Rabbit’s 66 favourite records of 2016 - part 3/3

Il était temps que ça se termine, d’autant que le cru 2017 est déjà bien lancé et que les interviews Twin Peaks se succèdent sans relâche. Commenter 66 albums on ne m’y reprendra sans doute plus comme ça, d’un coup, en fin d’année (ou en début, retard aidant) alors profitez-en, écoutez, découvrez, faites tourner si vous appréciez, ça motive à continuer les recommandations passionnées.

La crème de la crème, le haut du panier ou bien tout simplement les disques qui m’ont le plus touché ou impressionné cette année, l’émotion allant ici de paire avec une certaine ambition il faut bien l’avouer. Je vais pas vous refaire le coup des intros des volets précédents (ici et , plus les EPs et les chansons) : de l’amour pour des disques indépendamment de toute autre considération... check ; beaucoup de laissés-pour-compte de la coalition mondiale des bilans à consensus mou, ce qui va sans doute agacer les plus conservateurs de nos lecteurs... check ; des découvertes pour les autres... check (même si vous nous lisez tout au long de l’année, parce qu’on a eu des petits coups de mou, enfin surtout moi) ; des singularités pour toutes les humeurs et pour tous les goûts... check check check. Tout est dit, place à la musique et à demain pour la suite de l’actu qui n’attendra pas l’heure des prochains bilans pour investir vos tympans via IRM, on s’y engage !


22. Nuno Ribeiro, Philippe Neau & Benjamin Silva-Pereira - Mitosis [Catalogue of Wonders]

J’ai beau suivre et aimer Nobodisoundz depuis quelques années maintenant, jamais une œuvre du plasticien sonore (et plasticien tout court) ne m’avait fait un tel effet hormis peut-être cet EP avec Philippe Lamy. Débarrassé de son alias comme il nous l’expliquait dans sa toute récente interview Twin Peaks et associé à ses homologues portugais Benjamin Silva-Pereira et Nuno Ribeiro pareillement fascinés par le pouvoir d’évocation d’un espace sonore malaisant sur l’imaginaire et la psyché, le Français Philippe Neau nous entraîne dans les méandres ésotériques de cette suite de compositions en communication avec une autre dimension (cf. les interférences radio de Mitosis 3 dont l’anxiété s’efface finalement devant la quiétude mystique des nappes ambient), entre rites étranges (Mitosis 5, mêlant percussions monastiques et beats industriels), cauchemars opiacés aux guitares triturées (Mitosis 2), dark ambient lovecraftien aux grouillements inquiétants (Mitosis 8), et même le genre de jazz interlope qu’Angelo Badalamenti déploie volontiers dans les scènes nocturnes entre rêve et réalité des films de David Lynch (Mitosis 12). Captivant.




21. Sumac - What One Becomes [Thrill Jockey]

La première bonne nouvelle de l’année pour Aaron Turner, ç’avait été l’annonce, en mai dernier, de la réactivation d’Hydra Head qui publiera officiellement le prochain album d’Oxbow. La seconde bonne nouvelle, c’est qu’en dépit d’une productivité discographique en net ralentissement pour l’ex ISIS et frontman d’Old Man Glood désormais basé au Nouveau Mexique - où il co-manage l’excellent label d’avant-garde "extrême" SIGE Records avec sa compagne à la ville comme au sein de Mamiffer Faith Coloccia -, son plus récent projet, Sumac, reste quant à lui bien actif avec deux longs-formats en deux ans et n’a pas grand chose à envier aux plus belles heures de sa disco. Aride et néanmoins athlétique, tendu, presque tribal, le sludge du trio que complètent le Canadien Nick Yacyshyn (Baptists) aux fûts et le bassiste de Russian Circles Brian Cook charrie autant d’angoisse sourde que de frustration et de rage contenue (tout y passe sur les 17 minutes épiques de Blackout), égrenant déchaînements cathartiques (l’entame d’Image of Control) comme respirations insidieuses (la seconde moitié de Rigid Man) dans une dynamique en montagnes russes pour devenir au metal ce que Slint fut au post-rock, un concentré de minimalisme habité aux circonvolutions mélodiques et atmosphériques plus complexes qu’il n’y paraît.




