Mes années 2010, part 4/7 (par Rabbit)
Pas question ici de prétendre au meilleur de quoi que ce soit, ou à cette illusoire universalité qui sert d’excuse au conformisme ambiant : nombre de ces albums ne vous parleront pas mais certains pourraient contribuer à changer votre vie, et si c’est le cas pour ne serait-ce que l’un d’entre eux, l’exercice n’aura pas été vain. Avec un peu de recul, voici donc au gré d’une série de 7 articles mes 250 LPs préférés des années 2010, avec pour seule contrainte un album par artiste ou projet.
Précédemment : < Part 1/7 > < Part 2/7 > < Part 3/7 >
Mes albums préférés des 10s - #80 à #61
80. Lucy Railton - Paradise 94 (2018)
"Dès Pinnevik, la Britannique explore le point de rencontre d’un sound design abstrait fait de collages (les samples de verre brisé) et de motifs répétés jusqu’au vertige (les boucles industrielles aux allures de lacérations), avec les mutations les plus viscérales de l’avant-garde post-classique (les drones gothiques d’orgue lancinant). Plus minimaliste, Gaslighter est fait du même bois - celui de l’instrument à vent malmené, voire supplicié - que les fantasmagories horrifiques des nécromanciens dark ambient Kreng ou Adrian Anioł.
Violoncelliste de studio pour Bat For Lashes, Bonobo ou Jamie Cullum notamment, Lucy Railton cachait bien son jeu. Entre le portrait d’un noir profond de sa pochette et le choix d’un label, Modern Love, connu pour ses sorciers du sombre tels que Demdike Stare, Vatican Shadow, Andy Stott ou encore l’alias The Stranger de l’excellent Leyland Kirby, on avait beau s’attendre à autre chose qu’à de jolis arrangements de cordes frottées, on était loin d’imaginer que derrière les connotations hédonistes de son intitulé Paradise 94 se cachait l’un des disques les plus retors et cauchemardés de l’année, charriant le genre de névroses et d’abysses soniques que peu de musiciennes en solo arborent à même la peau."
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79. Nest - Retold (2010)
"Reprenant les six pièces du superbe EP éponyme de 2007 complétées de cinq nouvelles compositions tout aussi fabuleusement évocatrices qui donnent enfin à l’univers de Nest toute l’ampleur qu’il méritait, le Norvégien Otto Totland (moitié du duo Deaf Center) et son comparse gallois Huw Roberts fondateur du label Serein nous proposent avec l’album Retold de voyager au gré de leurs nappes ambient contemplatives - ou parfois plus inquiétantes (Marefjellet, The Helwick) voire un peu hantées (cf. les drones métaphysiques de Cad Goddeu et ses arrangements en vortex) - sans quitter notre fauteuil, guidés tantôt par les accords minimalistes d’un piano majestueux doublés d’arrangements de corne imposants et de percussions plus étouffées, tantôt par une harpe flirtant avec des cordes japonisantes (Kyoto) en passant par l’avancée cinématique d’un train au cœur la taïga (Trans Siberian) ou les choeurs sacrés et autres lointaines réminiscences orchestrales de Far From Land."
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78. Windy & Carl - We Will Always Be (2012)
"Cinquième album en 15 ans chez Kranky pour les Michiganais et si les tonalités demeurent résolument célestes et méditatives passée cette folk song dépouillée et zébrée d’interférences radio en introduction, la dream-pop sous perfusion 4AD des débuts n’a jamais paru si minuscule, vue de là-haut. Passons sur ces dialogues entre accords pénétrants et drones monolithiques (The Frost In Winter), ces échos lointains de guitares post-rock sur fond d’oscillations électroniques (The Smell Of Old Books), ces lancinantes spirales en papier de verre remodelant les frontières entre concordance et discordance (Looking Glass), ces moments éphémères où Windy prend le micro pour égréner quelques vers de sa voix rassurante irradiant d’une sagesse ancestrale (Nature Of Memory), ces soudains revirements d’humeur qui plombent les cieux de nuages lourds (Spires).
