Top albums - été 2018

Comme souvent, on s’est fait avoir... à trop s’imaginer que l’été serait un désert, on a attendu le dernier moment et on s’est fait surprendre par toute une flopée de sorties de la fin du mois d’août, à ne plus savoir où donner de la tête au moment même où se profilait l’échéance de ce vote groupé. Juillet et août, deux mois finalement bien remplis dans notre agenda, que l’on a eu du mal à vous synthétiser mais dont la belle diversité qualitative ressort finalement plutôt bien de ce classement augmenté.




Nos 10 albums préférés de juillet/août





1. Mamaleek - Out of Time


"Out Of Time est le cinquième album de Mamaleek et leur black singulier se montre toujours plus délavé, perverti, déviant, méconnaissable. Envolées, les guitares féroces, de plus en plus discrètes quand le tissu électronique gagne lui en épaisseur. Étrange disque (comme d’habitude avec les deux frères anonymes) où les oripeaux extrêmes disparaissent – à l’exception notable du chant – mais pas la structure : anguleuse, disloquée, elle ménage un itinéraire sinueux et… extrême. On a souvent l’impression de naviguer à vue entre des fragments d’ébauches et des ersatz de morceaux, rien ne semble achevé, tout sonne en devenir et le duo semble vouloir toucher à tout, du hip-hop au jazz, du black au post-punk, du shoegaze à l’électro et j’en passe, si bien qu’on se retrouve très vite désorienté même si le souffle morose voire douloureux qui recouvre la moindre parcelle de musique apporte ce qu’il faut de liant pour que le patchwork ne se délite pas complètement.
The Recompense Is Real, My Master, My Father, My Author ou Absolute Knowing (entre autres) font feu de tout bois mais restent en permanence cohérents, partagés entre leurs élans ethno-décalés, leur breakbeat de l’enfer amalgamé à un blackgaze de plus en plus éthéré, l’électronique pure jamais loin non plus. Mamaleek poursuit son chemin singulier, celui d’une expérimentation vibrante, à la beauté étrange, dont on ne peut se défaire une fois qu’on y a goûté."


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(leoluce)



2. KEN mode - Loved


20 ans de mariage et ça semble tendu, sur le fil du rasoir. Les petits neveux d’Unsane et des Dazzling Killmen, qui depuis Mongrel en 2003 ont considérablement aiguisé leur son, sortent l’argenterie pour nous balancer leur 7ème et meilleur album à la tronche. La relation s’étiole dans un vacarme menaçant, comme celle d’un couple torturé à la dérive, du genre à s’envoyer des roses avec les épines, à s’offrir des cadeaux emballés dans du papier de verre. Le noise-hardcore du trio canadien respire la colère et la douleur et prend une tournure dramatique quand viennent s’immiscer les cris torturés (et tortueux) au saxophone de Kathryn Kerr, jusqu’à obtenir le dernier mot. Dans l’inconfort et la violence, KEN mode se livre dans ses plus sombres et pourtant meilleurs jours. Ils s’aiment, d’un amour noir et cinglant certes (en espérant que le Let’s Get Divorced du précédent EP, Nerve, ne soit pas de mauvais augure...), mais ils s’aiment, et ça s’entend !


(Riton)



3. Armand Hammer - Paraffin


C’est un pluie grasse qui suinte sur un imper usé, dans les rues désertées des cités de béton, l’été. C’est un rap rauque, qui ne s’embarrasse pas d’enluminures. Armand Hammer, c’est deux MCs : Billy Woods et ELUCID. C’est loin de la côté ouest. C’est l’autre en fait. C’est le rap d’une rage contenue, celui de bêtes maintenues en cage, loin des rayons du soleil.
Les instrus sont dépouillés. On les doit à Messiah Musik, ELUCID, Ohbliv, August Fanon, Willie Green et Kenny Segal. Un beat et quelques notes d’un synthé grésillant, ou une basse. Un long larsen de guitare sur Rehearsal with Ornett. Même pas de beat sur le suivant. Ça prend des détours électroniques et chaotiques, comme sur Fuhrman Tapes. Ça repose parfois sur la répétition d’un vieux blues cassé (Alternate Side Parking). Plus les morceaux se succèdent et plus l’atmosphère s’assombrit, jusqu’à tout faire disparaître dans le noir.
Un album moite, qui colle aux tempes et qui fait le dos rond, en attendant l’hiver, pour ressortir plus enragé encore, et pour se fondre dans le décor, dans la grisaille. Dans ton lecteur, Armand Hammer attend son heure.