20. Chambers - Sigma Flare II [Debacle Records]

"Toujours à la croisée des abstractions électroniques métamorphes et tendues de Michael Red et des soundscapes plus viscéraux de Gabriel Saloman, cette suite de l’anxiogène et pullulant Sigma Flare I de l’an passé laisse ses instrus oniriques s’étoffer naturellement depuis les reverbs de guitare initiales jusqu’aux denses textures d’une dubtronica sous tension downtempo, qui se déleste ensuite peu à peu de ses beats syncopés et de ses couches d’effets hallucinés pour revenir aux sources de la soupe primordiale de drones océaniques dont elle s’était tout d’abord extirpée."

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19. Egadz - Bad Keys Drip [Black Box Tapes]

"Dans la droite lignée de la belle époque d’Anticon, les drums analogiques du Californien sont d’une redoutable efficacité, sans esbroufe ni fioriture, les motifs de synthés plus mélodiques qu’ils ne le paraissent de prime abord, et dans la continuité du bien-nommé et déjà très bon Heavier Percussion, la densité instrumentale décuplée ici par l’utilisation du delay n’est jamais synonyme de fouillis ou d’approximation, distillant même un certain lyrisme dans l’abstraction stellaire (les envolées stargazeuses de Night Tripper ou de Blood Grey) quand elle ne donne pas dans le groove psychédélique pur jus (le syncopé Smoke Screens)."

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18. JK Flesh - Rise Above [Electric Deluxe]

"Du dubstep massif et larsenisant à guitares saturées d’un premier opus à la croisée du metal indus et de l’électro, Justin K. Broadrick ne retient ici ni les borborygmes enragés, ni les riffs heavy ni même la sauvagerie power electronics, Rise Above optant pour une tension plus hypnotique aux beats tout aussi implosifs et fangeux mais bien plus réguliers. Qu’on ne s’y trompe pas pour autant, on est loin du calibrage techno et les distorsions de synthés analogiques qui crissent sur cette base rythmique déjà crépitante et pesante à souhait véhiculent une sensation de déliquescence perturbante, envahissant l’espace jusqu’à ce que l’oxygène s’y fasse aussi rare que l’espoir d’un futur déjà en état de décomposition avancée."

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17. Mei - Partura [UOVOOO]

Découverte par Oval dont elle signe avec Partura la première sortie du tout jeune label UOVOOO (et qui se fend pour l’occasion d’un remix post-clubbing du déjà bien dansant Insectes dans la veine de son récent Popp), Caroline Masson a un parcours quelque peu atypique, qui se ressent dans sa musique. Avant de décider de se consacrer pleinement à celle-ci, la Dijonnaise hésitait en effet entre une vocation d’entomologiste et une carrière de danseuse au Crazy Horse. Et entre attention aux détails de compositions envisagées comme des organismes vivants et physicalité presque animale justement, ce premier long format de glitch-pop somatique ne choisit pas, évoquant par bien des aspects les grandes heures de Björk circa Homogenic et Vespertine. Des circonvolutions vocales primales et passionnées, réminiscentes de l’Islandaise tant pour cet esprit de communion avec la nature que pour une tessiture étonnamment jumelle et ces digressions spontanées proches de l’onomatopée enluminant les fins de phrases, s’y frottent en effet à des sonorités volontiers séraphiques de harpe digitale fragmentée (faisant penser sur Feles notamment aux cordes synthétiques qu’Oval affectionnait sur son double album O) et aux arythmies tachycardiques de beats particulièrement organiques. "Je traite la musique comme un être à part entière", explique Mei. "Je l’élève comme un petit animal à mes côtés, m’assurant de laisser intacts ses aspects les plus primitifs et sauvages. (...) Je n’ai pas peur de la vie. Quand je fais l’amour, je vois des paysages". Tantôt mélodieux et romantique (The Cradle Of The Cradle, Why Do We Do), martial et angoissé (Archéen, The Three Ends) ou plus abstrait et déstructuré (Beilteine / Sidh, High), le résultat, en constante métamorphose à l’image de l’immense Nelumbo, respire en effet gourmandise, instinct et capacité d’émerveillement, les prises d’air exaltées de la Française, qui les manipule par moments comme on le ferait d’un field recording, ponctuant ces rêveries fébriles comme autant de brèves remontées à la surface interrompraient la contemplation fascinée, sans masque ni tuba, d’un récif corallien aux ondulations harmonieusement chaotiques.