Car avec Fainting In The Presence Of The Lord, en 7 mots et 19 minutes, tout est dit. S’agit-il d’harmonies vocales basses fréquences venues d’une autre dimension ou du drone intangible de quelque cuivre cacochyme qui tente de percer la masse embrumée avant que le tsunami ne déferle ? Dieu a fait le monde en 7 jours, dit-on. Plus l’on s’enfonce dans ces flots de saturation et plus on a l’impression de toucher du doigt quelque chose de fugace et pourtant immuable. L’instant où le rien est devenu tout. Le commencement de l’éternité ?"
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77. Methuselah - A Great Leap In The Dark (2010)
"Avant d’enchaîner avec les errances mystiques d’un Invocation plus acoustique et minimaliste, le mystérieux duo de Colombus, Ohio dont les membres Adam Wetterhan (Sun Thief, Shadowclast) et Luke Knight (Apollo, We Were Ravens) nous sont aussi peu connus que leurs projets respectifs inauguraient leur collaboration avec ce monument drone ambient proprement écrasant, dont les nappes ténébreuses et autres drones transcendantaux sous-tendus de pulsations post-industrielles rappelleront aux amateurs les abysses explorées par Tim Hecker, Aidan Baker ou Dead Letters Spell Out Dead Words."
76. Morgan Packard - Moment Again Elsewhere (2010)
"Motifs de piano répétés en séquences enivrantes à la poésie abstraite, traînées d’accordéon mélancoliques ou saxo solitaire et caressant sur fond d’électronique solaire et impressionniste aux rythmiques minimalistes et aux schémas subtilement mouvants, le New-Yorkais Morgan Packard a un background jazz et quelque part ça s’entend.
Ingurgitant logiquement ambient, dubtronica et techno, c’est pourtant vers une électro protéiforme que s’est tourné le pensionnaire du label d’Ezekiel Honig depuis ses débuts en studio, suivis de près par un premier album solo apnéique, Airships Fill The Sky, qui bénéficiait déjà en 2007 de ses propres outils de programmation puisque le bonhomme semble décidément avoir tous les talents.
En résulte ce son à part, à la fois irréel et chaleureux tel qu’imaginé par son auteur sans concessions inhérentes aux limitations technologiques, qui donne toute leur ampleur aux modèles mathématiques pourtant si touchants dans leurs irrégularités de cette ambient techno aujourd’hui ouverte aux respirations mais aussi plus resserrée dans son format : des morceaux souvent inférieurs aux trois minutes dont le pouvoir d’envoûtement quasi-hypnotique est devenu plus vertical qu’horizontal, agissant dans l’espace qui sépare les arrangements acoustiques aériens de ces infrabasses subaquatiques, les rayons de soleil synthétiques comme amortis à mesure de leur pénétration dans cet océan de drones feutrés aussi vivants que les vibrations amplifiées des ailes d’un insecte."
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75. Pimmon - The Oansome Orbit (2011)
Grand oeuvre d’un Australien qui n’a malheureusement pas beaucoup fait parler de lui depuis, après une décennie à collaborer avec des musiciens tels qu’Oren Ambarchi, Fennesz, Peter Rehberg, Matmos, James Plotkin ou Giardini Di Miro, The Oansome Orbit est l’un de ces albums-mondes qui élèvent l’ambient électro-acoustique au rang d’art cosmogonique, chef-d’oeuvre de drone tantôt abrasif, foisonnant ou éthéré qui brille par l’ampleur de ses compositions empilant et entrecroisant leurs boucles microsoniques à la croisée de l’abstraction atonale et de la contemplation harmonique, de l’ambient expérimentale, du harsh noise et de la kosmische musik pour en faire de véritables symphonies d’éternité à l’image du sommet Holding Never To Be Passed.
74. 10th Letter - Prism Scale (2017)
"Après l’hommage cinématographique et rétro-futuriste à John Carpenter d’Escape From ATL, le psychédélisme méditatif et texturé de The Revenge et l’électronique dystopique et schizophrénique du génial Reloaded, on retrouve 10th Letter du côté d’un jazz cosmique à la Sun Ra toujours soutenu par ces beats syncopés dont le musicien a le secret mais étoffé de cuivres, de basse blaxploitation, de vraie batterie, d’effluves hallucinogènes et autres arpeggiators hypnotiques (voire de violoncelle et de vibraphone sur un Fata Morgana qui doit autant à Miles Davis qu’à David Axelrod) pour nous conter une allégorie pas si fumeuse de transmission du savoir astral entre les Ancêtres d’une civilisation sur le déclin et leurs héritiers du futur, métaphore évidente de la rénovation du jazz par les producteurs abstract d’aujourd’hui dont l’Américain fait partie."
