25 ans de Radiohead en 50 titres

Parmi les groupes qui synthétisent le mieux ce qui pourrait être la ligne éditoriale de notre site - quand bien même en définir une irait à l’encontre de nos passions éclectiques - Radiohead fait partie des premiers noms qui viennent à l’esprit. Dans le cadre de notre Overd00’s qui résumait pour nous le meilleur de la décennie précédente, le quintette d’Oxford plaçait dans les vingt-cinq premières places - avec Kid A à la première - chacun des quatre albums enregistrés durant cette période.
Et justement pour rester sur ce chiffre, le 21 septembre dernier, Creep fêtait ses vingt-cinq ans. S’il a marqué son époque et servi de tremplin au futur succès public et critique des ex On a Friday, il ne s’agit pas pour autant du morceau le plus inoubliable de la formation et il ne figure d’ailleurs pas dans la présente sélection. Mais cet anniversaire constitue pour nous un formidable prétexte puisque nous n’avions jamais eu l’occasion jusqu’ici de nous étendre sur nos morceaux favoris de la désormais pléthorique - si l’on compte EPs et faces-B - discographie des Britanniques.
Nous, c’est en l’occurrence Elnorton et Rabbit, les deux Radiohead addicts de l’équipe qui revenons chacun plus bas sur les circonstances de notre découverte de la bande à Thom Yorke et Jonny Greenwood.
Et comme rien - ou presque - n’est à jeter chez les Anglais, nous n’avons pas su nous arrêter aux vingt-cinq titres qu’imposait tout naturellement ce quart de siècle. Le classement en comptera donc le double, soit, faces-B comprises, près de la moitié du répertoire d’un groupe qui, de Pablo Honey à A Moon Shaped Pool, semble avoir eu neuf vies tout en parvenant toujours à retomber sur ses pattes...
Notre top ten commun
1. Pyramid Song (Amnesiac, 2001)
Elnorton : On connaît la chanson - même si le cas échéant, on n’en fera jamais le tour au regard de sa complexe simplicité, oxymoron devant l’éternel - c’est la structure pyramidale de la composition qui a conduit les musiciens à la baptiser Pyramid Song. Peut-être l’extrait le plus marquant de la formidable phase (crise ?) créative traversée par le groupe au tournant du siècle, le piano ternaire, les ondes Martenot et la voix angélique de Thom Yorke étant chacun à leurs sommets.
Rabbit : Effectivement, que dire qui n’ait déjà été dit sur ce chef-d’œuvre, rêve d’au-delà omniscient que l’on jurera hanté ou presque séraphique, désespéré ou rassurant selon l’humeur ? Pour moi, Pyramid Song c’est avant tout un démarrage de batterie à vous faire dresser les poils, ces ondes Martenot spectrales, la voix de Thom Yorke comme un écran immaculé sur lequel l’auditeur projette ses propres émotions et bien sûr cette mélodie au piano poignante que les arrangements (et notamment ces cordes arabisantes, proprement envoûtantes) enveloppent peu à peu sans jamais l’étouffer. Du grand art, y compris sur le plan de la production, Nigel Godrich s’imposant tout particulièrement sur le diptyque Kid A/Amnesiac comme un orfèvre d’atmosphères élégiaques que se disputeront dans la foulée Beck, Air ou encore The Divine Comedy.
2. Idioteque (Kid A, 2000)
Rabbit : Pour qui a vu le groupe en concert il y a une quinzaine d’années, Idioteque c’est avant tout les psalmodies schizophréniques et la gigue désarticulée d’un Thom Yorke possédé qui habitait sur scène tout particulièrement ce titre incandescent et abstrait à la fois, un choc pour moi au visionnage du fameux concert de Canal + une paire d’années avant de pouvoir vivre l’expérience en direct. Si Kid A s’avère être l’album le plus introspectif et contemplatif du combo, c’est paradoxalement ce morceau aux concassages rythmiques warpiens qui incarne le mieux ce que le l’album doit au label électronique anglais, Autechre en tête - que j’allais justement découvrir dans la foulée, d’abord avec difficulté (car en comparaison de leurs albums de l’époque, Kid A est un disque facile d’accès) puis avec une fascination pour laquelle le passage par Radiohead se sera dans mon cas avéré indispensable.