*** Bonus : Gimu - Gone Again, Haunted Again [out sometime/somewhere in 2017]

Celui-là vous ne pourrez malheureusement pas l’écouter pour le moment, mais même s’il se cherche encore un label et verra très probablement la lumière en 2017 - et bien qu’il y ait eu quelques alternatives du côté de Gimu avec 3 beaux albums et un EP officiellement publiés via Bandcamp l’an passé -, il m’aurait été impossible de ne pas mentionner ce disque qui s’inscrit dans cette veine à la fois majestueuse et vacillante, éthérée et massive, fragile et d’envergure presque mythologique que je préfère chez le Brésilien. Un drone sismique et hanté qu’avait l’habitude d’explorer Tim Hecker et que les déçus de ses deux derniers opus trop arty et prétentieux pour laisser la moindre place à ce genre de reflux de mélancolie angoissée, aimeraient sûrement retrouver ailleurs. Avec ses regrets d’un futur jamais concrétisé et balayé par les marées du temps, Gone Again, Haunted Again tout en radiations abrasives est donc ce parfait candidat à votre besoin de tourments texturés, album-Garmonbozia (Gimu s’était lui-même prêté à notre questionnaire Twin Peaks il y a quelques semaines) qui n’hésite pas convoquer des crépitements corrosifs parfois proches du harsh noise sur Mercy Is a Dead Word ou encore, sur In the Ether et de façon plus assourdie sur Posology, les réminiscences d’une ère industrielle aux martèlements désagrégés par les années.


16. Luke Howard - Two Places [Lukktone]

Avec son affliction plus sous-jacente, le profond mal-être de ses nappes de cordes au lyrisme moins évident que sur le superbe Sun, Cloud mais d’autant plus poignant sur un morceau aussi intense que The Map Is Not the Territory, ce nouvel opus de l’Australien Luke Howard joue plus qu’à son tour dans la cour d’un Max Richter, qu’il s’agisse du piano tragique et résigné de Longplay et de Common Ground ou de l’incursion au clavecin façon Vivaldi recomposé de The Crossing of the Years, dont le crescendo désespéré des cordes n’est pas sans rappeler la BO de The Leftovers. Ce néo-romantisme minimal et hanté, du propre aveu du musicien, doit aussi beaucoup à l’héritage d’Arvo Pärt et ça s’entend, notamment sur Atlases ou sur un Peripatetic aux accents baroques presque morriconiens, ce qui n’empêche pas quelques beaux élans toute batterie en avant comme la cavalcade de synthé kosmische The Main Sequence ou surtout l’éponyme Two Places saupoudré de scintillements électroniques, avec sa dynamique flirtant avec le post-rock qui nous rappelle au souvenir du premier opus d’Ólafur Arnalds il y a 10 ans déjà. Une richesse d’inspiration qui permet de faire cohabiter de longs passages ambient (les 12 minutes d’orgue faussement austère et de poussière statique de The Mist Hardships) et de vrais moments d’émotion décomplexée (le diptyque final Magnolia/The Ends), signe d’un album long en bouche dont on n’a pas fini d’explorer les atmosphères et les passions contradictoires.