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73. Attilio Novellino - A Conscious Effort (2018)
"Plus qu’avec le néanmoins très chouette Black Box Animals de son duo Luton à l’univers plus acoustique et cinématographique typique des mixtures ambient-folk nomades du label Lost Tribe Sound, c’est via ce nouvel album solo découvert sur le tard que je me suis véritablement pris de passion pour l’ambient épique et abstraite à la fois de l’Italien Attilio Novellino. Il faut dire qu’avec ses méditations intenses et contrastées à la croisée du drone, de la noise et du classique contemporain (le violoncelliste Alexander Vatagin, l’excellent Ekca Liena classé un peu plus haut dans ce bilan et Tim Barnes, percussionniste de The Essex Green apportant chacun leur petite pierre à l’édifice), A Conscious Effort n’est pas sans rappeler Ben Frost ou le Tim Hecker de la grande époque pour leur capacité à évoquer avec un impact presque physique aux basses fréquences sismiques - flirtant même avec le doom metal sur un Preceptual Experience Of The Body où bourdons lancinants côtoient larsens stridents et drums tribaux - les tourments et la confusion d’une psyché morcelée."
72. Vas x Ill Clinton - V for Vigoda (2017)
"Même un peu écrasé entre un morceau-titre insidieux aux tirades bestiales et un grandiose Blood For Issac final aux allures d’opéra du ghetto, où cuivres martiaux et flow compresseur servent une atmosphère d’apocalypse biblique et des rimes venimeuses dont la virtuosité tranchent avec la carrure d’ogre des bas-fonds de Philadelphie de celui qui les manie, V For Vigoda s’est imposé avec une bonne longueur d’avance comme notre album hip-hop de l’année, à coups de nerderies au groove assassin (And You Know It), de grandiloquence contrôlée (Flagrance) et d’onces de finesse dans un monde de brutes (Swordfish et sa flûte capiteuse, Gnothi Seauton et ses arrangements de western urbain). Il faut dire qu’entre le beatmaking au cordeau d’Ill Clinton, taulier du label Us Natives, et le débit carnassier au timbre massif de Vas, l’alchimie est parfaite et que des titres tels que le menaçant Dig Deep avec ses cuivres belliqueux, un Catpoo suintant la tension urbaine, l’asiatisant I Got This avec un Skrewtape au flow éraillé parfaitement complémentaire de celui de son hôte ou encore Gear in the Machine dont le lyrisme crépusculaire et décadent est tempéré par une intervention coolissime du co-patron John E Cab ne déméritent pas, et que même le plus léger Mr. Xxxcitement ou le bluesy More To Bury valent leur pesant de grâce pachydermique, une décontraction qui n’est pas de trop au regard de la férocité et de la glauquitude des missives hautement addictives que nous distribuent là les deux Pennsylvaniens."
71. Moongazing Hare - The Sunderland Valves (2013)
"Album de deuil relationnel pourtant pas dénué d’espoir, no man’s land fantasmatique d’où émergent néanmoins entre deux errances habitées le genre de rêveries pastorales ou de ballades d’un autre temps qui caractérisaient déjà la chamber-folk dépouillée du très beau Dunes/Shorebirds de l’année précédente, cette nouvelle sortie du Danois David Folkmann Drost n’est pas sans rappeler les pèlerinages mentaux d’un David Tibet aux plus grandes heures de son projet Current 93.
Harmonies vocales liturgiques, percussions ballotées par le vent des regrets, field recordings hantés, drones et arrangements lancinants viennent ainsi habiller ou carrément annihiler les mélodies bucoliques d’un disque parti en immersion dans les tourments de l’inconscient pour mieux y trouver de quoi alimenter sa foi en des jours meilleurs."
