2017 dans l’oreillette - Best albums pt. 4 : 70 à 61

100 albums en 10 parties, pour renouer avec ma formule chronophage des années 2014 et 2015, car après 30 EPs il fallait au moins trois fois ça. Et surtout parce que quand on aime, on ne compte pas, et qu’il n’y a finalement pas une différence fondamentale dans mon cœur entre, mettons, le 50e et le 100e de cette sélection, simple question d’humeur et d’envie du moment.

Le fait est que tous ces choix, et même une dizaine d’autres laissés de côté pour des raisons de symétrie, m’ont fasciné, touché et marqué de diverses façons, d’écoutes-expériences dont je laisserai l’effet s’estomper quelques mois voire même quelques années avant d’y revenir en quête du plaisir intact de la (re)découverte, en albums-compagnons qui ont su chauffer ma platine virtuelle à intervalles réguliers. Deux catégories particulièrement bien équilibrées dans cette quatrième partie où se côtoient pop/rock, drone/ambient et abstract/hip-hop notamment, dans des veines plus ou moins aériennes ou plombées.




70. Sum of R - Orga (Cyclic Law)




Une lente procession vers l’avènement des ténèbres semble être l’objet de ce cinquième long-format du projet dark ambient de Reto Mäder (Ural Umbo, RM74, Pendulum Nisum). Lâché par Christoph Hess mais rejoint entre-temps par un certain Fabio Costa aux synthés et percus (qu’épaule l’excellent Jason Van Gulick à la batterie sur quelques titres), le Suisse nous plonge dans le genre d’atmosphères ésotériques et organiques dont il a le secret, à force de percussions rampantes, de clochettes et cymbales mystiques, d’orgues démesurés (Hypnotic State), de drones lugubres voire apocalyptiques (Cobalt Powder et sa chorale d’anges de la mort) et de cordes parfois plus aérées (Light & Dust) que viennent zébrer des synthés de fin de monde à la John Carpenter sur Liebezeit ou les crépitements d’un brasier dans la nuit sur Slip Away, deux bonus indispensables à cette odyssée de désolation.




69. Girls In Hawaii - Nocturne (62TV Records)




Après un éponyme trop ouvertement influencé par Grandaddy, un Plan Your Escape trop ambitieux aux compos pas toujours à la hauteur et un Everest trop gentillet et quelque peu inconsistant où le groupe se remettait doucement de la perte tragique de son batteur, Girls In Hawaii sort enfin un album à sa mesure : humble, ouvert, élégamment mélangeur et suffisamment sincère pour faire oublier les quelques excès synthétiques néo-80s (car des synthés il y en a pas mal sur ce Nocturne, du dynamique Overrated au planant Willow Grove) de titres tels qu’Indifference ou le néanmoins touchant single Walk. Et puis il y a le classique instantané Guinea Pig et sa pop électro-acoustique légère comme une plume, This Light et ses accents à la Radiohead d’il y a 20 ans et des poussières et bien sûr le stellaire Cyclo, l’une de mes chansons de l’année. De quoi me faire rejoindre le cercle des fans à la rédaction, que préside mon compère Elnorton dont la chronique de ce 4e opus des Belges est à découvrir par ici.






68. Alexandre Navarro - Anti-Matière (Archipel Musique)




Blips scintillants, beats déstructurés aux allures de glitchs, harmonies vacillantes de synthés modulaires et field recordings océaniques dressent les paysages oniriques de cette croisière sous un crâne, nouveau voyage du subconscient organisé par notre ex patron de label préféré, qui suite à la cessation d’activité de ses écuries SEM Label et DisqAN revient dans le giron des Montréalais d’Archipel Music pour cette Anti-Matière de rêve éveillé dont Elnorton parlait très bien ici.




