Mes années 2010, part 6/7 (par Rabbit)

Pas question ici de prétendre au meilleur de quoi que ce soit, ou à cette illusoire universalité qui sert d’excuse au conformisme ambiant : nombre de ces albums ne vous parleront pas mais certains pourraient contribuer à changer votre vie, et si c’est le cas pour ne serait-ce que l’un d’entre eux, l’exercice n’aura pas été vain. Avec un peu de recul, voici donc au gré d’une série de 7 articles mes 250 LPs préférés des années 2010, avec pour seule contrainte un album par artiste ou projet.

Précédemment : < Part 1/7 > < Part 2/7 > < Part 3/7 > < Part 4/7 > < Part 5/7 >



Mes albums préférés des 10s - #40 à #21



40. The Oscillation - Monographic (2016)

"Des affleurements de grouillis cauchemardés et autres hurlements doomesques du morceau-titre ou de Truth in Reverse, deux titres en apparence classiques pour The Oscillation mais pervertis en profondeur par la noirceur vertigineuse de leurs textures, jusqu’au courant de conscience d’un final drone aussi opaque et magnétique que la conclusion du 2001 de Kubrick (The End of Conscious Thought), Monographic ne cesse d’ouvrir, ici encore, de nouvelles pistes aussi sagaces - et parfois fugaces - qu’intrigantes, flirtant d’abord avec l’apesanteur aux reverbs droguées de Spiritualized (Let It Be The End) pour s’enfoncer ensuite de plus en plus profondément dans les vapeurs atmosphériques de ses errances subconscientes sur une seconde moitié d’album en suspension."

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39. Cadlag - Votivkirche (2017)

"Cadlag, collectif slovène où l’on retrouve notamment Simon Šerc, patron du label Pharmafabrik, Neven M. Agalma des tout aussi bruyants et futuristes Ontervjabbit, Dejan Brilj et Boris Laharnar, nous gratifiait en toute fin d’année 2017 d’une seconde performance live enregistrée quelques mois tout juste après la première, avec le même line-up mais cette fois à Votivkirche, la fameuse Église Votive de Vienne en Autriche, dont l’espace architectural et la reverb naturelle servent forcément les progressions insidieuses et de plus en plus abrasives cette piste unique d’une quarantaine de minutes. Un pugilat de machines et guitares à huit mains encore plus imposant et malaisant que le précédent, qui déverse peu à peu son blizzard d’échardes analogiques et ses murs de bruit blanc viciés dans nos tympans sur fond d’épaisses couches de drones sépulcraux et de synthés irradiés, pour ce qui ne manquerait pas d’être une parfaite mise en son de l’architecture néo-gothique des lieux si la cathédrale en question s’élevait sur une pile de cendres et d’os broyés dans un décor post-apocalyptique aux nuits sans fin."


38. Yuka Honda - Heart Chamber Phantoms (2010)

"Qui se serait douté à l’époque du fameux Sugar Water et de son formidable palindrome visuel signé Michel Gondry, que l’on retrouverait une décennie plus tard la claviériste et productrice Yuka Honda en collaboration avec Marc Ribot ou Trevor Dunn pour une paire d’albums édités sur le label Tzadik, dont les percées avant-gardistes ne pourraient sembler plus éloignées de la pop funky teintée de trip-hop ou de jazz caractéristique des débuts de feu son groupe Cibo Matto (formé avec Miho Hatori qui prêta quant à elle sa voix au personnage de Noodle sur l’éponyme de Gorillaz) ?
Et pourtant, avec cette troisième réalisation au sein de l’écurie de John Zorn, la New-Yorkaise entourée d’un ensemble conséquent d’instrumentistes parmi lesquels son ancien petit ami et fréquent collaborateur Sean Lennon à la batterie et à la basse, n’en finit plus de s’aventurer hors des sentiers battus. Mêlant ambient-jazz plus ou moins serein ou angoissé survolé par la trompette lunatique de Michael Leonhart, fulgurances free, réminiscences jamais pesantes des expérimentations atonales de John Cage, électro cosmique, psychédélisme mystique, funk tribal et autres bruits de jungle, Heart Chamber Phantoms s’impose ainsi en l’espace de neuf instrumentaux organiques et luxuriants comme un véritable petit chef-d’œuvre transcendantal, hypnotique et mouvant."