70. Other Lives - Rituals (2015)
"Après deux albums remarqués pour leur intensité baroque et finement arrangée à la croisée de l’économie de moyens d’un The National au top de son inspiration et des fleurons de la chamber folk moderne tels que Midlake ou Bowerbirds, le trio de barbus de Stillwater, Oklahoma s’est affranchi pour de bon de l’étiquette indie rock au point de se mettre une bonne poignée de fans à dos avec ce Rituals élégiaque porté par une production subtile aux confins de l’électronique et du post-rock. Qu’importe, le temps donnera raison à ce chef-d’œuvre de pop impressionniste aux épopées plus feutrées dont l’ensemble dépasse largement la somme des parties, rivalisant de lyrisme aérien et de grâce saisie dans le givre avec les plus belles réalisations d’Efterklang et de Sigur Rós. Mélodies mouvantes et vocalises acrobatiques se mêlent sans jamais verser dans le trop-plein aux rythmiques païennes et aux orchestrations et chœurs majestueux, cordes, piano, synthés et cuivres étayant la dynamique répétitive façon Philip Glass ou Steve Reich des beats et percussions pour générer un souffle cinématographique assez irrésistible, qui n’a jamais besoin d’éclater véritablement pour nous emporter dans ses élans d’émotion séraphique."
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69. Ektoise - Kiyomizu (2011)
"Emmené notamment par Greg Reason, patron du label australien 777 Operations et James Alexander Grundy que les plus fidèles de nos lecteurs ont déjà croisé dans nos pages sous le pseudo de Subsea ou à la basse pour les sémillants Re:Enactment, ce collectif nomade héritier de Coil ne fait rien comme tout le monde. Preuve en est le bluffant Kiyomizu, assurément l’un des plus beaux ovnis de l’année 2011 sur lequel on se s’était peut-être pas suffisamment étendu faute de savoir par quel bout chroniquer ses improbables et néanmoins captivantes fusions mutantes d’électro-rock martial, de post-metal tempétueux, de trip-hop crépusculaire, de doom rampant, de jazz déstructuré, d’IDM grouillante ou encore de drone malaisant, qui chamboule toute idée reçue sur les musiques à guitare aussi bien que sur les musiques électroniques."
68. Daníel Bjarnason - Collider (2018)
"Le compositeur et arrangeur islandais livre avec ce quatrième album pour le label Bedroom Community, son troisième en solo, une pièce maîtresse de musique classique contemporaine pour orchestre. A l’écoute de l’impressionnant Blow Bright en ouverture, on comprend l’ampleur de la tâche à laquelle s’est attelé ici le co-auteur de Sólaris. D’une ambition proportionnelle à sa luxuriance symphonique, le morceau, soufflant cordes perturbantes, vents virevoltants, percussions menaçantes et cuivres discrètement inquiétants sous l’impulsion du Iceland Symphony Orchestra, parvient à un équilibre assez unique entre tension cinématographique, atonalité anxiogène et romantisme troublant.
Si la suite n’atteint pas forcément toujours les mêmes sommets, elle n’en génère pas moins le même halo de grâce tourmentée, des complaintes chorales du requiem The Isle Is Full Of Noises : I. O, I have suffered dont les cuivres majestueux soulignent la dimension d’éternité, jusqu’au crescendo patient d’un morceau-titre aux 15 minutes tantôt introspectives, agitées ou carrément hantées et malmenées, en passant par l’étrange réconfort céleste du second mouvement de The Isle Is Full Of Noises : II. Be not afear’d, apaisé mais résigné face à la persistance d’une terreur existentielle qu’aucune orchestration ne semble pouvoir chasser pour de bon chez l’Islandais."
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67. Cliff Dweller - The Dream In Captivity (2014)
"Le nouvel album d’Ari Balouzian est un rêve dans un rêve dans un rêve, ou plutôt une fantasmagorie dans un cauchemar dans un miroir donnant sur l’anti-monde, avec aux manettes un illusionniste de l’hantologie qui n’a plus besoin d’artifices americana, trip-hop ou jazzy pour nous faire succomber aux attraits morbides et drogués de son purgatoire à idées. On retrouve par intermittence le piano de Max Whipple mais c’est bien le Californien qui marque plus que jamais de son goût pour l’errance narcotique ce successeur du fabuleux Emerald City. Samples et field recordings hautement manipulés, qu’il s’agisse d’orchestres surannés, de voix déformées ou d’instruments tirés de quelque vieille cassette, sont ainsi le terreau privilégié de ce nouvel opus maniant l’art du collage avec une fluidité toute déliquescente. Tout au plus si la minute trente de saillie punk névrotique et lo-fi en plein milieu de The Sound Was Always Beautiful Under The Electrical Wires malmènera quelque peu la progression d’un disque se terminant à la fin du même titre sur le son d’un rideau de fer que l’on abaisse sans ménagement, comme si cette psyché trop longtemps libérée se devait de retrouver les fers avant que sa schizophrénie ne contamine l’univers alentour."