(Le Crapaud)



4. Tenshun & Bonzo - Miasma


"Déjà, ça commence avec une étonnante retenue du côté d’un Tenshun que l’on connaissait généralement plus abrasif et belliqueux. Tel un DJ Shadow de purgatoire, il empile beats équilibristes, samples de films insidieux et distos perturbantes dans une ambiance plus inquiétante qu’apocalyptique, avec juste ce qu’il faut de décadrage et de bizarrerie pour éviter que le confort du groove ne s’installe de trop.
C’est ainsi chez Bonzo qu’il faudra aller chercher le soupçon de bruitisme lo-fi mis de côté par son compère, drums implosifs et massifs aux textures craquelantes et atmosphères cauchemardées de séries B horrifiques aux fréquences assourdies constituant le plus gros de ce Sorehead tout aussi inconfortable et captivant dont l’esprit malfaisant ne relâche jamais son emprise 20 minutes durant. La bande originale de l’enfer sur terre circa 2025 que nous autres occidentaux embourgeoisés ne connaîtrons sûrement que par le biais de médias moribonds."


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(Rabbit)



5. The Necks - Body


"Après un premier mouvement où pianotages impressionnistes et percussions martiales évoluent de concert sur fond de basses profondes, guitare transcendantale et orgue psychotrope font leur apparition et surgie de nulle part une batterie incandescente fait basculer ce titre unique de près d’une heure dans un grand bain de rock psychédélique entêtant. Décomposé en quatre mouvements que le trio australien décrit comme suit : "Episodic, Driving, Dynamic, Layered, Celebratory, Soaring, Rocking out, Buoyant, Sustained, Perfectly paced", Body doit beaucoup à l’omniprésent Tony Buck en charge des fûts et de la 6-cordes, les interventions au piano plus ou moins discrètes de Chris Abrahams assurant tout de même la signature du groupe dans les moments les plus atypiques de ce 20e opus en 30 ans."


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(Rabbit)



6. Ben Chatwin - Staccato Signals


"Particulièrement cinématographique et futuriste tout en restant fidèle au goût de l’Écossais pour les nappes organiques et les arrangements poignants de véritables instruments (cordes, piano et cuivres en tête), le Ben Chatwin nouveau est une symphonie de pulsations craquelantes, d’orchestrations stellaires et de synthés analogiques vastes comme l’orbite d’une planète, une bande-son pour la naissance, la vie et la mort de notre univers dont les flots d’émotions épiques aux temporalités multiples seraient le contrepoint idéal aux images de Terence Malick s’il se mettait à la science-fiction.
Sur Staccato Signals, ça pulse et ça respire, c’est le cœur même de l’univers qui bat dès l’aurore astrale du vaporeux Silver Pit, et si le lyrisme est constant, culminant sur une intro aux reflux orchestraux terrassants, il sait épouser la dynamique du film imaginaire que Ben Chatwin projette sur les rétines de notre subconscient, à l’image d’un Helix tout en crescendo de tension bourdonnante, zébré de cordes dont la fièvre ne se répand jamais vraiment."


