, Yakuza, Pulse Programming, Anatomy Of Habit, Mind Over Mirrors, Bloodiest et d’autres encore) finissent de nous achever, avec leurs airs baroques de Paradis Perdu conquis en un seul et unique crescendo de fureur et de sang par les forces d’en bas, jusqu’à s’effacer dans l’obscurité. Un petit chef-d’œuvre, qui augure du meilleur pour la future collaboration du musicien passionné d’occultisme avec l’hydre "avant-metal" The Body..."

< lire d’autres avis sur ce disque >

(Rabbit)


4. Pharmakon - Bestial Burden

"Du lourd, du glauque, de l’asphyxiant, des vociférations de harpie névrotique et une tension de tous les instants, tant dans les pulsations industrielles ou tribales que dans les saturations synthétiques dont elles soutiennent les radiations mortifères et flippantes... Composé au sortir d’une lourde opération chirurgicale, l’album semble refléter une angoisse panique de la part de la New-Yorkaise Margaret Chardiet à l’idée de perdre son intégrité physique, de voir son corps lui faire défaut. On se souvient des titres des morceaux du premier album évoquant douleur (Ache), blessures (Crawling On Bruised Knees), défiguration (Pitted) et autres fardeaux à porter (It Hangs Heavy) qui donnent également son nom à ce Bestial Burden, cette fois c’est une respiration haletante d’asthmatique en pleine crise qui ouvre le disque avec Vacuum, cette toux convulsive qui vire à l’étouffement sur Primitive Struggle, la référence du terrifiant Autoimmune aux maladies du même nom où notre propre corps s’autocannibalise ou encore le titre Body Betrays Itself, tout aussi explicite dans ses tourments rageurs sur fond de martèlements martiaux et de nappes malfaisantes."

< lire la suite >




(Rabbit)


5. Primus - Primus & the Chocolate Factory with the Fungi Ensemble

Les Claypool se purge de son obsession pour le film Willy Wonka & The Chocolate Factory de 1971 en réinterprétant sa bande-originale dans ce huitième album qu’il réalise avec les incontournables Primus. Après la parenthèse country (une autre de ses marottes) du début d’année (Four Foot Shack par Les Claypool’s Duo de Twang), le bassiste s’empare ici de l’archet pour mieux faire rendre à la contrebasse ses plus grinçants vrombissements, tout en offrant, par ailleurs, une performance vocale unique, complétement habitée par les personnages. Primus, qui célébrait le retour de son tout premier batteur dans le précédent album (Green Naugahyde), se voit obligé de ressortir les toasts pour fêter celui de Tim Alexander (son batteur légendaire !), dont il faudra cependant attendre la prochaine fournée pour l’apprécier à sa juste valeur, son jeu étant ici réduit à des percussions d’arrière-plan. Un album qui n’est donc pas vraiment celui qu’on aurait attendu mais qui mérite tout de même qu’on s’y attache, car malgré la malheureuse amputation des images et la redondance propre aux musiques de films (le thème des "Oompa" qui revient quatre fois, irrésistible quand même), c’est tout l’esprit de Primus qui s’incarne dans cette adaptation déroutante : drôle, ludique, malin, créatif, fantasque et toujours inattendu.




(Le Crapaud)


6. Musée Mécanique - From Shores Of Sleep

Toujours bucoliques et empreintes d’une douce mélancolie mais plus affirmées dans leurs arrangements et même entrecoupées de cavalcades où le lyrisme rêveur des mélodies vocales troussées par la paire Micah Rabwin/Sean Ogilvie se marie à l’élan des rythmiques (The Lighthouse And The Hourglass, The Open Sea), les chansons de Musée Mécanique ont grandi depuis le cotonneux et touchant Hold This Ghost où se devinaient déjà il y a quatre ans les germes de cette délicate intensité.
Comparé dans nos pages à l’époque avec Grandaddy, évident maître à pense spatial et pastoral, et Mercury Rev pour les thérémines oniriques et autres claviers baroques (on aurait aussi bien pu citer Fleet Foxes, Loch Lomond ou même Sufan Stevens pour cette ferveur chamber-folk dont on retrouve ici le foisonnement carillonnant sur The Man Who Sleeps ou The World Of Science), le combo portlandien nous fait aujourd’hui l’effet d’un Midlake émancipé sur The Trials of Van Occupanther des influences encore légèrement trop envahissantes de son premier opus pour rallier la conjonction, aussi rare que classieuse, d’une rigueur taillée dans le roc et d’une personnalité unique dont le son et les chansons ne ressemblent à rien d’autre. Gageons que si le groupe parvient à retrouver les bonnes grâces des médias - ce second album ayant vu le jour dans une tragique indifférence - c’est bientôt Musée Mécanique que l’on citera en exemple pour ce genre de pop orchestrale au songwriting boisé qui aura rarement atteint de tels sommets depuis quelques années (cf. le superbe A Wish We Spoke ou encore Castle Walls, dignes du meilleur de Lost In The Trees).