15. Gnaw Their Tongues - Hymns for the Broken, Swollen and Silent [Consouling Sounds / Tartarus Records]

Forcément, l’album le plus glauque, inhospitalier et propice au malaise de ce cru 2016 ne pouvait venir que de Maurice de Jong, Mories pour les intimes, pourvoyeur de puits de noirceur black metal/ambient depuis plus de dix ans maintenant en tant que Gnaw Their Tongues. Bien possible que le Néerlandais se soit rongé la langue à en juger par son growl de goule taquinée au chalumeau, à peine audible et encore moins intelligible sous les déferlements de blast beats chaotiques, saturations rampantes, chœurs antéchristiques et autres bourrasques de vents mauvais, mais ce qui est certain c’est qu’on finirait bien par s’arracher la nôtre à trop écouter cette grand messe possédée qui semble vous aspirer l’âme pour ne plus laisser derrière elle qu’une traînée de cendres et d’os broyés, direction l’enfer de damnés d’un Our Mouths Ridden With Worms aux allures d’opéra déliquescent.




14. Dälek - Asphalt For Eden [Profound Lore]

En dépit du remplacement d’Oktopus - fournisseur historique de tourbillons de distos abrasives et de beats lourdement viciés pour la formation de Newark depuis l’ethnique et dissonant Negro Necro Nekros - par un certain Mike Mare (Destructo Swarmbots, pensionnaire du label Deadverse de Dälek), Asphalt for Eden poursuit sur la lancée du relatif adoucissement entamé sur Gutter Tactics où officiait déjà discrètement ce dernier, avec des productions toujours hypnotiques et anxieuses mais bien plus vaporeuses que du temps des larsenisants From Filthy Tongue of Gods and Griots ou surtout Absence. Un comble pour le groupe de hip-hop le plus harsh de l’histoire de sortir chez Profound Lore, label metal extrême, son disque le plus downtempo et planant, car si les bourdonnements sont encore bien présents, ensevelissant le flow de Will Brooks sur l’ultra-dense Masked Laughter (Nothing’s Left), ils se font ici presque propices au rêve (jusqu’à la prévalence de l’instru sur le flow incarnée par un 6dB purement musical), une réinvention qui parvient ainsi à surclasser la redite en léger déclin de l’opus précédent. Il faut dire que Brooks aka MC Dälek ne s’était jamais vraiment contenté de tenir le micro (ce qu’il fait toujours avec une belle opiniâtreté sur le militant Control ou en particulier sur Critical, dernier vestige martial et corrosif de l’album) et que ses tentatives solo sous le pseudo iconAclass semblaient déjà vouloir renverser la vapeur d’une trajectoire d’oppression sonique poussée dans ses derniers retranchements du temps du génial Abandoned Language.




13. Terra Tenebrosa - The Reverses [Debemur Morti]

Pas faute de m’être refait récemment toute la disco de Breach avec un plaisir non dissimulé, les vétérans hardcore suédois m’impressionnent encore plus aujourd’hui avec Terra Tenebrosa, dont la noirceur dégénérée, la violence haineuse et le jusqu’au-boutisme ne semblent pas connaître de limites. Dernière émanation morbide et malfaisante du cerveau et des griffes de The Cuckoo, ce troisième long format qui culmine sur les 17 minutes d’un Fire Dances en trois mouvements, d’abord pilonné sans relâche dans un maelström de riffs apocalyptiques et de textures décadentes avec le frenchie Vindsval de Blut Aus Nord en maître de cérémonie funeste, puis en relative rémission dans un purgatoire dark ambient malsain avant d’enfoncer le clou (rouillé) en mode post-metal irradié. Le reste, entre atmopshère de possession (Marmorisation, le baroque Exuvia) et déluges carnassiers (Ghost At The End Of The Rope ou le bien-nommé Where Shadows Have Teeth) étant à l’avenant, ça nous donne un troisième chef-d’œuvre vicieux et vicié en 5 ans, et un cauchemar de plus pour les amateurs d’étiquettes, nos rayons black metal s’avérant aujourd’hui bien étriqués pour espérer englober la musique de l’auteur de The Purging.