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(Rabbit)



7. Hermit and the Recluse - Orpheus vs. The Sirens

Les albums de Roc Marciano n’ont jamais figuré dans nos tops mensuels, n’ayant jamais trouvé grâce aux oreilles difficiles de mes collègues d’IRM ou du moins n’ayant jamais su créer de consensus, et pourtant son Rosebudd’s Revenge de l’année dernière était admirable, notamment pour Marksmen, une piste où Marciano avait invité Ka au micro et un certain Animoss à la production. Je ne sais pas si c’est grâce à ce titre, en attendant c’est bien Ka et Animoss qu’on retrouve cachés derrière le blase de Hermit and the Recluse. Comme d’habitude avec le rappeur de Brownsville, l’album est court (32 minutes), comme d’habitude, le flow froid et monolithique de Ka fascine autant qu’il peut ennuyer certaines oreilles peu habituées, comme d’habitude, Orpheus vs. The Sirens s’écoute comme une pièce conceptuelle. Ici, la mythologie n’est qu’un outil métaphorique pour parler de la vie dans les rues new-yorkaises, un peu comme le bushido servait de toile de fond à Honor Killed the Samurai ou la psychiatrie à Days With Dr. Yen Lo. Car oui, Ka transpire la rue, d’une certaine façon, il en est son visage le plus glacial et brut. De cause à effet, un album de Ka, c’est donc une expérience auditive qui réclame une certaine immersion pour en apprécier pleinement la saveur, et même si les paysages sonores esquissés par l’excellent Animoss sur ce Orpheus vs. The Sirens en font l’album le moins sombre et minimal de la discographie du New-Yorkais, ce changement de ton plus lyrique est payant, nous faisant même découvrir une autre dimension du verbe de Ka. On a toujours l’impression d’être éclairé à la bougie, mais des ombres presque dansantes semblent se dessiner. On est hypnotisé ou on s’y endort, à vous de voir, mais moi il y a longtemps que j’ai choisi mon camp !


(Spoutnik)



8. Hórmónar - Nanananabúbú


Gagnant de l’édition 2016 de l’Icelandic Music Experiments, ayant notamment récompensé des artistes comme Mammút, Samaris ou encore Agent Fresco, Hórmónar propose depuis près de 3 ans des performances live de haut vol qui n’ont pas manqué d’impressionner les auditeurs, lesquels n’ont cessé de demander un album.
C’est désormais chose faite avec Nanananabúbú, condensé de punk savamment produit, qui nous ramène aussi bien sur les traces du mouvement riot grrrl que, plus loin encore, au début des années 80 où Reykjavík a vu sa scène punk exploser et devenir mythique.
De fait rentre-dedans (Gussi) et rageur (Költ), cet album ne manque toutefois pas de nuances, devenant tantôt envoûtant, comme ce Vökuvísa litanique et possédé, tantôt touchant avec notamment Frumeymd, qui aborde le sujet sensible du viol.
Non, c’est sûr, grâce à Hórmónar, le punk n’est pas mort !


(Spydermonkey)



9. Material Girls - Leather


"Dès Residual Grimace, Material Girls dévoile ses armes : une guitare capiteuse, une basse qui l’est tout autant, une voix possédée et une trompette qui ferraille avec un saxophone, possédés ces deux-là aussi. À l’instar de ce titre d’ouverture, Leather est vraiment un drôle d’objet. Groovy et retors, rien n’est jamais simple à son écoute. Alors qu’on pense l’avoir cerné, il se dérobe systématiquement.
Material Girls louvoie entre plusieurs pôles - noise, funk, soul, punk, afrobeat, cabaret, blues, fanfare, post-punk et j’en passe - et refuse de choisir son camp camarade, préférant les contours flous et le marquage fugace aux chemins tout tracés. Mais qu’importe puisque Leather se montre en permanence pertinent et passionnant dans tous les styles.
Tout à la fois glauque et raffiné, tranquille et violent, ciselé et flou, l’album sidère en permanence. D’autant plus qu’il ne s’agit somme toute que du premier, le sextette d’Atlanta n’ayant avant ça qu’un EP à son actif, MG VS IQ (2017), où il mélangeait déjà l’orgueil au désespoir et travaillait son cuir d’une manière très personnelle. Dense et iconoclaste, Leather s’empare d’une multitude de stéréotypes pour les réduire en miettes et les recycler dans quelque chose de totalement nouveau que l’on ne se lasse pas d’explorer."


