Flying Lotus - Qian Shui Wan Cultural Center (Shanghai, Chine)

le 26/11/2015

Flying Lotus - Qian Shui Wan Cultural Center (Shanghai, Chine)

Après Low et Ólafur Arnalds, encore un musicien qu’il m’aura fallu attendre de croiser à Shanghai faute de tournées françaises conséquentes... mais cette fois en particulier il s’agit véritablement d’un artiste de chevet, qui m’aura réconcilié à lui tout seul avec un label Warp en perte de vitesse à la sortie du fabuleux Los Angeles en 2008 avant de m’embarquer vers des contrées si ce n’est inédites - n’oublions pas qu’il y avait eu Daedelus, Prefuse 73 ou même Jel pour défricher au début des 00s cette mixture d’électro, de jazz et de beats hip-hop fracassés - du moins captivantes aux premiers faits d’armes de sa propre écurie Brainfeeder, puis de se "ranger" avec classe au gré d’albums auréolés d’un succès indie grandissant mais toujours aussi singuliers voire déglingués.

Autant dire que l’attente est de taille et il en va de même pour celle que me fera subir le Qian Shui Wan Cultural Center de mon arrivée à l’entrée en scène de FlyLo - deux heures à tuer via une triplette de DJs allant de l’efficace sans âme (le premier, entre trip-hop, remixage bulldozer de bangers et dusbtep aux infrabasses trop lourdes et vibratiles pour mon cœur vieillissant) au plutôt sympathique (le breakbeat coloré du dernier) en passant par l’indigeste (le second, bourrin de base écouté de loin assis au bar partiellement séparé de la salle avec vue sur les platines lorsque personne n’attend sa bière, ce qui bien sûr n’arrive jamais). L’occasion de me souvenir avec une certaine émotion de ce temps où Flying Lotus lui-même, aujourd’hui acclamé par les publications les plus branchées de la sphère indé, balançait ses morceaux sur myspace et tapait la discute avec ses groupies de la première heure par messagerie interposée, comme quoi de l’underground à la reconnaissance internationale il suffit parfois d’un pas de géant - pour lui ce fut Cosmogramma avec Thom Yorke au chant sur un morceau, paradoxalement celui de ses cinq derniers disques dont je me passerais le plus facilement.

Finalement, le warm-up se termine lorsque le Californien entame des va-et-vient dans la pénombre de la scène sous les acclamations d’un public fourni et majoritairement expat’, installant son laptop sur un podium central jusqu’ici demeuré vacant, les DJs précédents s’étant contentés d’occuper une console humblement située sur la droite du terrain de jeu que Steven Ellison s’apprête désormais à investir, son et image au diapason. Car disons-le tout net, le spectacle total auquel on est sur le point d’assister vaudra autant pour sa grand-messe psychédélique aux visuels 3D bluffants (d’autant plus pour moi au premier rang) que pour son chaos musical organisé, lequel surprend d’emblée pour un premier quart d’heure dont on ne reconnaîtra rien ou presque, adaptant les instrumentaux fracassants du récent You’re Dead à la sauce trap noisy mâtinée de drum’n’bass sauvage pour nous plonger dans une atmosphère d’apocalypse urbaine que viennent renforcer des projections géométriques aux allures de machineries pulsatoires et mutantes.

Positionné entre un écran de fond et une toile translucide au devant de scène qui permettent deux niveaux de projections superposés pour un effet assez ahurissant, le musicien ravi de se produire en Chine pour la toute première fois se lâche et parfois agace légèrement avec ses poses christiques, bras en croix et yeux levés aux cieux, main sur le cœur et sourire débonnaire entre deux interventions de rap kid au micro, mais qu’importe l’attitude puisque en cinq sec on est dedans et impossible de lâcher des yeux comme des tympans cette débauche rendant obsolète toute prise de substance hallucinogène - on n’en respirera pas moins des effluves de marijane tout du long, certains n’ont décidément rien compris.

Car la drogue est bel et bien sur scène ce soir, d’autant plus quand FlyLo s’attaque au monument Los Angeles avec Camel et ses idiophones syncopés dont le groove lo-fi et les synthés rétrofuturistes font du bien après un début de set tonitruant aux basses plus rentre-dedans. Le concert n’en finit pas pour autant de muer, d’un track IDM anguleux et déstructuré que n’auraient pas renié ses anciens compères de label Autechre - les visuels rappelant d’ailleurs les abstractions mouvantes et organiques des covers de Confield, Draft 7.30 ou Untilted - au néo-r’n’b aquatique des titres vocaux dUntil The Quiet Comes projection de clip à l’appui (souvenez-vous, la poésie banlieusarde de Getting There et son danseur contorsionné payant tribut à J Dilla sur les vocalises éthérées de Niki Randa) en passant par les collisions stellaires chaotiques et déliquescentes de Cosmogramma ou encore le gore visuel du lascif Ready Err Not extrait du petit dernier You’re Dead dont l’imagerie glauque et sanguinolente héritée des cartoons barrés de la chaîne Adult Swim - Ellison en fut le compositeur attitré pendant plusieurs années - n’a pas manqué de prendre de court quelques non initiés.

On croit avoir tout passé en revue et c’est alors que retentissent à la satisfaction des admirateurs du bonhomme les premières mesures de The Killing Joke, ce sample de voix brésilienne piqué à Os Mutantes ouvrant le titre emblématique de Captain Murphy, side project hip-hop demeuré mystérieux quelques mois dont l’Américain jouera une triplette de morceaux enfumés, descendant même rapper devant la fosse sur Mighty Morphin Foreskin, un exercice où il ne brille pas autant qu’un Thavius Beck sans pour autant démériter, en témoigneront également quelques mimiques en doublure silencieuse de Kendrick Lamar sur l’épique Never Catch Me. La dernière partie du show nous sert ainsi des extraits des clips psyché du capitaine junky, crânes à lunettes disco et soucoupes volantes sur fond de faisceaux cosmiques multicolores, et barbus morts-vivants dont le visage dégouline d’un squelette sapé façon Barry White 70s. Pour ce dernier ce sera sur The Ritual en guise d’adieu au public shanghaien avec bain de mains baladeuses au premier rang, unique morceau d’un second rappel vite expédié.

On aurait ainsi pu reprocher au Californien, malgré l’heure tardive en semaine, un show un peu court d’une heure vingt seulement mais physiquement assommés par le maelstrom multimédia d’un premier rappel épileptique - introduit par le génial Putty Boy Strut à la demande de l’auditoire - personne a priori ne fera la fine bouche : il y a des expériences qui se passent de critique et ce show parfaitement exécuté entre spontanéité anarchique et spectacle millimétré en faisait assurément partie.


( RabbitInYourHeadlights )

 


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