12. Stefano Guzzetti - Leaf [Home Normal]

Si cela fait déjà quelques années que l’Italien publie des disques mêlant piano néo-classique et ambient chez Home Normal, feu
Twisted Tree Line ou son propre label Stella Recordings, il ne se sera réellement révélé à nous que l’année passée via deux œuvres majeures. D’un côté Escape (Music For A Ballet) composé pour une performance de danse aérienne de la compagnie londonienne LCP Dance Theatre et dont les orchestrations de cordes, de vents et de glockenspiel trouvent un souffle inédit dans l’apport des beats électroniques, entre deux romances plus méditatives et mélancoliques centrées sur les cordes ou sur le piano. Et puis surtout, il y aura eu ce Leaf, parcours de vie fait de quiétude, de difficultés et d’espoirs, de beautés éphèmères et d’une certaine tristesse sous-jacente face à la fragilité de l’existence, d’envolées épurées en piano majeur (All our Days) ou mineur (Saliva) dont la parfaite balance des sentiments évoque l’Islandais Ólafur Arnalds, et d’imprécations lancinantes auprès des forces qui semblent nous avoir abandonnés à notre triste condition, comme sur le violoneux Psalm in A Minor pas loin des élans spirituels tourmentés de Max Richter. Un album dont la pochette, peinture italienne inversée, laisse entrevoir les libertés que prend Stefano Guzzetti avec son background de piano classique, osant un lyrisme violon/violoncelle aussi chaleureux que douloureux comme en est capable Joe Hisaishi sur Mother ou Waiting - ou piano/cordes sur Shoreline, voire sur un Feather qui évoque la BO de L’été de Kikujiro. Depuis le souffle primordial d’un Womb réconfortant dont les harmonies de clarinette et de violon, comme plus loin sur l’inquiet Sospesa, font penser de loin à Michael Nyman jusqu’à While You Sleep dont la douce dramaturgie des cordes frottées doublée de glockenspiel et piano cristallins n’est pas sans rappeler Carter Burwell, cette influence cinématographique irrigue le plus gros du disque, mais les incursions classical ambient de Quiet Fracture ou Silently Leaving, moments de recueillement bienvenus dans ce flot d’émotions à fleur de peau, ne laissent aucun doute sur le fait qu’Home Normal était bien un havre de choix pour cette fable musicale d’une infinie sensiblilité.




11. William Ryan Fritch - Ill Tides [Lost Tribe Sound]

Ses albums chantés à l’image des récents New Words For Old Wounds et Clean War ne m’ayant toujours pas convaincu, la voix bouleversant volontiers l’équilibre d’un écrin musical devenu trop carré, il restait tout de même de belles possibilités de bilan pour l’ex Vieo Abiungo, habitué de mes classements de fin d’année, avec pas moins de trois sorties instrumentales chez Lost Tribe Sound en 2016. Sur l’EP Loose Limbed qui aurait pu lui faire une bonne introduction, ou le recueil folk pastoral Her Warmth, bien trop épuré et classique pour espérer égaler les denses maelströms d’arrangements lyriques du multi-instrumentiste californien, cet Ill Tides a logiquement pris un fort ascendant, privilégiant les atmosphères nébuleuses aux habituels torrents d’harmonies capiteuses (Ghosts In The Gale, Recoiled ou encore le crescendo dronesque A Tense Spiral) pour un résultat tout aussi poignant (cf. Entrenched) et au pouvoir d’évocation non moins saisissant (le western désertique d’Ill Tides, l’élégiaque épopée des steppes d’At Odds, la romance orientale d’Evaporate, l’odyssée maritime de Furthest Shore...), faisant comme à l’accoutumée la part belle aux percussions downtempo, au déluges d’arpèges et aux reflux de cordes frottées qui vont droit à l’âme comme sur The Waiting Room ou Ensemble.