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(leoluce)



10. Chris Weeks - Journey to Mars


"Comme le souligne Chris Weeks lui-même dans les notes qui accompagnent ce nouveau long format, l’idée de voir un jour l’humanité atteindre Mars et fouler le sol de la planète rouge n’a jamais été aussi présente dans les médias. Une aubaine pour ce féru des astres qui met en musique au gré de ces 8 instrus drone ambient les étapes clés de l’exploration martienne, entre récit scientifique et anticipation cinématographique.
Pour l’Anglais, tout commence il y a un quart de siècle avec la perte de signal de la mission Mars Observer, à laquelle The Lost Observer adresse une élégie scintillante de blips enchantés aux boucles de nappes stellaires et de piano manipulé, comme un appel aux générations futures, aux enfants de l’époque dont il faisait partie, de reprendre un jour le flambeau.
Pour autant, l’auteur de The Lost Cosmonaut n’a pas complètement délaissé son goût pour un isolationnisme angoissé, et entre le radiant Satellites of Mars, méditation dark ambient oppressante sous les deux lunes martiennes Deimos et Phobos aux sombres auspices mythologiques de terreur et d’effroi, et la mélancolie du final Dust to Dust (A Long Way From Home), les rêves de Chris Weeks s’avèrent aussi précaires voire évanescents que ses soundscapes analogiques."


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(Rabbit)



Trois beaux outsiders restés aux portes du classement



- Optiganally Yours - O​.​Y. In Hi​-​Fi


"N’ayant rien perdu de son art du haiku musical où la créativité naît de la contrainte, Optiganally Yours reste fidèle à son credo et met sur pied un album tout à la fois kitsch et irrésistible. Pea Hix maîtrise l’optigan, Rob Crow, le songwriting grande classe qui s’empare de tout et n’a peur de rien (et surtout pas du ridicule) et jamais l’un ne s’efface au profit de l’autre. Même lors des moments les plus péraves et embarrassants - au hasard, les breaks d’accordéon grotesques de Lemons And Tacos - on reste magnétisé par la grande tenue de l’ensemble. On est en permanence à la limite du second degré mais Optiganally Yours se refuse pourtant à tomber dans les affres de l’ironie facile et les morceaux demeurent strictement authentiques, c’est bien pour cela qu’ils fonctionnent si bien. Ces deux-là ne se moquent jamais de leur musique, encore moins de son élément central, l’optigan, et s’emparent de cet environnement désuet pour exprimer avant tout ce qu’ils ont au plus profond.
Rien à faire, on reste captif de cette poignée de morceaux mortels bien après que le dernier souffle de O​.​Y. In Hi​-​Fi s’est tu."


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(leoluce)

- James Reindeer - 667 HEARTS of DARKNESS


"Entre le décès de sa mère avec laquelle il entretenait une relation fusionnelle et un suicide manqué qui semble envenimer des rapports déjà compliqués avec son paternel, James Reindeer aurait pu sombrer mais sa créativité intarissable et débridée en a décidé autrement.
Après l’atmosphérique et habité Field Reports from the Western Lands aux élans post-rock, le plus métissé et surtout fabuleux SiNALOA GUNSHiP WARLORDiSM puis dans la foulée l’excellent BLACK HELiCOPTERS over FEMA Camp L​.​A. en guise de cousin antimilitariste et antifa de ce dernier, 667 HEARTS of DARKNESS est ainsi le quatrième long format de l’année pour le Britannique.
Et cette sortie-là en particulier est bien difficile à cerner. Entre noirceur désabusée et introspection bercée par des samples de musique soul (Summer is GONE), quête de spiritualité et regard presque journalistique sur notre monde en combustion, critique ouverte du complexe militaro-industriel et interjections fanfaronnes de rejeton des quartiers, le plus important finalement c’est que la musique soit encore une fois intrigante, fascinante, fidèle à son goût pour toutes sortes d’hybridations instrumentales ou rappées, à l’image ici de Don’t Ever Try to Play Us où une voix enregistrée donne des conseils pour se débarrasser d’un corps sur fond de bossa pastorale ou du génialement fantasmagorique Beneath Burning Skies of BABYLON dont l’alt-rap contestataire rythmé par une vraie batterie lo-fi fourmille de blips électroniques et de drones en apesanteur."