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37. Marielle V Jakobsons - Star Core (2016)

"Successeur de l’ensorcelant Glass Canyon dont les collusions d’infrabasses dronesques, d’oscillations kosmische et de cordes enivrantes semblaient réinventer le mouvement des planètes en 2012, Star Core voit la Californienne dans un format apparenté de 6 longs morceaux radiants et capiteux remettre au premier plan son instrument de prédilection, le violon qu’elle pratique notamment au sein des duos Date Palms et Myrmyr, du collectif Portraits ou parfois de Barn Owl. Influencé par la musique asiatique - et notamment indienne - la plus transcendentale tant pour ses lignes de basses que pour les circonvolutions envoûtantes du violon sur Star Core et sur Rising Light ou la flûte lancinante d’Undone ou de The Beginning is the End - au titre forcément évocateur des préceptes bouddhistes -, ce nouveau chef-d’œuvre aux vibrations stellaires faites d’arpeggiators et autres drones propices à la métempsychose n’en explore pas moins le même inconnu sidéral - et sidérant - d’un cosmos intérieur toujours aussi impressionnant d’ampleur et d’intense magnétisme."


36. Terra Tenebrosa - The Purging (2013)

Les ex Breach ont survolé ma décennie metal avec deux des albums les plus viciés et vicieux, aventureux et inclassables que le genre ait jamais connu : The Tunnels déjà, grand œuvre inaugural frénétique et glauque, et ce deuxième opus, épique dans une définition presque punk du terme qui fait fi de tout folklore ostentatoire et de tout excès de grandiloquence pour tout brûler sur son passage à coups de frappes sèches, de gerbes d’échardes électriques et de textures organiques et irradiées (Black Pearl In A Crystalline Shell), un vortex cauchemardé qui ne sacrifie jamais l’atmosphère au rouleau-compresseur dense et opaque de ses hymnes à l’apocalypse (Disintegration) quelque part entre doom, black, post-metal et hardcore, cf. l’enclave dark ambient malsaine At the Foot Of The Tree ou le drone harsh et caverneux du flippant final The Reave.

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35. Lifecutter - Death(c)rave (2017)

"Le Slovène Domen Učakar aka Lifecutter fait ici référence au "masochisme primal" du todestrieb ou death drive en anglais, cette pulsion de mort étudiée par Freud et associée ici aux tentations autodestructrices d’une recherche du plaisir parfois plus malsaine que satisfaisante. Death(c)rave démarre pour le moins violemment avec la technoise implosive et sursaturée d’Hypoxia, rave azimutée sur une chaîne d’usinage détraquée entre deux breaks acides évoquant les plus radicales de ces bacchanales musicales de l’underground 90s dont les rescapés sont sûrement aujourd’hui sourds ou malentendants. Une partie de plaisir néanmoins au regard du Crushing Trauma qui s’ensuit, dont les martèlements power electronics charrient en un flot ininterrompu bourdons abrasifs et larsens tranchants. Il faudra bien la relative accalmie du grondant Loss of Consciousness pour soigner ses lésions à défaut de reprendre sa respiration, tant le dark ambient dense et crépitant de cette continuation de Safe Place parvient à évacuer tout l’oxygène environnant."

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34. Ulver - ATGCLVLSSCAP (2016)

"Les loups norvégiens de Kristoffer Rygg en connaissent un rayon en disques composites où se télescopent les influences les plus antinomiques, on se souviendra notamment d’un Perdition City entre trip-hop, pop progressive, électro-rock, jazz, ambient, soundtrack imaginaire... et qui tenait pourtant particulièrement bien la route. Une dimension cinématographique qui n’a depuis jamais quitté le groupe, du requiem électro-ambient orchestral de Messe I.X-VI.X à la BO toute en nappes vaporeuses, tension martiale presque tribale et cordes tourmentées du film Riverhead, plus beau score ciné de l’année 2016. Plutôt que pencher vers cette dernière sortie particulièrement épurée, c’est pourtant bien vers ATGCLVLSSCAP que mon coeur balance à l’heure des bilans, définition même de l’album malade, qui saute allégrement de l’élégie drone du poignant England’s Hidden au post-rock électronique de l’épique Glammer Hammer, ou plus loin des rêveries à synthé ultra-minimalistes de Gold Beach à l’hymne de stade de Nowhere (Sweet Sixteen) et dans la foulée la ballade-fleuve piano/percussions déclamée d’Ecclesiastes (A Vernal Catnap), seul enchaînement un peu faiblard d’ailleurs d’un album ambitieux qui le reste du temps tape dans une fusion de post-rock, de drone et d’électronica pulsée avec un sens de la dramaturgie rarement égalé, des morceaux aussi puissants, enfiévrés, habités que Cromagnosis ou Om Hanumate Namah rivalisant sans mal avec les plus belles épopées des derniers Swans."