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66. Crowhurst - No Life To Live (2012)
"Sous la houlette du californien Jay Gambit, une douzaine d’instrumentistes triturant leurs machines, samples, guitare, basse ou piano de poche, des semaines de production et de mixage, et quelque démon tirant les ficelles pour attirer tout ces innocents dans l’abîme et nous avec, tant No Life To Live est la quintessence même de l’album qui échappe à ses créateurs, phagocyté au gré de ses ténébreux entrelacs de bourdons par quelque puissance maléfique qui n’aurait jamais dû pouvoir trouver de ce côté-ci du miroir terreau si favorable à son incarnation.
Ainsi, sur I Saw The Sky, les cloches des Cieux et du Pandémonium sonnent le glas dans un même élan sépulcral, mais par delà la lumière blanche point de salut bien que le purgatoire argenté de Dead Air parvienne à contenir quelque temps la voracité morbide des drones rampants qui s’extirpent peu à peu de leur prison de cristal. On le sait désormais, l’entité de pure antimatière tirée de son repos forcé par nos alchimistes du cauchemar statique n’attendra guère longtemps avant de révéler dans toute sa gloire déliquescente le dessein qui l’anime : celui d’annihiler toute vie dans un flot de haine pilée et d’aspirer les âmes des charognes abandonnées aux averses de clous rouillés par ce fléau sursaturé. Même les enfants endormis n’en réchapperont pas, et lorsque la Bête peut enfin laisser vaguer sa plainte mortifère sur How To Burn A Book, c’est pour ouvrir avec une lenteur consommée les portes des Enfers, qui n’auront plus qu’à happer dans un souffle glacé les restes de nos chairs putréfiées pour les soumettre aux pires tourments jusqu’à la fin des temps."
65. Black Swan - Tone Poetry (2014)
"Décidément le New-Yorkais Black Swan nous habitue à ces sorties de début d’année qui ne nous lâchent plus jusqu’à l’heure des bilans, et ce ne sont pas les reflux élégiaques de ce Tone Poetry aux harmonies suspendues entre purgatoire entêtant et paradis hors de portée qui nous laisseront le loisir d’oublier son talent pour l’ambient la plus majestueuse et troublante qui soit. Un nouveau chef-d’œuvre en communion avec le divin, dont les marées de bruit blanc éthéré et de nappes synthétiques aux incursions orchestrales d’un autre temps (le chant lyrique et les cordes maussades et surannées de Psalm, le piano poussiéreux de Beloved) irradient d’une ferveur hantée qui brûle les ailes, l’âme et le reste."
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64. Adrian Aniol - Arrhythmia OST (2012)
"Adrian Anioł, soundscaper polonais au dark ambient cinématique et immersif, a composé Arrhythmia OST, en tant que bande-son pour le moyen-métrage éponyme d’un certain James Hartley (décédé prématurément après la sortie du film). Retravaillés et remixés par leur auteur en vue de cette nouvelle édition bénéficiant par ailleurs d’un nouveau master par Eric Quach aka thisquietarmy (qui contribue pleinement à accentuer contrastes et profondeur de champ par rapport à la première version en écoute ici), ces 15 titres mêlant drones fantomatiques, arrangements dissonants de cordes ou de cuivres et autres effets dramatiques anxiogènes plus ou moins subtils ou saisissants génèrent finalement leurs propres images mentales, à la manière des films d’Hideo Nakata où le plus gros est suggéré, la moindre image choc (ou percussion sourde dans le cas présent) suffisant dès lors à nous faire bondir de notre siège.