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(Rabbit)

- Rodin - Asha


"Du superbe et trop méconnu A Hall of Mirrors, troisième album et chef-d’œuvre absolu de son incarnation abstract hip-hop 2econd Class Citizen, restent les atmosphères mélancoliques (Air O, entre légèreté cristalline et beatmaking plombé), l’aspect cinématographique (l’urgent Mooskura), la proéminence acoustique (guitare notamment sur le tendu Muq Ti) et autres tiroirs mélodiques impromptus (Kamptown) que le Britannique Aaron Thomason, désormais caché sous le pseudo Rodin, frotte au groove assassin des beats et à la dimension dansante des lignes de basse sur cet hommage psychédélique et hypnotique au Bollywood des 70s, plein de samples exotiques et de déhanchements romantiques et rétro qui cachent souvent une musicalité autrement plus complexe (cf. le final Kamina au crescendo presque post-rock)."


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(Rabbit)


Nos 3 EPs de juillet/août



1. Mestizo & The Heavy Twelves - Big Bad Death


"Secret le mieux gardé de l’underground rap de Philadelphie, Mestizo médite sur l’angoisse de la mort sur cet EP ténébreux défendu par Fake Four qui l’associe à la nouvelle incarnation du beatmaker californien Egadz, toujours fidèle pour sa part à la mixture de drums de MPC massifs et abstraits et de synthés radiants aux basses saturées du génial Bad Keys Drip.
Côté micro, le MC, moitié d’A7pha avec Doseone, n’hésite pas à donner de la voix entre spoken word fantomatique et chant plaintif, de quoi rappeler l’atmosphère narcotique des albums de Gonjasufi ou le blues urbain cafardeux des meilleurs moments dI’m New Here, ultime opus du grand Gil Scott-Heron.
Quant à Egadz, dès l’imposant One Shot Kill, son boom bap des bas-fonds claque violemment et ses synthés rampants bourdonnent sans répit, bande-son de purgatoire pour le flow métamorphe d’un rappeur capable de passer des intonations d’un Ghostface Killah à celles d’un Roots Manuva ou d’un Ghostpoet, comme il fera plus tard sur l’hypnotique et funeste Hell Therapy, sommet d’un EP qui semble vouloir ironiser sur l’Au-Delà pour en désamorcer les promesses de damnation."


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(Rabbit)

2. Féroces - Joséphine


Déjà le troisième EP depuis qu’on a découvert Féroces en 2016, et force est de constater que depuis le génial Juliette, le groupe n’a fait ni concession, que ce soit dans la présentation, le style ou la qualité, ni connu quelque baisse de régime que ce soit. Leur post-rock instrumental est toujours rythmé par des extraits de films pour lui donner une voix, et c’est cette fois-ci le cinéma français des vingt dernières années qui est mis à l’honneur. Dès l’ouverture, avec Qu’est-ce qu’on va devenir nous deux ?, on est happé par les basses vrombissantes, devenues une véritable marque de fabrique du groupe, ici réhaussées des guitares impeccables et de la rythmique qu’on leur connaît depuis le début, et d’une délicate et discrète couche de synthés très influencés par la synthwave. Le disque dégage une profonde mélancolie, due à une belle osmose entre musique et textes, qui culmine cette fois-ci avec l’absolument sublime Il peut très bien voler son avion. Un disque qui remue, qui émeut, sans jamais tomber dans l’auto-satisfaction ou le pathos larmoyant. Troisième moyen format, troisième chef-d’oeuvre, une réputation grandissante grâce à leurs prestations live impeccables, les Bisontins sont à suivre de près plus que jamais.




