Tir groupé : ils sont passés sur nos platines (11/05 - 5/07/2020)

Le dimanche sur IRM, retrouvez une sélection d’albums récents écoutés par un ou plusieurs membres de l’équipe, avec du son et quelques impressions à chaud. Car si l’on a jamais assez de temps ou de motivation pour chroniquer à proprement parler toutes les sorties qu’on ingurgite quotidiennement, nombre d’entre elles n’en méritent pas moins un avis succinct ou une petite mise en avant.



On se fait désirer mais c’est pour mieux vous offrir la crème de l’underground et de l’autoproduction, comme en atteste cette dizaine de sorties qui trustent déjà nos platines curieuses.




- Melenas - Dias Raros (8/05/2020 - Trouble In Mind Records)

Elnorton : Dias Raros. Ces jours particuliers. Ceux où l’on ne fait pas grand-chose et où l’on est enfermé. Avec ce second disque, paru deux ans après un premier album homonyme, Melenas capture tout à fait l’atmosphère ambiante. Le quatuor féminin basé à Pampelune s’exprime dans la langue de Cervantes et séduira assurément les fans de Stereolab (Primer Tiempo) aussi bien que ceux d’Electrelane (Despertar), les sonorités du combo oscillant entre dream-pop psychédélique et rock sautillant (3 Segundos). Bien que dynamique, l’univers de Melenas conserve toujours une dimension atmosphérique voire brumeuse. Au final, Dias Raros se construit autour d’un contraste et d’une délicieuse juxtaposition entre allégresse et mélancolie. Brillant.


- Beatahoe & Labal-S - Labstract EP (12/06/2020 - autoproduction)

Elnorton : Déjà à l’honneur dans notre bilan mensuel de mars 2020, Labal-S crève à nouveau l’écran sur l’EP Labstract et les productions de Beatahoe. Manifestement plus sombre que The Last Upper (Teeth Kickin), cette nouvelle sortie est également plus homogène et cohérente, maintenant un pouvoir d’attraction constant au long des six morceaux qui la constituent. S’agissant des comparaisons, on pourra penser ici et là à RJD2 (Beastro), et même percevoir l’influence de Dälek - sans en égaler la noirceur - pour ce flow survolté appuyé par des instrumentations sulfureuses (Live It Up).

Rabbit : L’ombre de Def Jux et notamment d’El-P plane en effet sur cet EP où Beatahoe - dont on parlait aussi dans un précédent Tir Groupé pour sa collab mafieuse avec Grim Moses - fait discrètement le show avec des productions tantôt cinématographiques et insidieuses (FlowGod, Barcissist) ou plus percutantes (Live It Up) qui laissent de l’espace ou donnent du boost aux tirades carnassières de Labal-S. Les chœurs féminins étranges et hantés y sont omniprésents, de Bumrush Strokes à Beastro, et des voix pitchées s’y invitent comme autant de goules assoiffées de sang. Un bonheur d’abstract hip-hop aussi inquiétant qu’entêtant, à prolonger par cette collection d’instrus ou pourquoi pas ce best of personnel du producteur basé au Canada avec pas mal de favoris de la rédaction en terme de hip-hop du caveau (de Boxguts à Pruven en passant par Bronze Nazareth).


- Anatoly Grinberg & Mark Spybey - Dust Forbids the Bird to Sing (4/06/2020 - Ant-Zen)

Elnorton : Dust Forbids the Bird to Sing est un disque aussi massif qu’impressionnant. Les sept titres qui le composent s’étirent sur au moins sept minutes (et parfois presque le double, comme sur un Obelisk à tiroirs), laissant à l’auditeur le soin d’être absorbé par ces progressions electro-ambient qui brassent volontiers différents registres pour mieux se les approprier et imaginer les décors souvent post-apocalyptiques mais parfois plus aériens qu’elles pourraient illustrer. A l’image du Gospel Primitives dont le mouvement situé à la moitié du morceau est particulièrement haletant ou d’un Into the Black Silence Melt plus percussif, le duo - qui signe ici sa seconde collaboration - se sert de field recordings et manipulations électroniques de nappes diverses pour offrir un ensemble ciné(g)matique à souhait. Enfin, fidèles à leurs habitudes, Mark Spybey et le génial producteur Anatoly Grinberg, également connu sous l’alias Tokee, soignent particulièrement la coloration, l’ampleur et l’union des différentes couches sonores, si bien que l’écoute au casque est fortement recommandée pour apprécier ce disque, signé chez Ant-Zen, à sa juste valeur.

