L’horizon 2018 de Rabbit - cent albums : #70 à #61

On ne va pas se mentir, l’exercice est toujours difficile, surtout quand on écoute 800 albums par an déjà triés sur le volet. Mais chaque année, ça se complique encore un peu... de fil en aiguille, d’une connexion à l’autre, de labels sortis de l’ombre en artistes émergents, les découvertes nous submergent et de nouveaux horizons s’ouvrent à nous, sans pour autant éclipser les précédents. Rien d’exhaustif donc dans la liste qui suit, pas même au regard de ma propre subjectivité, qui souffre déjà de tant de grands disques laissés de côté...




- Part I : #100 à #91
- Part II : #90 à #81
- Part III : #80 à #71



70. Dr. Octagon - Moosebumps : An Exploration Into Modern Day Horripilation (Bulk Recordings)

Après l’échec du retour de Deltron 3030 (dont le personnage-titre incarné par Del The Funky Homosapien fait ici une apparition dispensable), on craignait le pire de cette résurrection du gynéco de l’espace le plus salace, anticonformiste et contestataire du rap intergalactique, en dépit d’une fine équipe au complet, de Dan ’The Automator’ Nakamura aux instrus à DJ QBert aux platines. Surprise de taille, malgré une fin d’album qui déroule gentiment entre romantisme nerdy (Flying Waterbed) et guitares heavy (Karma Sutra), Moosebumps est tout l’inverse du piètre The Return of Dr. Octagon d’il y a 12 ans, projet duquel Nakamura s’était alors judicieusement désolidarisé. C’est bien simple, si Kool Keith est égal à lui-même avec ce détachement ludique et halluciné à la fois que seul Edan semble capable d’égaler, QBert tutoie les cimes sur un Bear Witness IV aux scratches d’une autre dimension et Automator n’avait simplement rien produit d’aussi bon depuis le joliment pop White People d’Handsome Boy Modeling School en 2004, mentions spéciales, outre l’instrumental sus-mentionné, à la schizophrénie gothique d’Octagon Octagon, au groove épique de Polka Dots et surtout à l’énorme Operation Zero, cousin de Blue Flowers avec ses cordes et basse insidieuses.




69. Cruel Diagonals - Disambiguation (Drawing Room)

On vous avait parlé de cet EP conceptuel pour Longform Editions, mais jamais du premier album, pourtant tout aussi bon, de Megan Mitchell aka Cruel Diagonals. Principalement armée de drones, de percussions mystiques, de pulsations électroniques et de sa voix dont elle empile les harmonies réverbérées comme autant de lamentations fantomatiques, la Californienne nous invite à quelque rite ésotérique dans des friches post-industrielles plus ou moins souterraines (Innate Abstraction, Liminal Placement) ou éthérées (Render Arcane, ou le bien-nommé Soporific Return avec ses textures vaporeuses), où subsistent quelques réminiscences technologiques (les beats machiniques d’Oblique Ritual, les synthés saturés de To Ward) tandis que la nature reprend peu à peu l’ascendant (Malaise Vague) sur notre civilisation en combustion (Intent to Vacate).



68. Merzbow + Hexa - Achromatic (Dais Records)

"A la première écoute de cet Achromatic, on a surtout l’impression d’entendre Merzbow (cf. d’entrée la tempête d’échardes, de larsens et de clous rouillés de Merzhex Part 1), naturellement plus bruyant que ses compères Jamie Stewart (Xiu Xiu) et Lawrence English. Affirmer que le Japonais a fait main-basse sur cette collaboration serait pourtant mal connaître les velléités noisy des deux Hexa. C’est ainsi l’influence du dark ambient pour no man’s land fuligineux qui domine bel et bien sur un Merzhex Part 2 balayé par des bourrasques délétères de saturations-papier-de-verre et autres martèlements indus décrépis. Au second plan, le duo est toujours aux aguets, tirant le Japonais vers une certaine structuration (cf. la Part 4 et ses menaçantes pulsations abstraites) qui lui manque parfois et permet de privilégier ici la fantasmagorie à l’exercice de style nihiliste et désincarné, culminant sur la longue tourmente futuro-psyché du final Hexamer de presque 18 minutes."