33. Backburner - Eclipse (2015)

"Cet album condense à peu près tout ce que j’aime dans le hip-hop : à la fois épique et décontracté, rigolard et pourtant loin d’être aussi friendly qu’on pourrait le croire (Nothin’ Friendly, proclame meme le crew d’Halifax sur un final galvanisé par les cuivres en cinémascope du compositeur Alan Silvestri) voire même carrément dark et angoissé aux entournures sur un milieu de disque qui prend légèrement plus de temps à s’imposer que les tubes immédiats Death Defy, Bottle Caps ou Bad Lieutenants (cf. les décadents Creepy Crawly et Future Shock avant la triplette d’anthologie dont je parlais ici), sous tension constante en dépit d’un esprit nerdy multipliant les références SF, heroic fantasy, ciné, comics, gaming, mythologie, etc... On y entend du jazz et des scratches enflammés, des basses rondes ou rampantes et des flows singuliers (Timbuktu, Jesse Dangerously, Worburglar, More Or Les font partie des MCs les plus emballants du paysage alt-rap si ce n’est du hip-hop actuel tout entier), des riffs de guitare coolissimes et des collages de samples alambiqués, le Wu-Tang Clan, Björk et les Beastie Boys, de l’irrévérence enrobée de pop culture, du respect pour les pionniers d’un hip-hop ludique et intelligent que le mainstream a nivelé par le bas et du futurisme en veux-tu en-voilà dans la production des géniaux Fresh Kils, Mister E et Savilion. Bref, vive le Canada, goûtez-y vous aussi si ce n’est déjà fait, vous n’en reviendrez pas."

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32. Amantra - Dawn Of The Fourth Stage (2018)

"Avant une belle série de sorties sous son nouvel alias Scorched Earth Policy Lab et une collaboration avec Submerged, Dawn Of The Fourth Stage était l’occasion de découvrir la facette dark ambient de Thierry Arnal. Les basses fréquences rampantes se combinent aux radiations électroniques dès le très dense et hypnotique The Wall of Chaos Are Painted White pour mieux anesthésier notre conscience et laisser nos émotions primales prendre le dessus, à commencer par une angoisse qui ne nous lâchera plus. Saturations abrasives et stridences analogiques entrent en collision sur Vultures Wearing Dove Masks dont l’amoncellement de nuages grondants semble déjà prêt à charrier échardes et clous rouillés. De la menace latente du larsenisant Nothing Will Remain of Our Victories au déferlement sourd de grouillements harsh noise de la première moitié du final A Dance in the Shadows with Her en passant par l’atmosphère d’apocalypse en marche d’And From Heaven They Will Fall Upon Us, l’album nous happe par son aspect cinématographique sans jamais se départir de sa fascinante opacité. Les textures roulent, tonnent, irradient, crissent ou se dérobent pour finalement nous laisser hagard, errant pour le reste de l’éternité dans un no man’s land de reverbs abstraites (les six dernières minutes du morceau-fleuve A Dance in the Shadows with Her) où l’angoisse du néant se mêle à l’ivresse des profondeurs... celles de l’abîme, évidemment. Vertigineux !"

