2023 en polychromie : les meilleurs albums - #165 à #151

180 albums, car si la frustration demeure de ne pas en citer 100 ou 150 de plus, c’est là que la césure s’avérait la plus supportable en cette année 2023 riche en pépites sous-médiatisées. 180 disques, car le but d’un bilan annuel, de la part d’une publication musicale quelle qu’elle soit, ne devrait pas revenir à montrer que l’on a sagement écouté la poignée d’albums réchauffés que les faiseurs de mode vendus au mainstream le plus racoleur nous ont prescrits, mais bien à faire découvrir des sorties remarquables passées entre les mailles du filet, et comme les plus curieux le savent, ces dernières ne manquent jamais. 180, donc, pour les 180 degrés qui nous séparent, un peu plus chaque année d’ailleurs, des classements de lemmings absolument imbuvables croisés ici ou là.

Et en attendant de faire écho à ces derniers avec ma coutumière "shitlist" qui prendra cette année la forme d’un podcast et ne ménagera rien ni personne, on s’en va déjà loin, plus loin encore que sur un précédent volet somme toute assez "pop" (du moins dans l’ensemble) avec une seconde série d’albums faisant la part belle aux musiques expérimentales de tous bords mais aussi au hip-hop, lequel tiendra comme souvent une part non négligeable dans cette pléthorique sélection.



#165. Mike Cooper - Black Flamingo

"À 80 balais, le Britannique Mike Cooper, grand voyageur devant l’éternel et pionnier de la folk psychédélique manipulée depuis la fin des années 60, n’en finit plus d’expérimenter. À l’image du sommet Distant Songs of Madmen mais sans les chansons cette fois (à l’exception du très Ornette Coleman The Satellites Are Spinning), on retrouve ici une inspiration plus éclatée, d’hommages déstructurés à Sun Ra faisant la part belle au piano, aux cordes frottées et autres percussions, en crescendos de tension ambient-jazz dystopiques et drogués, en passant par d’étranges rituels tribaux aux confins de l’électronique. Une sortie follement libre et inventive !"

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#164. Kevin Richard Martin - Above the Clouds

Avec son dub ambient aux souffles méconnaissables de saxo donesque, Above the Clouds approfondit les travaux des précédents albums solo du sorcier de The Bug et King Midas Sound sous son véritable patronyme. Pour qui a connu Kevin Martin avec le noise rap radical de Techno Animal ou le breakcore virant au grind de Curse of the Golden Vampire, on est ici à l’autre bout du spectre expérimental, entre downtempo feutré aux accents jazzy et textures éthérées, mais pas dans l’inoffensif pour autant, en témoigne notamment la noirceur obsédante aux harmonies volontiers dissonantes d’un After Dark au beat presque techno-indus.



#163. Gina Birch - I Play My Bass Loud

"Il y a du Garbage des débuts (l’hymne post-shoegaze bouillonnant Wish I Was You), du Kristin Hersh (le folky I Am Rage au chant éraillé), et surtout beaucoup des beaux restes des Raincoats période Odyshape (de l’ambient psyché de And Then It Happened au reggae/dub narcotique de Digging Down) sur ce premier album solo de Gina Birch, sorti de nulle part plus d’un quart de siècle après les dernières traces discographiques des Raincoats donc, groupe clé du mouvement féministe riot grrrl dont elle tenait la basse et partageait le chant avec Ana da Silva. Force est de constater que la fraîcheur et le goût de l’aventure y sont toujours au rendez-vous, davantage que chez la majorité des groupes indie hypés de ces dernières années."

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#162. Swamp Thing x Danny Miles - Golden Crab

Avec le batteur canadien Danny Miles à la production et les compères de Backburner, soit Ghettosocks, More or Les, Wordburglar et Jesse Dangerously en guests, Swamp Thing nous gratifiait fin octobre de son album d’Halloween coutumier. Un disque qui enchaîne dans son premier quart une paire de titres plus soulful et légers avant de plonger progressivement dans les marécages cinématographiques au nerdisme ténébreux que l’on connaît aux Torontois Timbuktu, Chokeules et Savilion, avec des beats d’une belle diversité, plus ou moins groovesques ou capiteux, et des ambiances d’histoires au coin du feu de bois où l’on joue à se faire peur à coups de légendes urbaines et de références horrifiques en grillant des marshmallows.



#161. Djane Ki - Random Sweepings

Depuis ses belles collaborations successives sur EPs avec Grosso Gadgetto et Innocent But Guilty, Vanessa Jeantrelle est une incontournable dans nos pages. Ce nouvel album sous l’alias Djane Ki confirme de la plus belle des manières, sur 6 titres immersifs et hypnotiques aux allures de bande originale imaginaire (la musicienne les qualifiant elle-même de "soundtracks" sur Bandcamp). À la croisée d’une ambient fantasmagorique aux sonorités cyber-organiques et d’un beatmaking électro régurgitant de beaux restes d’indus (Hard to Find) mais également de drum’n’bass (Hunger and Satiety) voire de hip-hop futuriste (Sand Turns Damp), Random Sweepings joue du contraste entre beats massifs et nappes aériennes, entre synthés ascensionnels et grouillements caverneux pour mieux nous prendre dans ses filets.