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67. Undermathic - Moments And Places (Autoproduction)

"Chez le Polonais Undermathic, on n’est jamais très loin des étoiles et c’est ainsi à une improbable mixture de pianotages impressionnistes et d’électronica cosmique typique de son ancien label feu Tympanik Audio (cf. Tangent Point et son foisonnement de pulsations cardiaques, de spleen et de machines réminiscent de leurs meilleurs sorties estampillées Tapage ou r.roo) que nous convie l’auteur du génial Indistinct Face, sans une once de grandiloquence ou de pathos mais avec une approche unique où l’intimité du bruit des touches rejoint l’immensité des cieux et l’éternité des nappes ambient aux radiations délicates (Places, It’s Just A Shape), les accords épousant tantôt leurs pulsations spatiales (Moments) ou refrénant avec bienveillance leurs élans futuristes (le sommet Shadow Looks Good, dont la discrète assise de percussions démultiplie le pouvoir d’enchantement), nous rappelant à notre nature éphémère face à l’infini des astres (Nothing To Hide). Un bijou."


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66. Rodin - Asha (Root Note)

"Du superbe et trop méconnu A Hall of Mirrors, troisième album et chef-d’œuvre absolu de son incarnation abstract hip-hop 2econd Class Citizen, restent les atmosphères mélancoliques (Air O, entre légèreté cristalline et beatmaking plombé), l’aspect cinématographique (l’urgent Mooskura), la proéminence acoustique (guitare notamment sur le tendu Muq Ti) et autres tiroirs mélodiques impromptus (Kamptown) que le Britannique Aaron Thomason, désormais caché sous le pseudo Rodin, frotte au groove assassin des beats et à la dimension dansante des lignes de basse sur cet hommage psychédélique et hypnotique au Bollywood des 70s, plein de samples exotiques et de déhanchements romantiques et rétro qui cachent souvent une musicalité autrement plus complexe (cf. le final Kamina au crescendo presque post-rock)."


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65. Arovane & Porya Hatami - Organism_evolution (Karlrecords)

Il nous le disait dans cette interview, s’il continue souvent d’œuvrer dans un entre-deux flou à mi-chemin de l’électronica et de musiques expérimentales plus proches de l’électro-acoustique, du modern classical ou du drone, l’Allemand Arovane s’intéresse de plus en plus à la synthèse granulaire et autres procédés basés sur les textures qui le voient peu à peu s’éloigner des compositions rythmiques de ses débuts au profit d’atmosphères plus somatiques et immersives. En témoigne à nouveau cette deuxième collaboration avec l’Iranien féru d’ambient Porya Hatami. Inscrit dans les préoccupations exploratrices du label Karlrecords auquel on doit cette série de vignettes mutantes et hypnotiques, Organism_evolution alterne ainsi fréquences sourdes et malaisantes, field recordings manipulés et séquences plus évanescentes, flirtant avec une abstraction pulsatile et futuriste tout en évoquant comme son nom l’indique les transformations intérieures d’une organisme vivant, une plongée claire-obscure qui multiplie les échelles, de la mécanique des fluides corporels au ballet des organites cellulaires. Fascinant.



64. Jason Van Gulick - Concrete (Silken Tofu)

Architecte de formation et batteur atypique, Jason van Gulick a imaginé sur ce nouvel album une façon de faire interagir son instrument avec l’espace environnant, délaissant l’électronique au profit de la reverb naturelle de la Halle B de la Condition Publique à Roubaix. Cymbales et batterie en nappes agglomérées forment ainsi des drones particulièrement organiques sur Concrete, servant le dark ambient du Français - qui nous avait parlé de son inspiration et de son processus de création via cet entretien au printemps dernier - dans une perpétuelle tension tantôt crissante et caverneuse sur les longs Concrete 1 et 5, plus minimaliste et tribale sur le martial Concrete 2 ou carrément noisy sur Concrete 3, jouant de différentes textures, du metal aux peaux des fûts en passant par le bois et culminant sur l’impressionnant Concrete 4 aux frappes sporadiques et puissantes sur fond de crescendo/descrescendo tempétueux, dans une atmosphère proche du drone-doom.