(Rabbit)


7. Baxter Dury - It’s A Pleasure

"Après avoir considéré Floorshow comme un album masculin, avant de voir en son successeur, Happy Soup, une vraie dimension féminine, Baxter Dury ne se casse pas trop la tête à l’idée de définir un nouvel opus qui traite selon lui "du point de vue que se font les hommes du plaisir féminin sans parvenir à le comprendre".
On y retrouve une immédiateté accompagnée d’un flegme vocal (Palm Trees et sa rythmique alléchante) mais également une dimension plus puissante et ambitieuse sur des titres tels que Lips et surtout Babies qui nécessiteront probablement plusieurs écoutes pour livrer tout leur charme.
Pour le reste, une boîte à rythmes, des synthés cheap utilisés fort heureusement sans abus (à l’instar de l’imparable Pleasure) ainsi que des chœurs féminins, ceux de Fabienne Debarre, indispensables pour éviter toute monotonie au regard du ton monocorde de la voix du Londonien, soient tous les éléments qui font que, depuis plus d’une décennie, Baxter Dury partage avec nous une partie de sa zénitude en même temps que son génial songwriting."

< lire la suite >




(Elnorton)


8. Tindersticks - Ypres

En une demi-douzaine de collaborations avec la cinéaste Claire Denis pas plus qu’à leur arrivée chez Constellation pour une triplette d’albums légèrement plus exigeants sans pour autant s’avérer ardus, Stuart Staples et sa bande n’avaient jamais totalement rompu avec l’esthétique générale des Tindersticks, une instrumentation capiteuse, qu’elle soutienne ou non la voix suave du Britannique, servant toujours d’assise aux compositions plus ou moins tendues ou feutrées du combo. En cela, Ypres ne peut que décontenancer, bande-son on ne peut plus austère et plombée d’une exposition permanente consacrée par le musée local In Flanders Fields World War One aux ravages de la Grande Guerre dans la cité belge du même nom.
Deux ans après son inauguration, on retrouve donc sur sillons ces poignantes élégies orchestrales proches du classique contemporain où nappes de cordes funestes (Ananas Et Poivre), cuivres lourds de menace et tambours inquiétants au second plan (La Guerre Souterraine) voire même une flûte contemplative sur le post-traumatique Gueules Cassées n’ont pas tant pour vocation d’évoquer le cauchemar du conflit comme peut le faire, quasi visuellement, l’ambient martiale d’un Gabriel Saloman depuis quelques albums (et notamment, resté aux portes du bilan, le superbe Movement Building Vol. 1 dont on reparlera) que de nous plonger dans une atmosphère imprégnée d’émotions contradictoires, fatalisme et espoir diffus, résignation et tristesse infinie, beauté du tragique et désolation mortifère, à l’image du glas que sonne Whispering Guns en ouverture sur plus de 12 minutes d’harmonies crépusculaires et angoissées. Terrassant.




(Rabbit)


Bonus : 2 EPs



Morbidly-O-Beats - Growing Like Fungus

"Influence avouée depuis l’adolescence (visiblement son No More Wig For Ohio avait ouvert quelques chakras), c’est toujours Odd Nosdam mais période Level Live Wires qu’évoque le contraste entre la sérénade d’une harpe éthérée et le souffle livide des nappes saturées sur Forgiveness In Two Parts, meilleur titre de Growing Like Fungus.
Pas étonnant que Morbidly-O-Beats, qui inaugure ici le tout jeune label clermontois Hello.L.A., ait pu convaincre l’ex cLOUDDEAD de lâcher au printemps dernier un remix du second sur Earwax Vol. One, premier EP de sa propre écurie FilthyBroke qu’il faudra également suivre de près. En attendant, on se délectera de la tension viciée du bien-nommé Damp&Dirty ou des fantasmagories downtempo d’un Growing où le Chicagoan ne ressemble qu’à lui, épurant à l’extrême cette même mixture de samples oniriques et de beats syncopés entendue sur cassette chez IHAA, qui fait aujourd’hui de l’Américain un petit Boards of Canada hip-hop."

