DakhaBrakha - Opéra (Rennes)

le 10/03/2019

DakhaBrakha - Opéra (Rennes)

Ceux qui ne pouvaient pas assister à l’ouverture du Sulfure Festival devaient bien trouver d’autres moyens de compensation ce week end. Pour les Rennais, la perspective de découvrir la performance des ukrainiens de DakhaBrakha à l’Opéra de Rennes constituait donc (bien plus qu’)un lot de consolation.

Le quatuor revendique parfois l’étiquette « ethno-chaos », qu’il a lui-même inventé. Mince, si les musiciens apparaissent en costumes inspirés par les tenues traditionnelles ukrainiennes, il y avait sans doute d’autres termes que ce mot-valise pour les définir. Celui de chaos, pourquoi pas, étant entendu que DakhaBrakha le convoque volontiers, comme sur cette ouverture toute en percussions interrompue de manière abrupte face à un public qui prenait son premier uppercut de l’après-midi.

Mais la dimension ethnique est souvent réductrice lorsqu’il s’agit de définir un groupe de musique. Car si les trois femmes et l’homme composant cette formation peuvent politiser leur discours (on entendra Marko Halanevych saluer le public à la fin de la performance par un « No War, No Poutine », avant de brandir le drapeau ukrainien), l’attrait principal réside bien dans leur musique. Et il n’y a pas besoin de quelconques artifices pour masquer l’essentiel. Gageons qu’avec déjà deux paragraphes consacrés à cela, nous sommes également tombés dans le panneau.

Par honnêteté, nous ne procéderons pas à une analyse titre par titre. Certains des cinq albums du groupe sont plus familiers (Lights, sorti en 2010, l’est sans doute plus que les autres), mais revendiquer une intimité particulière avec DakhaBrakha serait erroné. Et puis, avouons-le, ces musiciens déjà croisés en 2014 sur la scène du festival briochin Art Rock ne sont jamais aussi fascinants qu’en concert.

Les captures vidéo étant interdites lors de leur performance dans le plus petit opéra de France, il est difficile de partager l’ambiance convoquée. Il s’agira de se contenter de mots. Alignés sur la scène avec Marko Halanevych à l’accordéon et aux percussions sur l’extrémité gauche pour le spectateur, Olena Tsybulska à la batterie à ses côtés, Iryna Kovalenko au djembe et au piano, et enfin la violoncelliste Nina Garenetska à l’autre extrémité, les Ukrainiens ensorcèlent l’assistance avec une aisance redoutable.

Ils marient des sons qui restent habituellement confortablement installés dans le carcan d’un registre. On pourra penser à Beirut lorsque la folk orientale se met en place, à Godspeed You ! Black Emperor sur des passages convoquant presque un post-rock survolté par des accords de violoncelle, Orka pour une transe quasi-industrielle ou Hildur Guðnadóttir et Sigur Ros à l’occasion de passages plus ambient (sur lesquels Nina Garenetska utilise son violoncelle sans archet, prenant le contrepied d’un Jonsi ayant popularisé cette utilisation jusqu’alors peu habituelle sur la guitare). Toutes ces influences profondément occidentales tendent à justifier le fait que DakhaBrakha n’est pas qu’un groupe ethnique.


Bref, les horizons brassés sont larges et vont au-delà de ces quelques noms lancés à la volée. Les musiciens s’excusent de ne pas parler français, ils communiquent néanmoins, principalement en anglais, avec un public particulièrement réceptif. Nina Garenetska explique qu’un morceau lorgnant vers le hip-hop est inspiré par la difficulté des femmes orientales à trouver un mari. Son flow est brillant, là où sa voix est peut-être la seule du quatuor à ne pas être exceptionnelle le reste du temps. Tout juste envoûtante, ce qui plomberait presque la moyenne du reste du groupe.

En effet, Marko Halanevych sait transformer et réinventer sa voix à l’envi, la faisant évoluer dans tous les registres pour convoquer autant de douceur et de mélancolie que de force au gré des besoins. Olena Tsybulska est pour sa part impressionnante dans sa capacité à marier un impeccable jeu de batterie à des vocalises inspirées, tandis que le coffre d’Iryna Kovalenko attribue à l’ensemble une tessiture différente, avec laquelle DakhaBrakha joue et rejoue.

Nina Garenetska finit par faire tourner son violoncelle qu’elle brandit comme s’il s’agissait d’un vulgaire ukulele, le public accompagne les percussions lancées par le groupe, qui ne sait même plus comment repartir, multiplie les titres à rallonge, et revient même après une standing ovation à n’en plus finir. Pendant près de deux heures, les Ukrainiens ont partagé leur habileté technique, leur inspiration mélodique et leur justesse vocale, mais c’est surtout une énergie venant du cœur et s’adressant à ce même organe qu’ils ont délivrée dans la salle. Voir DakhaBrakha en concert est une expérience – de surcroît dans un lieu aussi adapté – et l’on n’en sort qu’avec la chair de poule. Et revigoré. Une expérience chamanique et physique.


( Elnorton )

 


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