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#160. Ol’ Gorilla Bones x The Dirty Sample - Revenge Vol. 2

"À peine un peu plus d’un an après le très bon Revenge Vol. 1, la paire Ol’ Gorilla Bones x The Dirty Sample, respectivement au micro et aux instrus (à moins qu’il ne s’agisse d’une seule et même personne comme certaines sources tendent à le laisser penser) remet le couvert avec un second volet qui s’avère à la fois plus singulier et plus abouti. Plus singulier, car The Dirty Sample en rajoute une bonne couche dans la noirceur et le glauque cinématographique pour flirter avec le hip-hop du caveau d’un Jakprogresso, tandis que le flow plus éteint et lugubre du rappeur se met au diapason. Plus abouti, car l’osmose des deux s’avère particulièrement réussie."

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#159. Wilco - Cousin

Le 13 n’est pas toujours synonyme de malheur, pour preuve ce 13e opus de la bande à Jeff Tweedy, leader toujours vert d’un groupe qui déçoit décidément rarement et fait mouche ici aussi bien dans une douceur luxuriante (A Bowl and A Pudding, évoquant Grandaddy ou même Thee More Shallows) que dans un minimalisme entêtant vrillé de guitares et accords de piano volontiers dissonants sur Infinite Surprise ou Sunlight Ends, des morceaux à la dynamique hypnotique qui tranchent avec d’autres aux rythmiques plus rondelettes à la lisière de l’indie pop et de l’alt-country comme Wilco a toujours si bien su le faire (Levee, Evicted, Soldier Child). À la fois frontal et alambiqué, le songwriting du Chicagoan en arrive même à flirter avec l’univers d’un Field Music (Cousin) et l’album, produit par Cate Le Bon, dévoile peu à peu une richesse insoupçonnée, pas toujours évidente d’accès (cf. Pittsburgh et ses crescendos d’intensité denses et presque dronesques), qui à l’inverse du plus léger et immédiat Cruel Country de l’an passé le rapproche en un sens, en moins rock, d’un disque tel quA Ghost Is Born.



#158. Julien Ash & Christophe Petchanatz - Ciel de Mouches

On retrouvera Julien Ash aka Nouvelles Lectures Cosmopolites à plusieurs reprises dans ce classement, quant à Christophe Petchanatz, il trônait tout en haut de mon bilan 2021 avec l’immense Ghost Factory. Pas une raison évidemment pour bouder cette belle collaboration, à mi-chemin de l’ampleur atmosphérique du premier et des bricolages hantés du second. Un album très évocateur télescopant toutes sortes de sonorités et d’ambiances baroques, flûte traversière et piano atonal, grouillements analogiques et guitare électrique, drones entêtants et percussions de bric et de broc, électronique foisonnante et orchestrations mystiques, ou encore sampling et dark ambient. À explorer sans modération.



#157. Cruel Diagonals - Fractured Whole

"Un véritable requiem futuriste aux lamentations vocales rudoyées et démultipliées en vortex irradiés où les bourdons, crépitements et autres élégies synthétiques ont définitivement pris le pas sur les percussions mystiques captées en direct, dimension ritual ambient aux abonnés absents sur ce quatrième long format en 5 ans. Un vrai, grand et beau manifeste de l’époque qui demeure absolument immersif et paradoxalement viscéral, à rebours donc de ceux que l’on prête un peu trop facilement à des artistes aussi tape-à-l’oeil et pseudo expérimentaux qu’OPN, Eartheater, The Knife ou Arca."

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#156. Verb T & Vic Grimes - The Tower Where The Phantom Lives

Habitué du label britannique High Focus depuis une douzaine d’années et collaborateur récurrent des excellents Pitch 92 et Illinformed, le quadra londonien Verb T revient avec un album à l’artwork joliment gothique, sur des productions du Canadien Vic Grimes, metteur en son notamment pour Hus KingPin, Vinnie Paz ou Ill Bill. Entre vibe horrifique et campy de films de fantômes à l’ancienne (on pense un peu aux Swamp Thing mentionnés plus haut), boom bap sec et un travail rythmique sur le sampling (The Invisible Fortress, Four Oh !) parfois adepte des percussions feutrées (Tower With a View, Fireworks and Flowers), ce dernier permet à Verb T de frotter son flow goguenard et typiquement british à un univers assez atypique pour l’écurie britannique de Fliptrix (son compère au sein des Four Owls), avec autant d’efficacité que d’élégance.