Rabbit : Nouveau chef-d’œuvre ambient fantasmagorique et mystérieux pour le tandem formé par le Russe Anatoly Grinberg (Tokee / Massaith) et le Britannique Mark Spybey, ex Zoviet France. Moins funèbre et menaçant que l’excellent 123 m de l’an passé, Dust Forbids the Bird to Sing fait preuve du même goût pour les ambiances tribales et lynchiennes, de l’orchestral Gospel Primitives ample à couper le souffle au futuriste The Wren’s Bone tout en fourmillements de beats liquéfiés, en passant par l’ésotérique Langeland ou l’hypertendu et magnétique Obelisk. Toutefois, dès le clair-obscur Four Lines in Blue avec ses méditations éthérées, et plus loin au détour des rêves étranges et percussifs de The Ost ou dans les interstices des dislocations chamaniques d’Into the Black Silence Melt, le duo aspirerait presque à certaine innocence, enfouie sous la poussière des ruines de notre santé mentale mais toujours là, quelque part, prête à renaître au milieu des cendres et des gravats.


- Smorphya - TEMPESTA EP (22/06/2020 - autoproduction)

Rabbit : Après les métissages psyché-pop de YoungerSon, le bassiste de Shoefiti s’éloigne encore un peu plus des contrées indie rock avec ce nouveau projet purement expérimental au côté d’un compère argentin. Percussive et harmonieuse à l’image du magnifique (8 (padre), l’ambient de Smorphya brille par un mysticisme onirique bercé d’étrangeté et de textures décontextualisées, mais n’en fait pas moins la part belle aux claviers les plus évocateurs (Le dernier rêve de Falconetti) pour dérouler ses petits films imaginaires, osant même déjà l’ambition (réussie) d’un morceau-titre de 13 minutes alternant field recordings, transe hypnotique et monologue poétique.


- Ikuko Morozumi - Dougga (11/05/2020 - autoproduction)

Rabbit : Martial et scintillant à la fois, ce nouvel opus de la Japonaise n’a plus grand chose à voir avec l’IDM ou la techno, même expérimentale. Ovni percussif et déstructuré, Dougga réinvente la transe tribale à l’ère du digital, et ne met jamais le hola à cette cavalcade de beats paradoxalement régressive et cérébrale, foisonnante et minimale, entraînante et désorientante. Après l’ardu Exclusive OR EP, l’auteure de Tarot et pensionnaire du label Detroit Underground continue de se réinventer et de tutoyer les limites de l’accroche auditive, pour notre plus grand plaisir.


- Blanco Teta - Incendiada EP (1/05/2020 - TVL Rec.)

Rabbit : On n’avait évoqué qu’à demi-mot via les sortie et concert parisien de l’excellente Josefina Barreix, ce quatuor punk argentin aux audacieuses incursions de violoncelle hanté. Impossible de passer à côté cette fois tant Blanco Teta impressionne sur ces cinq miniatures ténébreuses, free et engagées qui doivent autant à la noise et à la musique contemporaine expérimentale qu’au rock le plus vénère voire à la période la plus tourmentée de Tricky (Incendiada). Cajeta Stereo sonne ainsi comme un Deerhoof du côté obscur tandis que la dernière partie de l’EP n’est pas sans rappeler la sauvagerie absurde et chaotique des Pixies d’antan, la voix toujours malléable à l’envie de Josefina, du murmure insidieux au cri, habitant chaque recoin des morceaux de sa réjouissante malveillance.