Un petit chef-d’oeuvre crépusculaire et claustrophobe en somme, à rapprocher dans l’esprit du drone-doom mystique de Demian Johnston autant que darkjazz expressionniste (pour faire court et forcément réducteur) de Kreng."
63. Olivier Alary - Fiction / Non-Fiction (2017)
"Admirateur des atmosphères impressionnistes et pastorales de son projet Ensemble et fan de bandes originales, cette compilation d’extraits de 5 ans de musiques de films et de documentaires signées Olivier Alary ne pouvait que fortement me parler, surtout quand ce Fiction / Non Fiction du Montréalais d’adoption revêt des allures d’album à part entière. Dans la lignée de sa BO remarquée du docu Up the Yangtze d’il y a 10 ans dont on parlait ici mais aussi des incursions ambient-jazz et néo-classiques du génial Excerpts sur lequel on notait déjà l’influence orchestrale sensible de compositeurs japonais de cinéma tels que Joe Hisaishi ou Shigeru Umebayashi (le poignant Yu Shui ou encore le délicat et troublant Arivee réminiscent des grandes heures de Thomas Newman en sont de nouvelles preuves ici), Fiction / Non Fiction flirte avec les variations minimalistes en flux tendu de Philip Glass ou Steve Reich (Pulses for Percussion et Pulses for Winds), avec les cuivres engourdis par le froid scandinave chers au label Rune Grammofon (sur un The Dreaming introspectif et tout en retenue comme sur le très lyrique et luxuriant Flooding, sommet émotionnel du disque) voire avec un drone à la dramaturgie plus abstraite et languissante qui n’est pas sans évoquer les BOs de l’Islandais Jóhann Jóhannsson (du mystique Autodrome aux élégies chorales de l’Epilogue en passant par les nappes de violoncelle de Foret) mais ne ressemble bien souvent qu’à lui-même, comme sur le fabuleux Defeat où un bandonéon lancinant vient magnifier des méditations pianistiques à la Satie ou encore Nollywood où électronique évanescente et musique de chambre songeuse tourbillonnent de concert. Mélancolie et onirisme suintent aussi bien du piano solo désarticulé de Qin que de l’ambient dissonante de Juanicas dans son océan de quasi-silence ou des cordes inquiétantes de Dancing Bottle, et c’est finalement cette sensation de suspension aux confins des rêves et de l’éveil (Khaltoum) qui fait toute la cohérence et la beauté de ce petit bijou."
62. Hidden Orchestra - Night Walks (2010)
Avant de livrer sous son propre nom un télescopage assez uique de musique concrète et d’abstractions électroniques sur le très expérimental et proprement fabuleux Marconi & The Lizard, en lice pour mon titre d’EP favori de la décennie, le Britannique Joe Acheson servait de chef-d’orchestre, de producteur et de multi-instrumentiste à ce projet aux confins du trip-hop de la grande époque et d’un électro-jazz cinématographique et capiteux, qui deux ans avant le presque aussi merveilleux Archipelago culminait déjà sur Night Walks, premier opus au souffle épique et au groove irrésistible, classique instantané suintant la virtuosité et l’atmosphère par tous les pores. Un univers comparable à celui de ses compatriotes Heliocentrics si ce n’est qu’aux influences de musiques africaines et notamment d’éthio-jazz de ces derniers se subtituent celles des grands compositeurs de soundtracks des 60s/70s, de John Barry à Lalo Schifrin, et des sonorités asiatiques, extirpées de leurs clichés zen par des beats secs et percutants.
61. Tenshun & Bonzo - Miasma (2018)
"Miasma commence avec une étonnante retenue du côté d’un Tenshun que l’on connaissait plus abrasif et belliqueux. Tel un DJ Shadow de purgatoire, il empile beats équilibristes, samples de films insidieux et distos perturbantes dans une ambiance plus inquiétante qu’apocalyptique, avec juste ce qu’il faut de décadrage et de bizarrerie pour éviter que le confort du groove ne s’installe de trop.
C’est ainsi chez Bonzo qu’il faudra aller chercher le soupçon de bruitisme lo-fi mis de côté par son compère, drums implosifs et massifs aux textures craquelantes et atmosphères cauchemardées de séries B horrifiques aux fréquences assourdies constituant le plus gros de ce Sorehead tout aussi inconfortable et captivant."
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