#155. East Forest & Peter Broderick - Burren

"Toujours légèrement trop aventureux, affligé, clair-obscur ou simplement trop surprenant pour tomber dans l’écueil de la joliesse un peu facile que n’évitent pas toujours certains chantres de cette chamber pop enluminée d’aujourd’hui flirtant avec l’ambient et la musique électronique, Burren bénéficie dès son entame Reunited tout en piano impressionniste et cordes spleenétiques d’un sens de l’espace et de la temporisation qui fait toute la différence, qu’il s’exprime au gré de chansons épurées et entêtantes n’hésitant pas à dérouler leur douce mélancolie sur deux fois plus de temps qu’elles ne le devraient, de morceaux plus percussifs et hypnotiques ou de méditations ambient emplies de ferveur mystique."

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#154. Sébastien Guérive - Obscure Clarity

Le Nantais épaulé par l’arrangeur Grégoire Vaillant fait honneur à l’oxymore de son titre (la fameuse "obscure clarté qui tombe des étoiles" de Corneille) avec ce troisième album à mi-chemin de l’ambient cosmique aux textures sismiques, du modern classical (en particulier pour les choeurs liturgiques de Deva et d’Obscure Clarity IV ou le piano épuré du final Shanti) et d’une électro aux pulsations épiques. On pense en vrac à Talvihorros, à Ed Carlsen ou à Matthew Collings, voire à Mondkopf chez nous, pour cette dimension cinématographique mêlant lyrisme et tension, majesté des harmonies et menace sous-jacente des textures, plus sombres et instables. Une très belle découverte me concernant.



#153. DJ Muggs - Notes & Tones

Pas moins de trois albums cette année pour l’increvable producteur de Cypress Hill, dont un retour inespéré des Soul Assassins et une collaboration improbable avec Meyhem Lauren et Madlib. Deux albums efficaces et un brin rétro aux raps frontaux qui ne sont pas ce que le New-Yorkais a fait de meilleur en termes d’atmosphères sans pour autant en manquer et comptent quelques belles réussite (notamment Jokers Wild avec CeeLo Green sur Soul Assassins 3 : Death Valley), mais en 2023 et comme souvent d’ailleurs c’est le Muggs instru qui emporte le morceau dans mon coeur, celui de cet hommage à Sun Ra par samples interposés originellement vendu avec une bouteille de vin (ça ne s’invente pas) et qui devrait bien vieillir en cave avec son jazz psyché aux beats downtempo presque trip-hop évoluant peu à peu vers un abstract insidieux (There Are Other Worlds, Nebula, Rocket To Venus) voire inquiétant (Third Planet, Space Is The Place, Time Is An Illusion).



#152. Modern Nature - No Fixed Point In Space

Autre découverte, en tout cas pour moi, celle du trio britannique Modern Nature qui de sa pochette ornithologique à la manière dont Jack Cooper dirige de main de maitre son véritable petit ensemble d’instrumentistes (lequel inclut notamment Chris Abrahams de The Necks au piano) en rappelle d’emblée un autre, le Talk Talk du diptyque Spirit of Eden / Laughing Stock. Evidemment, il va de soi dès les premiers accords épars de Tonic que l’influence du groupe de Mark Hollis ne peut qu’être consciente et revendiquée : dans ce jeu avec l’espace et le silence, cette manière de progresser vers la luxuriance, et la digestion du jazz via une instrumentation rock et musique de chambre aux arrangements pastoraux. Mais qu’importe si cette référence est écrasante : No Fixed Point In Space, 4e opus chez Bella Union d’un projet à suivre de très près, a déjà tout pour lui, de l’intensité à la fois fébrile et feutrée à ce chant dont le romantisme fragile et mesuré doit peut-être moins à Hollis qu’à David Sylvian.



#151. Joni Void - Everyday Is The Song

"Qualifiant lui-même ce nouvel opus de journal intime mémoriel, le Lillois exilé à Montréal y mêle à nouveau sampling, field recordings, interférences électroniques et autres textures embrumées de vinyles et de cassettes au gré de morceaux organiques et mutants au feeling particulièrement bucolique, lorgnant sur le cut-up baroque d’un Paul De Jong (The Books) mais avec une sensibilité définitivement plus ambient, comme si ce dernier s’était associé à Grouper ou à Sabiwa. Si l’on entend toujours par samples interposés, souvent captés sur un walkman enregistreur pendant leurs performances scéniques, des bribes d’instruments de musiciens amis tels que les fidèles YlangYlang, N NAO et Sara Pagé mais aussi Owen Pallett, Phew ou encore Moshi Moshi, l’album est avant tout une plongée dans le monde intérieur de son auteur en tournée, récollection de ses sensations d’un instant."

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