- MR.SMiFF - 5SSENCE (8/05/2020 - Mahorka)

Elnorton : Le premier titre de ce 5SSENCE s’intitule Contemplation et l’auditeur comprendra rapidement pourquoi. L’ambiance n’est pas à la fête sur ce disque et, à l’image d’Extraction, l’impression d’être spectateur de scènes désolées, tel un paysage saccagé par les flammes - l’illusion des crépitements renforçant probablement cette impression - percute l’esprit ici et là. Mais progressivement, une certaine note d’espoir point (The Essence). Minimal et parfois séminal, 5SSENCE est un disque ambient et abstrait, invitant à ralentir pour stimuler notre capacité à percevoir les détails de notre environnement.

Rabbit : Le Parisien Stefan Hristov aka MR.SMiFF s’est exilé sur l’excellent label bulgare Mahorka pour livrer ce superbe 5SSENCE dont les beats épurés, de clapotis en crépitements, flirtant tantôt avec le dub (Contemplation), le click & cut (Extraction), l’IDM des grandes heures de Warp (An Unexpected Reaction) ou même l’ambient techno (Secrets in Fumes) sont toujours au service d’atmosphères immersives aussi fascinantes qu’angoissées, développées en crescendos impressionnistes dont les textures venteuses et magnétiques accaparent les sens (l’essence ?) jusqu’au surgissement final d’une grâce évanescente et salvatrice.


- Trainfantome - Postmodern Blue EP (10/06/2020 - Influenza Records)

Baron Nichts : Projet autant solo que collectif mené par Olivier Le Tohic, Trainfantome sort en ce début d’été son nouvel EP Postmodern Blue. La formation rend son verdict post-confinement à travers quatre compositions étiquetées post-pop, soft-punk et crooner-core. Quel que soit le genre original auquel il se rattache, Trainfantome navigue au rythme de ses créations énergiques. Le groupe résonne clairement d’une énergie punk, à mi-chemin entre le post-punk et le grunge, édulcorée par des arrangements pop noyés dans un bruitisme prenant. Mais derrière ses formes brutes, Postmodern Blue s’apprécie comme un met raffiné aussi authentique que fourmillant.

Rabbit : Après Smorphya, on a encore cru à un indie rockeur parti explorer l’ambient, la faute à une intro aux exhalaisons hypnotiques... mais non, le cachet Influenza Records des copains Wonderflu ne trompe pas, c’est bien en navigant du noise rock des 90s (His Blood) à des contrées plus matheuses (Vulgar) en passant par la ballade grungy Postmodern Blues que le Nantais Olivier Le Tohic donne suite à l’excellent Mature Immature. Court, forcément trop court mais déjà joliment parsemé de classiques instantanés.


- Fin del Mundo - Fin del Mundo EP (03/04/2020 - Autoproduction)

Baron Nichts : Jeune quatuor féminin originaire de Buenos Aires, Fin del Mundo sortait en avril dernier son premier EP 4 titres éponyme. La formation navigue sur une pop acidulée inspirée par les introspections poétiques d’Explosions in the Sky. Fin del Mundo s’apprécie pour sa légèreté magnifiquement pessimiste ou nostalgique, portée par des guitares cristallines et des voix ensorcelantes. L’ensemble s’anime aux sonorités d’une batterie plus désinvolte mais juste. Voilà un premier essai réussi qui mérite une visibilité accrue sur notre vieux continent.

Elnorton : Ce premier EP homonyme lorgne en effet vers un post-rock façon Explosions in the Sky ou plus assurément vers ce math-rock que des formations comme les Rennais de Mermonte parviennent à transcender pour l’affranchir d’un certain nombrilisme (voire d’un aspect parfois un peu soporifique). Fin del Mundo est un quatuor qui décrit une formation d’apparence ordinaire - guitare, basse, batterie et voix - mais l’aspect aérien, à l’image d’un chant étouffé rappelant celui de Rachel Goswell de Slowdive, conjugué à des accords anguleux, lui confère néanmoins une certaine singularité. Cette dernière, conjuguée à des compositions solides, permet aux Portègnes de signer un premier EP aussi intéressant que prometteur.


Articles - 05.07.2020 par La rédaction
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