2023 en polychromie : les meilleurs albums - #180 à #166

180 albums, car si la frustration demeure de ne pas en citer 100 ou 150 de plus, c’est là que la césure s’avérait la plus supportable en cette année 2023 riche en pépites sous-médiatisées. 180 disques, car le but d’un bilan annuel, de la part d’une publication musicale quelle qu’elle soit, ne devrait pas revenir à montrer que l’on a sagement écouté la poignée d’albums réchauffés que les faiseurs de mode vendus au mainstream le plus racoleur nous ont prescrits, mais bien à faire découvrir des sorties remarquables passées entre les mailles du filet, et comme les plus curieux le savent, ces dernières ne manquent jamais. 180, donc, pour les 180 degrés qui nous séparent, un peu plus chaque année d’ailleurs, de ces classements de lemmings absolument imbuvables croisés ici ou là, des sélections qui honnêtement font honte à la "profession" de critique musical (laquelle n’aurait peut-être pas dû en devenir une pour commencer, on voit ce que ça a donné) et nous confortent dans notre besoin de continuer à résister à l’hégémonie des musiques sans atmosphère et sans âme et à ceux qui les érigent, par attrait pour leurs millions de vues et pour les avantages en clics et en nature qui vont avec, en "meilleures" de l’année.





#180. Oozing Wound - We Cater To Cowards

Les Chicagoans toujours emmenés par le chanteur/guitariste Zack Weil et toujours fidèles au label Thrill Jockey continuent de creuser leur sillon sur ce 5e long-format en dix ans (sans compter cette collaboration dépravée avec Black Pus qui reste l’une de leurs plus belles réussites). Alors, rien de nouveau sous le soleil voilé de la capitale culturelle du Midwest ? Certes, mais We Cater To Cowards s’avère une fois de plus aussi incisif que malsain dans ce thrash punk/noise marécageux et dissonant qui n’en oublie pas les atmosphères au tournant, en ralentissant régulièrement la cadence comme sur les précédents opus pour flirter ouvertement avec le sludge.


#179. The Mountain Goats - Jenny from Thebes

Après les hymnes rock classiques et pas bien fins de Bleed Out en 2022, on ne donnait plus très cher de John Darnielle, trop occupé sans doute à jouer les seconds couteaux à la télé (les amateurs de la série "Poker Face" de Rian Johnson l’auront peut-être reconnu en bandmate de Chloë Sevigny dans l’épisode "Rest in Metal"). Raté ! Avec Jenny from Thebes, les Nord-Caroliniens retrouvent le chemin de leur pop fiévreuse et alambiquée aux arrangements ambitieux, un petit classique en flux tendu au songwriting irrésistible d’élan et de sensibilité, que le quinqua à la voix juvénile habite de son style inimitable.


#178. Officium - Lazybones

Épaulé par Catherine Danger aux vocalises capiteuses et par l’excellent Paulie Jan au mix à la fois immersif et contrasté, le multi-instrumentiste et producteur Alban Mercier (TZii) s’aventure ici du côté d’un trip-hop assez deep lorgnant sur le dub, tantôt mystique (de more nothing avec ses percussions ballotées par le vent et sa guitare bluesy des grands espaces, à l’éthéré with another now, en passant par le très ambient subtext) ou vénéneux (loose fit, Sainte-Marie-Des-Chazes), donnant lui-même discrètement de la voix sur le tendu oiseaux parleurs entre deux instrus tout aussi évocateurs, sorte de rencontre entre Scorn, Tricky et les défunts Lab° période MüS. Un anachronisme qui fait du bien, d’autant que ces références continuent d’évoquer pour moi un futur de la musique devenu hors de portée du plus gros de la pop électronique aujourd’hui.


#177. Jacob Faurholt - Burn Burn Here

Après la parenthèse Statisk St​ø​j, side project chanté en danois et peut-être un peu trop écartelé entre lo-fi électrique façon Crystal Shipsss, guitare à nu et réminiscences new wave aux synthés datés, l’excellent Jacob Faurholt revient au meilleur de son intensité folk-rock dépouillée sur Burn Burn Here, enregistré sans fioritures ni artifices dans l’intimité de son home studio, la nuit. Sans y retrouver tout fait le lyrisme et l’immédiateté du songwriting à la Mark Linkous ou Mark Oliver Everett de l’indépassable Corners, on y décèle à nouveau ce qui nous avait tant plu il y a 12 ans sur les morceaux les plus minimalistes du superbe Dark Hours, ce clair-obscur introspectif et fragile aux mélodies paradoxalement taillées dans le rock et aux arrangements épurés ayant su capter à la perfection les doutes des heures sombres et l’espoir des premières lueurs au petit matin.