Elnorton : De mon côté également, c’est avec Idioteque que le rôle de passeur de Radiohead aura été le plus évident. La fascination est un terme bien trop faible pour évoquer mon rapport avec ce titre, qui m’aura poussé à m’intéresser à la musique assistée par ordinateur d’un Paul Lansky dont le Mild Und Leise ô combien difficile d’accès pour l’adolescent que j’étais est samplé sur Idioteque. Et puis, je rejoins Rabbit sur le chant survolté, presque convulsif, de Thom Yorke, que ce soit sur la version studio ou celle, intemporelle, du live pour Canal +.
3. Where I End And You Begin (Hail To The Thief, 2003)
Rabbit : Tout simplement mon titre préféré du groupe, dont le lyrisme désespéré m’arrache des frissons à chaque fois. Il faut dire que Thom Yorke met tout son spleen et son angoisse existentielle dans cette histoire de cannibalisme métaphysique, chant du cygne pour la vie privée et l’espace personnel en plein essor des réseaux sociaux. L’envolée des ondes Martenot de Jonny Greenwood à 2’22 qui fait passer le morceau de fantomatique à bouleversant en conjonction avec la montée déchirante de son leader est décidément l’un des plus beaux moments de musique d’une disco qui n’en manque pas.
Elnorton : Le passage que mon compère évoque, avec les ondes Martenot et la voix survoltée de Thom qui s’entrelacent, est en effet l’un des grands moments de Hail To The Thief. Mais je trouve que tout est déjà présent dès l’introduction de ce titre. Je me rappelle de la première écoute de ce disque qui se tient plutôt en queue de peloton dans mon panthéon personnel, même si je l’adore. Dès les premières secondes, un sentiment d’ivresse m’avait gagné. Je savais déjà que je serais marqué par Where I End And You Begin, sans anticiper la progression d’un titre captivant dont je ne comprenais à l’époque rien des paroles prémonitoires.
4. Airbag (OK Computer, 1997)
Rabbit : Le morceau qui pour moi a tout déclenché, à commencer par ma passion de l’époque pour l’indie rock. Une production presque liquéfiée, à vous faire basculer le shoegaze dans le 21e siècle avec quelques années d’avance, un hymne à la potentielle grandeur de chacun dans un univers d’insécurité et de déshumanisation, la basse de Colin Greenwood qui pour la première fois s’imposait réellement dans une compo du groupe, ces clochettes et cette arrivée de la batterie à vous coller la chair de poule, et puis ces chœurs à la fin qui préfiguraient déjà les libertés vocales que prendrait Thom Yorke sur Kid A au risque d’en irriter certains. En bref, un titre qui symbolise les territoires inexplorés que Radiohead passerait une grosse demi-douzaine d’années à défricher dans la foulée et surtout un gros choc mélodique et sonique dont je ne me suis jamais vraiment remis.
Elnorton : Comme le dit Rabbit, c’est la première fois que la basse de Colin Greenwood est aussi indispensable sur un titre de Radiohead. Et pas la dernière, son influence grandissant au fur et à mesure de l’évolution d’un groupe qui prouva d’abord, avec l’émergence de Jonny Greenwood, que Thom Yorke n’en était pas le seul cerveau, avant que chacun de ses membres - avec une réserve concernant Ed O’Brien - n’ait l’occasion, avec Radiohead ou ailleurs, d’affirmer le génie qui sommeille en lui. Pour revenir à Airbag, je trouve que c’est un exemple typique de "morceau-caméléon", qui peut à la fois dégager quelque chose de terriblement austère et désespéré si on l’écoute d