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31. Andrea Belfi - Alveare (2017)

"Sur Alveare, album qui l’associe à la géométrie des architectures de béton de Matthias Heiderich sous la bannière du label IIKKI de Mathias Van Eecloo, le génial expérimentateur italien de B/B/S/ confronte son drumming à la croisée d’une musique tribale vénusienne (Passo), d’un jazz revisité par Can (Grigio) et d’une ambient mystique (Statico et ses percussions monastiques) à un foisonnement micro-électronique entêtant qui dès le superbe Vano ouvre sur l’infini cosmique d’un va-et-vient de drones de synthés lancinants, de glitchs vibrants et de sinusoïdes spectrales, offrant à ces longs serpentins hypnotiques une dimension paradoxalement organique et désincarnée à la fois, quelque part entre le Gastr Del Sol de Camoufleur (on ne s’en étonnera pas vraiment, l’Italien collaborant régulièrement avec David Grubbs au sein du trio Belfi/Grubbs/Pilia) et les pulsations algébriques chères au label allemand Raster-Noton."

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30. Daniel W J Mackenzie & Richard A Ingram - Half Death (2019)

"Entre la vie et la mort, modern classical et ambient aux inquiétantes difformités bruitistes (Half Breath), spleen funeste des accords majeurs et dystopie des pulsations électroniques et autres drones de synthés clairs-obscurs, foisonnement glitch et nappes harmoniques titanesques (Half Death), field recordings grouillants et envolées stellaires, no man’s land post-technologique et scintillements diffus d’un éther au néant vaguement plus accueillant (Ending), cette collaboration de Daniel JW Mackenzie (Ekca Liena, Plurals) avec Richard A Ingram (Oceansize, Biffy Clyro) provoque le genre de petits miracles qui ne peuvent naître que des collisions d’influences de deux artistes aux backgrounds musicaux radicalement opposés, que réunit une passion commune pour le drone infusé de piano parfois méconnaissable et les fantasmes les plus sombres de la science-fiction. Un véritable soundtrack imaginaire comme les musiques expérimentales les plus atmosphériques en regorgent, aussi évocateur que singulier (des breaks impromptus de Victoria Piano I aux mutations caverneuses de Jitter en passant par les fourmillements lancinants qui ne cessent d’aiguillonner les pianotages délicats de Creeping)."


29. Caulbearer - Haunts (2012)

"Sorti de nulle part, ou plus exactement du néant virtuel qui sépare Austin, Texas d’Albuquerque au Nouveau Mexique, ce duo aux drones sismiques et hantés en remontrerait presque à Tim Hecker ou à Sun Thief au gré des vents mauvais de l’inaugural Haunts. C’est la claque immédiate et sans équivoque, comme avec ces sommets d’ampleur pullulante aux évocations arides et pourtant ultra-détaillées, zoom sans fin sur les aspérités de l’épiderme de Dieu ou les plaques de terre desséchées que parcourent en tous sens les scarabées du clip de l’introductif The Absorbing Ghost I, tandis que la végétation sanguinolente et autres paysages crépusculaires de la vidéo de Siege Machines II illustrent à la perfection la dimension ténébreuse d’un disque qui réinvente le dark ambient dans un désert de sel, avec ses chapes solaires aux suintements corrosifs pour la peau comme pour l’âme.
Un côté obscur qui bascule enfin dans l’ombre avec le triptyque Shipwrecked Cathedrals et notamment son second mouvement qui semble vouloir aspirer nos âmes dans les limbes de l’oubli, de ses vagues languides aux allures de chœurs de succubes. Quant aux deux parties terminales d’Infinite Rooms Of The Afterlife, elles portent on ne peut mieux leur nom, no man’s land d’éther abrasif dont le vortex spectral sans entrée ni sortie emprisonne nos esprits de toute éternité et se décidera finalement à les noyer sous un tsunami de bruit blanc."

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28. Max Richter - The Leftovers OST (2014/2015)

"S’il y a une œuvre de Max Richter qui m’a accompagné intimement, si je ne devais en garder qu’une, il s’agirait assurément du score de la série The Leftovers, OVNI lynchien du petit écran à la hauteur de Lost (du même auteur) dont le souffle tragique doit beaucoup au lyrisme des compositions du Germano-Britannique, flirtant avec la musique sacrée et que seuls égalent sur l’acclamé Sleep par exemple les bouleversants Return/If You Came This Way/Nor Earth, Nor Boundless Sea, évocateurs de ce puits de tristesse au fond duquel Patti Levin rend à Kevin Garvey la conscience de ses sentiments occultés par une midlife crisis post-apocalyptique dans International Assassin, épisode TV le plus sidérant de la décennie."