(lloyd_cf)

3. JFDR - White Sun Live. Part I : Strings


Comme son nom l’indique, ce nouvel EP de l’Islandaise propose des versions arrangées de certains titres de son très beau Brazil de l’an passé et même l’un de ceux de son prochain opus (le sublime My Work, qui augure du meilleur pour la suite). Comme il ne l’indique pas forcément à moins de connaître sur le bout des doigts la discographie de Jófríður Ákadóttir, on y retrouve aussi des relectures introspectives, enluminées par les cordes d’un quintette de Reykjavík, de morceaux de son groupe Pascal Pinon, duo pop qu’elle forme avec sa soeur Ásthildur. Storytelling tragique (Orange, extrait de l’acclamé Sundur de Pascal Pinon donc) et néo-classique élégiaque (Evgeny Kissin, hommage au pianiste du même nom) y côtoient pop de chambre polyphonique aux envolées capiteuses (White Sun) ou complaintes cinématographiques (Instant Patience), et tous trouvent une intensité nouvelle dans le traitement piano/cordes, écrin dépouillé pour la douceur à fleur de peau du chant de JFDR qui n’avait peut-être bien jamais été aussi touchant.




(Rabbit)



Trois EPs bonus



- Machinefabriek w/ Signor Benedick the Moor - IX


"Le soundscaper expérimental Rutger Zuydervelt associé à un rappeur californien du combo "krautrap" True Neutral Crew (où officie notamment Daveed Diggs des noisy Clipping), c’était la jolie bizarrerie du mois d’août, pour amateurs de crossovers improbables, Machinefabriek y malmène à coups de nappes gothiques les vocalises glitchées de Signor Benedick the Moor (IX-3, IX-5) ou incorpore ses respirations à ses bandes-sons de purgatoire (IX-6), sans rechigner à faire un pas vers des sonorités abstract plus syncopées zébrées d’interférences crépitantes (IX-7) ou sous-tendues de distorsions voraces et de drones rampants (IX-4)."


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(Rabbit)

- Ævangelist - Aberrant Genesis


"Déliquescent et bouillonnant comme à l’accoutumée mais étonnamment mélodique dans ses lignes de guitares flirtant avec le sludge voire avec le stoner, ce morceau de 13 minutes de Matron Thorn et Ascaris s’avère être, la concision aidant, la sortie la plus accessible du duo metal cet été mais pas la moins ténébreuse pour autant."




(Rabbit)

- Hprizm - Catching a Body


"Prélude d’un album à venir qui mettra en musique "le film dans sa tête" dixit l’intéressé, Catching a Body met le sens du beat décadré que High Priest cultive depuis le bien nommé Arrhythmia d’Antipop Consortium au service d’hallucinations urbaines tantôt mélancoliques (Knitted Crown avec son piano troublant, la soul hachurée de Come Home), chamaniques (Touba, Asiatic ou même Protection Spell et son rétro-futurisme tribal), dystopiques (Three Piece, Dark Liquor) ou plus déhanchées (I’ll Find You, Clearbody). Imaginez un peu la rencontre entre John Carpenter et J Dilla et vous aurez une vague idée du résultat, que le beatmaker qualifie de cocon pour se recharger en ces temps compliqués."