#176. Stefano Guzzetti - Letters from Nowhere (Piano Book Volume Three)

"L’ADN mélodique est toujours là, les affinités avec la culture et les paysages japonais également comme en témoignait en 2017 le très réussi Japanese Notebooks (cf. #69 ici), mise en musique d’un roman graphique à laquelle font écho sur ce nouvel opus les délicats et pastel Tokyo at night, troublant à souhait avec son humeur à la fois mélancolique et discrètement tourmentée, et Shoji, où l’instrument passe presque par moments au second plan des nappes de textures éthérées. Car cette fois, le piano est enluminé non plus par des violons mais par des synthés, au gré de titres qui n’hésitent pas à fureter du côté de la kosmische musik (She sleeps, Summer night), d’une ambient épurée à la Brian Eno (Aurora) ou même d’un post-rock sans guitare ni batterie (Fede ou A distant point in the sky)."

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#175. BC Camplight - The Last Rotation Of Earth

"Régulièrement brillant, que soit dans une pop lumineuse et enluminée façon Harry Nilsson ou à la croisée d’un romantisme embrumé et d’hymnes plus emphatiques mâtinés de psychédélisme, de musique latine et d’électronique décalée (le sommet How To Die In The North en 2015), le Mancunien BC Camplight déçoit rarement. The Last Rotation Of Earth le voit de retour sur son axe et au meilleur de sa balance. Aux morceaux un brin surproduits des deux précédents opus vient répondre une collection d’instantanés à fleur de peau, enregistrés en deux mois et culminant sur le songrwiting irradié - à défaut d’être radieux - de son morceau-titre au piano crève-cœur et aux abrasives digressions électriques, sur la chamber-pop gueule de bois du vibrant The Movie ou du downtempo It Never Rains In Manchester, ou encore sur la poignante ballade She’s Gone Cold."

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#174. murmuration - Everything Anew

Pour son premier album, le duo parisien constitué d’Andrey (guitares, synthés) et de Sasha (synthés, batterie et sound design) surprend en allant fureter du côté de l’univers d’un label tel que n5MD, véritable exception dans le paysage electronica actuel du fait de son appétence pour les élans et la dynamique du post-rock. De la même manière, Everything Anew télescope harmonies oniriques ou stellaires, beats massifs aux incursions click & cut et textures grondantes, tout en ménageant le genre de crescendos cinématographiques du plus bel effet que surent amener à l’électronique certains des pionniers de ce genre de crossovers, tels que 65daysofstatic, port-royal ou Errors.


#173. The Go ! Team - Get Up Sequences Part Two

"Malgré mon attachement de presque 20 ans à Thunder, Lightning, Strike, anomalie de sampling bricolé à la candeur noisy et au groove piloérectile enregistré en quasi autarcie par Ian Parton, je m’étais peu à peu détaché de The Go ! Team, à force de sorties aux mélodies trop acidulées et à l’efficacité trop calibrée, loin du lyrisme échevelé des débuts. Ici seul crédité sur Bandcamp en tant que compositeur et parolier, l’Anglais a repris les rênes du projet et d’emblée, avec Look Away, Look Away, ses roulements de batterie effrénés, ses textures brutes de décoffrage, ses contrepieds constants et ses élans à coller le frisson, on ne peut que s’en réjouir. Dans la foulée, les télescopages de guitares fuzzy, d’envolées bariolées et de hip-hop hymnique avec au micro une Ninja en feu font de Divebomb un cousin pas si éloigné des sommets électrisants de Proof of Youth."

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#172. PSIRENS - Nite Music // Nice Music

"Du haut de ses presque 70 minutes de musique, Nite Music // Nice Music n’est pas facile à circonscrire si ce n’est par cette dichotomie qu’évoque son titre et qui n’en est pas vraiment une même si la seconde moitié d’album, à partir de Save yr Friends, se fait plus accessible avec un songwriting des plus évidents et autres synthés accrocheurs, la douceur faussement légère qui se dégage de l’ensemble n’en évoquant pas moins les ambiances suspendues de fin de soirée, entre langueur et mélancolie. On pense à des groupes et artistes qui ont en commun cet esprit mélangeur dans un cadre pop et une voix servant de guide dans un labyrinthe d’influences parfaitement digérées, d’Elysian Fields à Mélanie Di Biasio pour le timbre et le petit côté jazz du chant, en passant pourquoi pas par My Brightest Diamond ou Stereolab."

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#171. Fortunato & Sean One - Blue Collar 2

On ne parle jamais assez de l’excellent label canadien Hand’Solo Records, qui fit énormément pour l’émergence de l’indie rap local, l’une des scènes hip-hop les plus excitantes depuis une bonne quinzaine d’années maintenant, y compris en contribuant à lancer les carrières des éminents Buck 65 et Sixtoo dans la deuxième moitié des années 90. Donnant suite à leur EP Blue Collar de 2015, Fortunato et Sean One, respectivement originaires de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick, font partie de cette crème trop méconnue que défend la structure de Thomas Quinlan. Également MC à ses heures mais pas ici, Sean One concocte pour le flow ligne claire et les couplets introspectifs de son compère des écrins à la fois aériens et percutants aux sonorités cristallines et autres samples soul ou jazzy enivrants (Long Road), un lyrisme parfois rehaussé de cordes (Got It All) qui culmine notamment sur les élans mélodiques du merveilleux Stop This.