67. Blockhead - Funeral Balloons (Backwoodz Studioz)




Fort d’avoir injecté un peu de couleur dans l’univers froid et urbain de Billy Woods (cf. notre bilan hip-hop), c’est sur le label de ce dernier que revient en solo le producteur historique d’Aesop Rock. Ne vous y trompez pas, avec Blockhead écouter de l’abstract instrumental versant dynamique en 2017 n’avait rien d’anachronique, la preuve avec ce nouveau kaléidoscope à la croisée du maximalisme baroque de son indépassable Downtown Science de 2005 en moins rétro, du groove psyché mélangeur de The Music Scene et de l’épure cinématographique de Music By Cavelight. Fidèle à son titre, Funeral Balloons c’est un peu la fête et le gueule de bois en même temps, et son goût des polyrythmies électrisantes et des emprunts ethniques est mâtiné de mélodies et d’arrangements à la mélancolie saillante, de l’atmosphère très saudade de The Chuckles aux cordes poignantes du final éponyme en passant par le fataliste Ufomg, le protéiforme et doux-amer Your Mom Is Mad High ou encore l’azimuté Festival Paramedic pas loin du meilleur de Daedelus avec ses cuivres désabusés et ses nappes ambient tristounettes.




66. PureH - CMBR (Pharmafabrik)




Avant de le retrouver beaucoup, beaucoup plus haut dans ce classement avec Cadlag, trio harsh qui nous avait déjà fait le coup de la sortie surprise de fin d’année en décembre 2013 avec une égale réussite, c’est en solo que le Slovène Simon Šerc (auteur par ailleurs l’an passé d’un des plus beaux morceaux du projet IRMxTP) s’incruste à la place du diable (66... 6, allez, chipotez pas, quoi) avec les quatre progressions minimalistes et abrasives aux structures mouvantes de ce CMBR (pour "cosmic microwave
background radiation"). Transposition sonique des mesures prises par le satellite Planck des variations de température et d’intensité du "fond diffus cosmologique", rayonnement des points les plus lointains et froids de l’Univers, pour réaliser une cartographie de l’après-Big Bang, ce concept-album s’avère aussi spacieux que claustrophobe, revêtant des allures d’électro-ambient post-industrielle sur Greybody Fit avant de flirter avec le harsh noise sur le pulsatoire Flux Density et surtout le radical Declination final.




65. Les Marquises - A Night Full Of Collapses (Ici D’Ailleurs)




A rebours de la pop ethno-électronique et polyrythmique du brillant Pensée Magique qui faisait feu de tout bois il y a bientôt quatre ans, Jean-Sébastien Nouveau s’éclaire cette fois à la lampe torche sur ce troisième opus en tant que Les Marquises, cherchant son chemin dans une forêt la nuit, de ballades inquiètes en fugues angoissées que dominent percussions feutrées à la tension palpable, orgues dronesques, idiophones boisés et d’insidieuses basses jazzy à la façon de Badalamenti. Pas étonnant que l’ex Immune ait répondu présent à l’appel de notre projet IRMxTP avec un inédit encore bien différent dont on parlait ici, et s’il donne lui-même de la voix sur une grosse moitié de titres via un timbre clair et fluet qui n’est pas sans rappeler celui d’un autre grand pourvoyeur hexagonal d’atmosphères ciné claires-obscures qu’on retrouvera plus haut dans ce classement, j’ai nommé Olivier Alary, c’est à Matt Elliott qu’il offre d’habiter les plus belles compos de A Night Full of Collapses, le Lynchien Feu Pâle en Français et surtout le foisonnant Following Strangers aux faux-airs de David Sylvian avec ses cascades d’arpeggiators impressionnistes sur fond de syncopations dub et de guitares en apesanteur.






64. Strange U - #LP4080 (High Focus)




Que dire encore sur ce premier LP des Londoniens qui n’ait pas déjà été écrit par Spoutnik, admirateur de la première heure du duo phare du label anglais High Focus qui n’en finit plus de briller (après Ed Scissor & Lamplighter en 2016, c’est Jam Baxter qui n’est pas passé loin de mes 100 ce coup-ci, on le retrouve d’ailleurs ici quelques places derrière Strange U) ? Pas grand chose honnêtement, si ce n’est que pour avoir mis la rédaction d’accord sur un album hip-hop crépusculaire, abstract et décalé à ce point, il faut un sacré talent de mélodiste, qui s’impose notamment sur les tubes en puissance Hank Henshaw, Mumm Ra ou Waste of Space. Et qu’assurément, que vous soyez un inconditionnel des grandes heures futuristes et martiales d’El-P - en gros, Fantastic Damage et ses productions pour Cannibal Ox (The Technodrome), du post-modernisme synthétique de Kool Keith (Grizzle), du post-grime groovesque et aventureux de Roots Manuva (Shots), des collisions électro-rap enténébrées et déphasées d’Antipop Consortium (Zuul) ou encore du psychédélisme horrifique de Captain Murphy (le génial Bullet Proof Mustache avec Lee Scott), vous trouverez chaussure à votre pied sur ce #LP4080 dont on attend déjà la suite avec impatience.