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(Rabbit)



Les bonus des rédacteurs



- Le choix de Rabbit : Resina - Traces

"Quoi de plus approprié qu’intituler Traces un album qui s’est nourri du reliquat de désespoir et des vestiges de violence de l’arrondissement de Wola, ancien ghetto et cadre de l’insurrection de Varsovie toujours défiguré plus de 70 ans après. C’est là en effet que la violoncelliste Karolina Rec a enregistré après un éponyme remarqué en 2016, ce deuxième opus défendu par 130701, dans cette même veine insufflant dramaturgie cinématographique et textures ambient (Procession) à un héritage classique contemporain, avec force chœurs élégiaques et spectraux (Surface), cavalcades de percussions martiales assurées par son compatriote Mateusz Rychlicki (Resin), idiophones mystiques ballotés par une brise fantôme (le tribal In In) et surtout ces cordes, lamentations capiteuses et parfois même poignantes (In) qui laissent place aux sombres dissonances de méditations angoissées sur l’absence dans le recueillement d’un demi-silence (Glimmer) ou aux grouillements organiques du fingerpicking et autres stridences mortifères dans une ambiance de film d’épouvante ésotérique (Leftover)."


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- Le choix de leoluce : Alpha Strategy - The Gurgler


"Extrêmement déstructurée, la musique d’Alpha Strategy n’est faite que de chausse-trappes et de lignes brisées. On pense avoir identifié un motif, il mute immédiatement ou simplement, disparaît. La guitare n’en fait qu’à sa tête, la voix aussi. La rythmique ne vaut pas bien mieux. Elle montre une tendance assez étrange à s’évaporer sans crier gare pour revenir on ne sait trop comment ni pourquoi.
Le groupe aime s’appuyer sur la répétition des structures mais ce qu’il aime encore plus, c’est les dynamiter sans prévenir, en jouant sur l’épaisseur selon les interventions de chacun. L’autre grand truc des morceaux, c’est leur côté tribal qui confère une grosse vibration écorchée, très proche du blues, au noise-rock ultra-sec de The Gurgler et c’est vraiment ce qui en fait tout le charme. Ajoutez à cela la voix de Rory Hinchey coincée quelque part sur un segment qui relierait David Yow à David Thomas et vous comprendrez très vite que l’on est face à un disque plutôt singulier.
Sept déclinaisons pour un peu plus d’une demi-heure, c’est sans doute peu mais l’album sait comment s’y prendre pour nous perdre dans ses méandres anguleux sans jamais nous mettre dehors. D’autant plus qu’il sonne bien, la captation de Steve Albini et le mastering de Bob Weston sont très naturels et on a vraiment l’impression qu’Alpha Strategy balance ses diatribes tendues là, juste à côté de nous."


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- Le choix de lloyd_cf : Loose Tooth - Keep Up


Parfois, on est tellement concentré sur ce qui se passe de notre côté du globe qu’on oublie qu’aux antipodes, depuis bien longtemps, il existe aussi une scène pop-rock qui a toujours été détachée de la plupart des gimmicks et des influences qui semblent évidents à la plupart des musiciens occidentaux. Ainsi, depuis les Go-Betweens et les Verlaines, qui auront su se faire connaître avec bien du mal dès les années 1980, il règne par là-bas un certain culte de la ligne claire et des guitares bricolées, des choeurs pas toujours très justes et des mélodies à faire fondre le coeur, le tout dans un esprit bon enfant et une fausse naïveté dépourvue de cynisme, qui, en nos temps tellement blasés, est quelque peu salvatrice. Cet été, ce sont les jeunes Australiens de Loose Tooth qui, portés par le succès de leur compatriote Courtney Barnett dont ils partagent le label, ont su construire un bien bel album bariolé et un peu bricolé à l’instar de son premier single, Keep On qui ouvre la danse, qu’on aurait juré échappé de sessions secrètes entre les Verlaines et Jean-Paul Sartre Experience il y a vingt ans. Formule minimale en trio, un peu punk, un peu pop et surtout, chaudement recommandé. Bonne humeur garantie.