27. Death Blues - Ensemble (2014)

"En confiant au multi-instrumentiste californien William Ryan Fritch (Vieo Abiungo, Skyrider) les rênes de Death Blues, Jon Mueller ne s’est pas seulement adjoint les services de l’un des arrangeurs les plus évocateurs et inventifs de cette dernière décennie. Ensemble offre en effet à l’auteur de Thunder May Have Ruined The Moment un nouveau terreau d’émotions à transcender par son approche unique de la dynamique orchestrale, plus que jamais marquée par le folklore ethnique comme par les élégies de la musique classique contemporaine. Loin de l’aridité bluesy et tourmentée des débuts du projet, le foisonnement lyrique mais brut de Fritch arrondit les angles sans trop les polir à force de vents enivrants, de chœurs célestes et de clappements embrasés, arabesques violoneuses et autres cordes orientales esquissant la bande-son d’un road-movie dans les plaines d’Afrique ou les steppes d’Asie. Résolument multi-dimensionnel, ce quatrième opus empile les lignes mélodiques et les enluminures baroques comme on engrange souvenirs et sentiments qui nous aident à continuer d’avancer contre vents et marées."

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26. Cindytalk - The Labyrinth Of The Straight Line (2016)

Alors que la récente réédition augmentée de 3 titres du superbe Wappinschaw (1994) nous permet de renouer avec le noise rock gothique et déstructuré, la no wave et le songwriting écorché du séminal Camouflage Heart d’il y a 40 ans, enrobés ici de folklore écossais, The Labyrinth Of The Straight Line poussait 5 ans plus tôt la phase Mego de Cindyltalk dans ses ultimes retranchements expérimentaux, ces abstractions radicales à la croisée d’un glitch strident et d’un bruitisme post-industriel dont les éruptions abrasives et fuligineuses s’entrecoupent sur ce dernier opus en date de pianotages atonals, de méditations futuristes et même d’une prose obscure en ouverture, seule incursion vocale d’un génial précis de terrorisme musical aux allures de chaînon manquant entre Zs, Merzbow et Nurse With Wound.


25. Oval - O (2010)

"Un double album de deux heures pour 70 titres au son très homogène et où l’on ne s’ennuie pourtant pas une seconde, ne serait-ce que par la diversité des impressions, atmosphères et sentiments évoqués par ces captivantes miniatures. Limpides ou alambiqués, méditatifs ou fulgurants, mélodiques ou intrigants d’instabilité souterraine, épurés ou sous-tendus d’infrabasses et autres vibrations fugaces, les 20 morceaux du premier CD parfois rythmés par une véritable batterie en liberté rivalisent de virtuosité glitchy avec les "ringtones" du second, plus expéditifs et minimalistes mais tout aussi fascinants et insaisissables, comme une série d’instantanés synthétiques programmés avec la spontanéité d’une impro acoustique."

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24. The Body - I Have Fought Against It, But I Can’t Any Longer. (2018)

"Chaque nouvel album du duo de Portland est un pied de nez supplémentaire aux attentes de ceux qui pensaient avoir cerné en Lee Buford et Chip King de simples rénovateurs du black metal. Aussi tourmenté qu’éthéré, mélangeur que singulier, l’univers de The Body est l’un des plus radicalement irréductibles qui soient, et du drone orchestré qu’habite le chant capiteux de l’habituée Chrissy Wolpert sur l’intro The Last Form Of Loving au monologue désespéré du final Ten Times A Day, Every Day, A Stranger emprunté à l’écrivain tchèque Bohumil Hrabal, requiem pour saillie harsh noise, piano fataliste et field recordings aux damnés d’une solitude éternelle voués à décevoir, échouer, souffrir et ne jamais trouver leur place, ce dernier opus en date pour Thrill Jockey fait preuve d’une ambition encore décuplée sans jamais tomber dans la conceptualisation ampoulée. Capable d’enchaîner le plus naturellement du monde la liturgie indus Can Carry No Weight, la symphonie technoise Partly Alive, le dub bruitiste implosif et tout aussi torturé d’un The West Has Failed digne des projets les plus crépusculaires et menaçants de Justin K. Broadrick ou Kevin Martin et la complainte Nothing Stirs où le chant de Kristin Hayter (Lingua Ignota), de l’opéra au hurlement, rivalise d’affliction avec les violons et le grunt de Ben Eberle (Sandworm), I Have Fought Against It, But I Can’t Any Longer. laissera quelques lacérations dans les coeurs des misfits qui s’ignorent, la suite - en particulier l’hybride Blessed, Alone quelque part entre doom vicié et romantisme néo-classique plombé - ne faisant que s’enfoncer plus avant dans les affres de la souffrance psychique jusqu’à l’abîme de frustration viscérale d’un Sickly Heart Of Sand aux allures de snuff movie musical."