10. Sun Thief - Empty Light Events [Autoproduction]

Cinq ans après le drone aride et lancinant de l’impressionnant Winds, l’Américain Adam Wetterhan revient avec un album où frappe le même astre de plomb sur les mêmes déserts de cendres, avec le même genre de dimension mystique voire mythique que sur l’imposant A Great Leap in the Dark de son duo Methuselah mais dans une forme musicale nettement plus aérée, loin des monolithes texturés que constituaient les albums sus-nommés. Au programme, trois morceaux de 20 minutes en moyenne dont les chœurs élégiaques, les mélodies de guitare et synthé liturgiques, les harmonies transcendantales et autres incantations gutturales sur fonds de nappes irradiées, de grondements saturés voire par moments de beats warpiens (Saturnalia) évoquent autant Steve Roach, Nest (le piano impressionniste du final tout en reverbs éthérées de Son of the Morning) ou le Seefeel ambient du mitan des 90s que Dead Can Dance, mais sans vraiment ressembler à rien de connu. Un immense album-monde dans lequel on prendra plaisir à voyager sans boussole ni repères et à s’abandonner à la douceur des éléments.




9. Aidan Baker & Tomas Järmyr - Werl [Consouling Sounds]

Double CD, chacun capté en une prise en studio, Werl incarne ce qu’un jam guitare/batterie peut donner de plus atmosphérique et stimulant, en dilatant le temps pour laisser du champ à la progression. Aux fûts en liberté sachant torpiller des structures hypnotiques, faire grimper la tension ou se faire plus discrets au second plan, Tomas Järmyr de Yodok, Zu ou encore The Void Of Expansion (duo free jazz dont Dirk Serries nous annonçait tout récemment un second opus pour 2017) ; à la six-cordes volontiers shoegazeuse alternant méditations liquéfiées, grondements bas, lancinances atonales proches du dark ambient et riffs space rock dissonants, le Canadien Aidan Baker que l’on ne présente plus et qu’on retrouve d’ailleurs tout en haut de ce bilan avec Nadja. De la série de crescendos/decrescendos sur fond de saturations amplifiées du premier CD à la monteé plus progressive mais aussi plus carrée du second allant de l’austérité dronesque de Werl V à la déferlante abrasive et martiale du final de Werl VIII, les deux musiciens rompus aux impros collectives s’adonnent ici à un exercice pas très éloigné de celui de l’Hypnodrone Ensemble d’Aidan Baker au côté de Thisquietarmy, mais avec l’influence du jazz-rock en lieu et place de celui du krautrock pour un résultat nettement plus farouche et d’autant plus palpitant d’imprévisibilité.




8. Vitor Joaquim - Geography [Crónica]

L’album devait sortir courant 2012 chez Kvitnu, il aura finalement fallu quatre ans de plus au Portugais et un retour dans le giron du label Crónica qui publiait 10 ans auparavant son merveilleux Flow pour accoucher de cette ode au déterminisme géographique de nos sociétés et de notre espèce, inspirée par le livre "De l’inégalité parmi les sociétés : Essai sur l’homme et l’environnement dans l’histoire" qui valut à l’évolutionniste américain Jared Diamond le Pulitzer en 98. Musicalement, ce concept de schismes évolutifs forgés par les reliefs et les climats, et l’idée d’une résistance de l’être humain aux limitations de son environnement via la technologie notamment s’illustre par moult collisions vacillantes, entre samples radiophoniques et boucles d’instrumentation glitchée (Geography), microsound abstrait et nappes dark ambient (Cantino), drone organique et lancinances jazzy (Cargo), orchestrations aurorales et crépitements angoissés (le cristallin Domo Arigato, sur lequel Vitor Joaquim malmène une dizaine d’instruments samplés durant ses performances avec des musiciens amis). Un bijou d’architecture sonique en constante mutation.