#170. Hauschka - Philanthropy

"Premier album solo d’Hauschka depuis la parenthèse néo-classique du mélancolique A Different Forest en 2018, Philanthropy renoue ici avec la dimension rythmique voire presque glitch qui a fait sa réputation, et les sonorités si particulières du piano préparé. Entre les bricolages percussifs autour de cascades d’accords hypnotiques, les incursions électroniques plus produites aux synthés magnétiques ou aux beats plus marqués, et des morceaux où l’on retrouve l’omniprésent piano dans son plus simple appareil, dans un esprit proche du classical ambient, l’Allemand ne choisit pas, livrant une sorte d’album-somme de ses aventures de deux décennies, avec une générosité proportionnelle à cette thématique récurrente de la philanthropie."

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#169. Grails - Anches En Maat

Grails, c’est souvent à prendre ou à laisser. À prendre, quand l’influence des soundtracks d’époque et de leur spleen baroque prend le dessus (on a souvent parlé de ce que le groupe pouvait devoir à Morricone, Bruno Nicolai, Nino Rota et tant d’autres, cf. cette chronique de Deep Politics il y a 12 ans tout juste) ; à laisser lorsque les Portlandiens s’adonnent plus ouvertement à de longues digressions psyché-prog dignes des groupes les plus démonstratifs des 70s, les belles textures en sus. Le problème, c’est que ces deux aspects sont souvent inextricablement mêlés au sein des mêmes disques, à l’image par exemple des Black Tar Prophecies. Alors, quid de cet Anches En Maat  ? Eh bien un album, pour moi, beaucoup plus lyrique et inspiré que le peu surprenant Chalice Hymnal de 2017 et dont les excès, plus orchestraux que guitaristiques au regard de ces arrangements particulièrement ambitieux, ne parviennent pas à gâcher la part d’émotion capiteuse et les atmosphères, immersives comme rarement.


#168. CollAGE D - CollAGE D(urdoudink)

"On n’avait plus de nouvelles de CollAGE D depuis 2019 et CollAGE D(une) qui faisait suite la même année à... CollAGE D(eux) chez Mahorka. Deux, puis un... un apparent désordre que Romain (aka Le Crapaud, de l’excellent groupe blues/prog/post-rock chanté en français, Le Crapaud et la Morue) et Philippe Neau (ex Nobodisoundz) aiment à cultiver avec ce projet largement improvisé par échange de guitares, batterie, sax et autres field recordings que les deux complices découpent, collent, superposent et trafiquent ensuite à distance pour donner ces étranges fantasmagories magnétiques et libertaires, où maelstroms de larsens et de textures grouillantes et abrasives (Fuir en silence) côtoient des méditations de guitare presque à nu (Décembre dans la rue) et de longs serpentins percussifs et psyché au chaos paradoxalement hypnotique (Le soir, en t’attendant)."

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#167. Sore Dream & Hisham Akira Bharoocha - Sore Dream & Hisham Akira Bharoocha

"Quand un ex terroriste sonore de Black Dice (dont il fut batteur pendant 7 ans) et Lightning Bolt (Bharoocha fit même partie des membres fondateurs de ces deux formations expérimentales et bruitistes en diable) croise le fer avec le très radical projet parallèle des deux Full of Hell Dylan Walker (également membre de Sightless Pit) et Spencer Hazard, on sait qu’on va en prendre plein les tympans pour pas un rond. Et c’est effectivement ce qui arrive avec cette première collaboration en trio, déluge de clous rouillés, de hurlements étouffés à peine reconnaissables et de sursaturations en tous genres finalement dans la continuité de l’univers de Sore Dream, qui flirte avec le harsh noise et l’indus."

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#166. LPF12 - minorThreats

Après le très réussi new cargo en février et ses trois longues compositions mutantes tirant fortement sur l’ambient, le drone et même par moments sur une sorte d’ambient-techno, l’Allemand Sascha Lemon renouait en mai avec sa passion récurrente pour une IDM aux atmosphères très travaillées (fake poetry) teintée de dark ambient futuriste (dearest) et de nappes ascensionnelles proches de la kosmische musik (minorThreats), dont les beat sonnant parfois comme une véritable batterie (a place where we can hide) convoquent sur quelques titres une certaine influence trip-hop ou downtempo (dearest fold me in 2). Un album qui s’aventure une fois n’est pas coutume du côté de la techno indus (pending, enough) ou même de la noise électronique la plus abstraite et déstructurée (dearest cursory), toujours en mouvement à l’image de son auteur décidément porté sur l’exploration des plus sombres recoins de la musique électronique.