< lire la suite et télécharger librement >




(Rabbit)


AN - La Danse Des Substances

"Pour la toute première référence de son nouveau label DISQ AN, Alexandre Navarro flirte avec l’abstraction déstructurée sur 6 titres à la croisée de la rêverie vintage et de la puls(at)ion organique, tout en poursuivant la contemplation craquelante, scintillante, obsédante de Redfish ou de Lost Cities.
Mini-album dont les textures et les arpeggiators semblent tour à tour invoquer quelque mutation animiste (Rite Végétal) ou se consumer aux confins du regard (Lumière Terre) voire éclater comme du pop-corn trop longtemps exposé au rayonnement solaire (Spica), La Danse Des Substances évoque tant par son univers que par les titres des morceaux l’espace de possibilités qui sépare le tangible de l’intangible, le rationnel du mystique (des chœurs synthétiques de Terre Lumière aux distorsions ésotériques de Survol Océans) ou la terre ferme de nos fantasmes d’évasion. Prometteur !"

< lire la suite >




(Rabbit)


Les choix des rédacteurs



- Elnorton :

1. Tarwater - Adrift
2. Baxter Dury - It’s A Pleasure
3. Lidwine - Before Our Lips Are Cold
4. Lily & Madeleine - Fumes
5. Flying Lotus - You’re Dead !
6. (ghost) - A Vast And Decaying Appearance
7. Jean-Louis Murat & The Delano Orchestra - Babel
8. Thurston Moore - The Best Day
9. Tindersticks - Ypres
10. John Zorn - Transmigration of the Magus

- Le Crapaud :

1. Last Ex - Last Ex
2. As We Draw - Mirages
3. The Heliocentrics & Melvin Van Peebles - The Last Transmission
4. Melvins - Hold In It
5. The Coral - The Curse Of Love
6. Primus - Primus & the Chocolate Factory with the Fungi Ensemble
7. Thurston Moore - The Best Day
8. Red Space Cyrod - Lazytown
9. Wrekmeister Harmonies - Then It All Came Down
10. Scott Walker & Sunn O))) - Soused

- nono :

1. Primus - Primus & the Chocolate Factory with the Fungi Ensemble
2. Kruger - Adam & Steve
3. Aidan Baker/Thisquietarmy - Hypnodrone Ensemble
4. Obake - Mutations
5. As We Draw - Mirages

- Norman Bates :

1. Vashti Bunyan - Heartleap
2. Scott Walker & Sunn O)) - Soused
3. Run the Jewels - Run the Jewels 2
4. Oren Ambarchi - Quixotism
5. Flying Lotus - You’re Dead !
6. The Body / Sandworm - The Body / Sandworm

- Papâ San :

1. A Winged Victory For The Sullen - Atomos
2. Pascal Savy - Adrift
3. Wrekmeister Harmonies - Then It All Came Down
4. Memotone & Soosh - Memoosh
5. Vashti Bunyan - Heartleap

- Rabbit :

1. Evan Caminiti - Coiling
2. Pharmakon - Bestial Burden
3. Tindersticks - Ypres
4. Flying Lotus - You’re Dead !
5. Wrekmeister Harmonies - Then It All Came Down
6. Extra Pekoe & The Barfly Drummers - Air Balloons Also Rise
7. Gabriel Saloman - Movement Building Vol. 1
8. Cut Hands - Festival Of The Dead
9. Zoran & Gimu - A World Apart
10. Musée Mécanique - From Shores Of Sleep

- Riton :

1. Ashley Paul - Heat Source
2. C.J. Boyd - Precariat
3. Wrekmeister Harmonies - Then It All Came Down
4. Sundrugs - Low
5. Pharmakon - Bestial Burden
6. Muhd - Dilogia
7. Tindersticks - Ypres
8. Aidan Baker/Thisquietarmy - Hypnodrone Ensemble

- Spoutnik :

1. Audio88 - Der letzte Idiot
2. Flying Lotus - You’re Dead !
3. Bishop Nehru & MF Doom - NehruvianDOOM
4. Soda & Yassin - Kreiseck
5. Onboard Balloon - Hospital Basement Music
6. Mr Ogz - Battements
7. Spacesuits ft. LMNO, Moka Only & Mr. Brady - Spacesuits
8. Us Natives & Skrewtape - No Filter by Us
9. Black Milk - If There’s a Hell Below
10. Vince Staples - Hell Can Wait