23. 9T Antiope & Siavash Amini - Harmistice (2019)

"Il m’avait toujours manqué quelque chose pour être transporté par le drone de Siavash Amini, sûrement cette dimension incarnée, habitée qui ne fait par contre jamais défaut à l’impressionnant duo 9T Antiope. Du purgatoire de textures cauchemardées de Nocebo à l’épure vocale, chez Eilean Rec., d’un Grimace mi ambient mi orchestré digne des travaux les plus capiteux et hantés à la fois d’un David Sylvian, il y avait de quoi construire un top ten autour des seuls Iraniens en cette année 2019, avec en point d’orgue cet Harmistice à la croisée des chemins, sorte de Blemish harsh où le romantisme atonal du chant de Sara Bigdeli Shamloo, flirtant sur Silver As In Silence avec le chant lyrique, surplombe un purgatoire perçant et crépitant de bourdons post-industriels (Blue As In Bleeding), de saturations pulsatiles (Black As In Burst) et de crins dissonants (Purple As In Pain), bulle de résistance poétique aux tourments d’un monde en déclin qui s’acharne en vain à tenter d’en éradiquer la beauté."


22. Damon Albarn - Everyday Robots (2014)

"Introspectif et ouvert sur le monde, humble et ambitieux, épuré mais foisonnant d’arrangements inventifs et de détails de production capables de transformer la grisaille du quotidien en féérie sous les tropiques (Mr. Tembo), Everyday Robots est le chef-d’œuvre d’un globe-trotter au talent et au cœur bien trop grands pour tenir dans la panoplie du parfait petit brit-poppeux efficace et inoffensif que les fans du Blur des 90s auraient voulu ne jamais le voir quitter. Exit les petits hymnes électriques d’antan, adieu l’électro un peu bling-bling des derniers Gorillaz, ce premier véritable album solo déroule des chansons majestueuses, audacieuses et racées qui empruntent à tous les courants musicaux (chamber pop, électronica, folk, negro spiritual, jazz, field recordings, musiques du monde) sans en revendiquer aucun à l’image du parfait Lonely Press Play. A l’instar de la voix d’Albarn plus radiante que jamais de sagesse et d’espoir (cf. The Selfish Giant avec Bat For Lashes aux harmonies), ces chansons-là troublent, ensorcèlent ou transpercent de leur insondable mélancolie. Renouant avec l’élégance mélangeuse des grandes heures du trip-hop, on n’a définitivement pas entendu plus beau cette année qu’un You & Me partagé entre grâce rétro-futuriste, easy-listening tourmenté et tristesse infinie de l’automne d’une relation. Et que dire du gospel moderne de Heavy Seas Of Love emballé par les chœurs du Leytonstone City Mission Choir et le chant de dandy d’un Brian Eno dont la seule présence (agrémentée de quelques synthés vintage fort bien dosés) incarne cette identité de passeur entre la pop et l’avant-garde que l’auteur de Think Tank endosse pleinement désormais sans avoir l’air d’y toucher ?"

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21. Jasper TX - The Black Sun Transmissions (2011)

"Investies d’un véritable souffle mythologique et transcendées tantôt par le spleen délicat d’un piano préparé (White Birds) ou par des arrangements de cordes d’une rare ampleur lyrique (Weight Of Days) qui les rapprocheraient presque du post-rock de la grande époque Constellation, les compositions du Suédois Dag Rosenqvist aka Jasper TX semblent évoquer la solitude du dernier survivant d’une civilisation dévastée, déambulant dans les décombres de paysages monumentaux qui n’existeront bientôt plus pour personne. Saisissant."