7. The Oscillation - Monographic [Hands in the Dark]

"Des affleurements de grouillis cauchemardés et autres hurlements doomesques du morceau-titre ou de Truth in Reverse, deux titres en apparence classiques pour The Oscillation mais pervertis en profondeur par la noirceur vertigineuse de leurs textures, jusqu’au courant de conscience d’un final drone aussi opaque et magnétique que la conclusion du 2001 de Kubrick (The End of Conscious Thought), Monographic ne cesse d’ouvrir, ici encore, de nouvelles pistes aussi sagaces - et parfois fugaces - qu’intrigantes, flirtant d’abord avec l’apesanteur aux reverbs droguées de Spiritualized (Let It Be The End) pour s’enfoncer ensuite de plus en plus profondément dans les vapeurs atmosphériques de ses errances subconscientes sur une seconde moitié d’album en suspension."

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6. Ulver - ATGCLVLSSCAP [House Of Mythology]

Les loups norvégiens de Kristoffer Rygg (déjà croisé en compagnie du claviériste Daniel O’Sullivan plus bas dans mon bilan au line-up du dernier Æthenor) en connaissent un rayon en disques composites où se télescopent les influences les plus antinomiques, on se souviendra notamment d’un Perdition City entre trip-hop, pop progressive, électro-rock, jazz, ambient, soundtrack imaginaire... et qui tenait pourtant particulièrement bien la route. Une dimension cinématographique qui n’a depuis jamais quitté le groupe, du requiem électro-ambient orchestral de Messe I.X-VI.X à la récente BO toute en nappes vaporeuses, tension martiale presque tribale et cordes tourmentées du film Riverhead, plus beau score ciné de l’année passée. Plutôt que pencher vers cette dernière sortie particulièrement épurée, c’est pourtant bien vers ATGCLVLSSCAP que mon coeur balance à l’heure des bilans, définition même de l’album malade, qui saute allégrement de l’élégie drone du poignant England’s Hidden au post-rock électronique de l’épique Glammer Hammer, ou plus loin des rêveries à synthé ultra-minimalistes de Gold Beach à l’hymne de stade de Nowhere (Sweet Sixteen) et dans la foulée la ballade-fleuve piano/percussions déclamée d’Ecclesiastes (A Vernal Catnap), seul enchaînement un peu faiblard d’ailleurs d’un album ambitieux qui le reste du temps tape dans une fusion de post-rock, de drone et d’électronica pulsée avec un sens de la dramaturgie rarement égalé, des morceaux aussi puissants, enfiévrés, habités que Cromagnosis ou Om Hanumate Namah rivalisant sans mal avec les plus belles épopées des derniers Swans.




5. Marielle V Jakobsons - Star Core [Thrill Jockey]

Successeur de l’ensorcelant Glass Canyon dont les collusions d’infrabasses dronesques, d’oscillations kosmische et de cordes enivrantes semblaient réinventer le mouvement des planètes en 2012, Star Core voit la Californienne dans un format apparenté de 6 longs morceaux radiants et capiteux remettre au premier plan son instrument de prédilection, le violon qu’elle pratique notamment au sein des duos Date Palms et Myrmyr, du collectif Portraits ou parfois de Barn Owl. Influencé par la musique asiatique - et notamment indienne - la plus transcendentale tant pour ses lignes de basses que pour les circonvolutions envoûtantes du violon sur Star Core et sur Rising Light ou la flûte lancinante d’Undone ou de The Beginning is the End - au titre forcément évocateur des préceptes bouddhistes -, ce nouveau chef-d’œuvre aux vibrations stellaires faites d’arpeggiators et autres drones propices à la métempsychose n’en explore pas moins le même inconnu sidéral - et sidérant - d’un cosmos intérieur toujours aussi impressionnant d’ampleur et d’intense magnétisme.