63. Zu - Jhator (House of Mythology)




Je donne dans la facilité en citant mes compères ce coup-ci mais une belle mention dans notre top du mois d’avril avait valu à ce dernier album en date du trio transalpin quelques mots bien sentis de Riton, dont j’aurais fort bien pu me contenter. J’y ajouterai toutefois ma surprise d’avoir autant aimé une sortie de Zu, merci au batteur Tomas Järmyr de Yodok, nouveau-venu qui n’est sans doute pas pour rien dans l’orientation très ambient et mystique prise par Luca T. Mai (qui troque ici le saxophone au profit des fourmillements électroniques) et Massimo Pupillo (basse, claviers) sur cette bande originale fantasmée d’une inhumation céleste, à rebours de leur habituel free-jazz doomesque et tonitruant. Habitué des guitares additionnelles chez les Italiens, Stefano Pilia du génial trio Belfi / Grubbs / Pilia est de nouveau de la partie, ainsi que l’excellente Jessica Moss (dont je reparlerai dans un volet ultérieur de ce bilan 2017) aux chœurs électroniquement modifiés, la Japonaise Michiyo Yagi au koto ou encore le compère de Järmyr au sein de Yodok, Kristoffer Lo, au tuba, tous au service de ces deux longs crescendos cosmogoniques aux affleurements saturés forcément sépulcraux.




62. Dälek - Endangered Philosophies (Ipecac)




"Après la mue planante dAsphalt For Eden, ce relatif retour à la pesanteur oppressante et déjà bien bourdonnante de la grande époque pourrait faire figure de pas en arrière pour Will Brooks et sa bande. Mais si Dälek s’avère nettement moins dérangeant et carnassier sur Endangered Philosophies qu’à l’époque des géniaux Absence et Abandoned Language, les volutes sépulcraux voire déliquescents d’Echoes Of..., Straight Razors ou A Collective Cancelled Thought d’un côté et la mélancolie plombée de Beyond The Madness, Sacrifice ou Battlecries de l’autre créent finalement un bel équilibre entre réminiscences belliqueuses et quête de spiritualité, jusqu’aux vagues lueurs d’espoir d’un Numb qui semble vouloir libérer l’humain derrière le bruit."


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61. Net - HS (Whitelabrecs)




Inspiré par la SF d’antan (cf. la référence de Plaza au Cycle de Fondation d’Azimov) autant que par ses souvenirs personnels (un oiseau recueilli par sa femme et lui sur Nestling, le chant lointain de sa grand-mère sur Ptarmigan) et les paysages sauvages de sa Finlande d’adoption largement mise en son par field recordings interposés, ce successeur du méconnu RS de 2012 signé à l’époque NE Trethowan est assurément l’une des plus fascinantes fantasmagories ambient de l’année passée. HS voit le Britannique Edward Trethowan, désormais sous le pseudo Net donc, tisser un filet d’abstractions mémorielles ou s’entrelacent textures granuleuses et harmonies méditatives et où se mêlent souvenirs, impressions et sensations dans un souffle de vie en constante mutation - des récollections tantôt oniriques (le presque chillesque Same Fabric, le scintillant Werel) ou fantomatiques (Plaza, Avic) évoquant les longues nuits et le froid de la Scandinavie mais pas si inhospitalières pour autant, à l’image des 16 minutes introductives du fabuleux Ptarmigan dont les déconstructions rythmiques sur fond de nappes liturgiques enveloppantes doivent autant à Autechre qu’à Jacaszek.


Articles - 11.01.2018 par RabbitInYourHeadlights