- Le choix de Spydermonkey : Lovely Girls Are Blind - Les Cendres


Nous les avions découvert en 2006, avec leur EP Gennevilliers, nous les laisserons en 2018 avec Les Cendres, puisque le groupe a annoncé que celui-ci serait le dernier, sous ce nom là tout du moins.
Et autant dire qu’entre-temps, Lovely Girls Are Blind a parcouru du chemin, délaissant peu à peu le côté pop de leur post-rock atmosphérique introduit par leur premier album éponyme pour se lancer dans des compositions ouvertement post-metal. Beau virage, donc, et virage réussi, surtout, puisque dès l’ouverture, on est embarqué dans une spirale obsédante avec Humungus.
Ici, tout est finalement question d’ambiance et de capacité à ne pas tomber dans l’ennui, piège souvent aperçu lorsqu’il s’agit de post rock/metal, rock progressif ou atmosphérique. Et le quatuor parisien parvient parfaitement à l’éviter puisque Les Cendres, alternant diverses sonorités, rythmiques et structures, constitue un album captivant.


- Le choix de Spoutnik : Jeremiah Jae - DAFFI

Après les deux Smoke Ride (Chill et Trill) de l’année dernière et un When Daffi Attacks en forme de préquelle, Jeremiah Jae pourtant hyper-actif depuis plus d’une décennie presque sans pause s’était fait plutôt rare en cette première moitié de 2018, et puis DAFFI arriva ! Le Black Daffi, c’est lui où du moins c’est l’alter-ego qu’il s’était créé du temps des énormes Young Black Preachers, Jeremiah Jae en rappeur plutôt discret et loin d’être sûr de lui a choisi de ressusciter cette entité verbale pour donner du corps et du verbe à ces 16 pistes qui d’un point de vue du beatmaking sont des pépites merveilleuses, piloerectiles et impeccablement construites. Au sommet de son art au niveau des productions, le Californien du Black Jungle Squad navigue toujours en eaux troubles, d’ambiances presque tubesques à d’autres plus vaporeuses et hypnotiques, de textures boom-bap presque des familles à d’autres plus hybrides et déconstruites, Jeremiah Jae étale tout son talent (immense) et montre qu’il est capable de tout faire (et même de rapper) !





La playlist IRM des albums et EPs de l’été






Les tops 5 des rédacteurs



- Le Crapaud :

1. Mamaleek - Out of Time
2. Material Girls - Leather
3. Busdriver - Electricity is on our Side
4. KEN mode - Loved
5. Chris Weeks - Journey to Mars

- leoluce :

1. Mamaleek - Out of Time
2. KEN mode - Loved
3. Optiganally Yours - O​.​Y. In Hi​-​Fi
4. Alpha Strategy - The Gurgler
5. The Necks - Body

- Lloyd_cf :

1. Mitski - Be the Cowboy
2. Loose Tooth - Keep Up
3. Broken By The Scream - An Alien’s Portrait
4. Astronauts Etc. - Living in Symbol
5. Tanukichan - Sundays

- Rabbit :

1. Tenshun & Bonzo - Miasma
2. Resina - Traces
3. Ben Chatwin - Staccato Signals
4. The Necks - Body
5. Matt Christensen - Gratitude

- Riton :

1. Mamaleek - Out of Time
2. Tenshun & Bonzo - Miasma
3. Ben Chatwin - Staccato Signals
4. KEN mode - Loved
5. Frontierer - Unloved

- Spoutnik :

1. Hermit & The Recluse - Orpheus vs. The Sirens
2. Jeremiah Jae - Daffi
3. Armand Hammer - Paraffin
4. Binary Star - Lighty + Ears Apart
5. Nostrum Grocers - Nostrum Grocers

- Spydermonkey :

1. Hórmónar - Nanananabúbú
2. Dynfari - Sem Skugginn
3. Lovely Girls Are Blind - Les Cendres
4. Touched With Fire - The Art Of Being Invisible
5. Kontinuum - No Need To Reason