63. Mary Lattimore - Hundreds of Days (Ghostly International)

Plus qu’un Ghost Forest au charme certain mais un peu trop folklo pour moi par moments avec Meg Baird à la guitare et au chant, c’est bien cet album solo de la harpiste américaine qui m’a fait le plus d’effet cette année. Enregistré dans une grange des hauteurs de San Francisco avec sa harpe Lyon and Healy à 47 cordes pour principal compagnon qu’étoffent notamment claviers, guitare acoustique, piano et quelques harmonies vocales évanescentes au second plan (sur It Feels Like Floating notamment), Hundreds of Days est une ode poétique d’une douceur infinie à la nature, à la solitude dans son acceptation la plus bienveillante, aux endroits que l’on quitte et à ceux qui nous adoptent, et aux souvenirs d’un été dont on ne saura pas grand chose si ce n’est qu’il a vraisemblablement laissé à la Californienne d’adoption (son départ de Philadelphie ayant également inspiré les humeurs de ce disque) une impression persistante de rêve éveillé que les synthés sur le final du morceau-sus-nommé, les reverbs du piano de Never Saw Him Again ou encore les vapeurs ambient et autres effets psychédéliques dans le background de Baltic Birch traduisent en musique avec la grâce qu’on lui connaît.



62. aMute - Some Rest (Humpty Dumpty Records)

"Some Rest s’ouvre sur l’un des titres les plus ambitieux du Bruxellois : 17 minutes d’émotions contrariées et de grands espaces mentaux. En deux mots, c’est puissamment beau.
Exit toutefois l’incandescence du prédécesseur Bending Time In Waves. Quoique tout aussi imposant, Some Rest déroule sa ferveur avec bien plus d’ambivalence, des inquiétantes abstractions granuleuses d’I’ve Seen It All dont les six minutes foisonnantes et violoneuses raviront à coups sûr les admirateurs de feu Jasper TX, aux orchestrations élégiaques du final Maria entre chaleur acoustique et production fantomatique, lorsqu’il n’opte pas pour une retenue non moins majestueuse mais nettement plus mélancolique, qu’il s’agisse du final bluesy guitare électrique/violon de The Obsedian ou d’un Dead Cold au chant désincarné.
Autant dire que Jérôme Deuson ne s’est pas reposé sur ses lauriers, ce nouvel opus témoignant, même depuis son sommeil agité, d’un goût de l’escapade aux limites aussi vastes que celles de l’imagination."


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61. Shanna Sordahl - Radiate Don’t Fear The Quietus (Full Spectrum)

"Violoncelliste ambient atypique, ça n’est pas du côté du néo-classique mais bien d’un drone mystique et ténébreux qu’officie la Californienne Shanna Sordahl. Sur cet album, dédié à la pérennité de la mémoire, cordes capiteuses se fondent dans un background ésotérique et intrigant de pulsations organiques, d’oscillations synthétiques et de basses bourdonnantes (Tortoise Lives Long & with Purpose). Parfois, quelques lignes vocales s’extirpent de l’abîme des souvenirs enfouis, si ce n’est qu’elles viennent plutôt ici en renforcer le sentiment d’angoisse sourde et radiante (Everyday). Ailleurs, le violoncelle prend un court instant les devants dans un dénuement extrêmement minimaliste et fait dissoner le folklore très personnel de sa propre mélancolie (Everything Between, The Strength of Blue). Mais le plus surprenant sur ce Radiate Don’t Fear The Quietus, c’est cette tendance intermittente à la déconstruction, comme sur le bien-nommé Shapeshifters. Pas facile d’accès mais une fois entré pour de bon dans ce sommet de l’œuvre il prend finalement tout son sens, évoquant la lancinante érosion des souvenirs endeuillés."


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To be continued...