4. Fog - For Good [Hello.L.A. / Totally Gross National Product]

Pas mal de piano et de contrastes forts (le tourneboulant For Good, l’évanescent Father Popcorn), de scratches étranges et de mélodies romantiques (Made To Follow), de lyrisme vocal échevelé et d’emballements rythmiques fiévreux (Cory, Jim) sur ce nouvel album d’Andrew Broder et de sa bande qui fut peut-être bien l’objet le plus difficilement identifiable de 2016, même pour les inconditionnels d’un groupe que je n’avais pas hésité à surnommer il y a 10 ans le Radiohead américain, avec tout ce que cela peut avoir de réducteur connaissant le parcours de Fog depuis l’abstract folky de l’éponyme (2000) jusqu’à la mixture d’americana alambiquée, de krautrock et d’emphase 70s de Ditherer. C’est certainement l’impossibilité de lui coller une quelconque étiquette qui fait qu’un tel chef-d’œuvre a été si peu chroniqué (à commencer par nous, on n’osait même pas s’y coller) et qu’il reste au label Hello.L.A., assez couillu pour le distribuer chez nous, une demi-douzaine de cassettes à écouler - plus de quatre mois après la sortie du bouzin, on parlera volontiers d’hérésie. De la folktronica pour dancefloor cafardeux de Kid Kuma à la techno-pop organique et mutante de Trying en passant par l’immense Sister Still dont je chantais déjà les louanges par ici, l’album pourrait pourtant bien s’avérer le tout meilleur de ses auteurs avec 10th Avenue Freakout, un truc à nu, intimiste, fébrile et passionnant, toujours sur le fil du trop-plein (on l’avait dit, ça flirte volontiers avec Elton John ou Peter Gabriel, fallait oser) mais c’est bien souvent ce genre de prise de risque et de sincérité sans garde-fou qui font les disques de chevet, ceux qui s’insinuent dans vos ventricules pour ne plus jamais les lâcher.




3. Autechre - elseq 1-5 [Warp]

A dire vrai je ne sais même pas trop si cette œuvre-monstre du duo de Rochdale qualifie pour être un album : cinq volets digitaux pour plus de 4 heures d’une musique plus abstraite et mutante que jamais, où les beats se fondent dans les textures et vice-versa, des déconstructions IDM martiennes delseq 1 au minimalisme ambient déliquescent des volets 3 et 5 en passant par le chaos cybernétique delseq 2 ou les itérations presque industrielles d’un elseq 4 aux machineries capables de rêve, d’angoisse et de mélancolie en dépit - ou à cause ? - de leur apparente malfonction. Un programme fascinant, mais il faut s’accrocher et préférablement déjà connaître la musique des vétérans du label Warp sur le bout des circuits pour pouvoir apprécier.




2. Nadja - Sv [Essence Music]

"L’une de ces progressions sur une quarantaine de minutes dont les droneux sont friands, et où les motifs viennent peu à peu s’empiler dans un crescendo de tension et d’intensité. Horde de damnés échappée des enfers ou bombardement nucléaire, à chacun d’imaginer ce que lui évoque cet Sv mais l’album joue à n’en pas douter dans la cour d’un Yanqui U.X.O. en terme de tsunami sonique à la dimension cinématographique trippante (en québecois dans le texte), larsens et crissements remplaçant les crins de GY !BE en guise de background crépusculaire et mortuaire des riffs dramatiques suintant le danger sans jamais céder aux sirènes de la grandiloquence."

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1. Funki Porcini - Conservative Apocalypse [Autoproduction]

"A chaque sortie, Funki Porcini impressionne un peu plus par sa maîtrise de l’espace et son sens de la narration désincarnée. Ça commence par des nappes de synthés et pulsations vibrionnantes, vacillantes, vives et fragiles à la fois, un drone irrigué de mélancolie, quelques battements liquéfiés et l’environnement sonore augmenté qui naît de cette percée du voile de la réalité se nourrit déjà de tout ce que nos rêves ont su filtrer du quotidien, lançant sur les rails de notre subconscient le train de l’introspection sur une progression de friture statique étonnamment dramaturgique. Forcément, le voyage prendra d’emblée un tour freudien aux tournoiements dronesques assez ambivalents (Oh Daddy et ses réverbérations insidieuses) avant d’entrer en sommeil paradoxal le temps d’une paire de splendeurs aurales (Bleepsleep 1 et 2)."

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