L’horizon 2018 de Rabbit - cent albums : #40 à #31

On ne va pas se mentir, l’exercice est toujours difficile, surtout quand on écoute 800 albums par an déjà triés sur le volet. Mais chaque année, ça se complique encore un peu... de fil en aiguille, d’une connexion à l’autre, de labels sortis de l’ombre en artistes émergents, les découvertes nous submergent et de nouveaux horizons s’ouvrent à nous, sans pour autant éclipser les précédents. Rien d’exhaustif donc dans la liste qui suit, pas même au regard de ma propre subjectivité, qui souffre déjà de tant de grands disques laissés de côté...




- Part I : #100 à #91
- Part II : #90 à #81
- Part III : #80 à #71
- Part IV : #70 à #61
- Part V : #60 à #51
- Part VI : #50 à #41



40. Automatisme feat. Thisquietarmy - Station (Liberation Through Hearing)

Comme chaque année j’ai implicitement essayé de me limiter à un album par artiste, dans le cas contraire gageons que le très chouette et plus post-rock The Body and the Earth enregistré en groupe avec cuivres et section rythmique par le Canadien Eric Quach se serait également fait une petite place dans ce bilan, de même d’ailleurs que l’excellent Transit de son compatriote William Jourdain publié par Constellation et chroniqué ici. Guitare dronesque tantôt contemplative ou noisy pour le premier, dub-techno glitchée et field recordings manipulés jusqu’à l’abstraction pour le second, les univers des deux Montréalais n’étaient pas forcément taillés pour se rencontrer sur le papier et pourtant c’est bien cette collaboration qui aura eu ma préférence cette année, une rencontre tout à fait comme on aurait pu l’imaginer, où les drones éthérés et autres nappes de bruit blanc tirés des effets de la guitare de thisquietarmy sont malmenés par les déstructurations d’Automatisme (Station 2 Part 1) ou par ses beats tachycardiques (Station 3), l’univers du premier (sur l’orageux Station 2 Part 2) ou du second (le dub-ambient de Station 1 Part 1) prenant par moments le dessus pour mieux culminer de concert sur un final viscéral et radiant.



39. Uboa - The Sky May Be (Art As Catharsis)

"Pour son troisième long format en solo, l’Australienne Xandra Metcalfe s’éloigne du metal extrême de Jouissance, déjà bien bruitiste, névrotique et dissonant, pour traîner son mal-être du côté du harsh noise et du dark ambient sur un disque aux humeurs bipolaires, capable des saillies vociférantes, grouillantes et abrasives les plus inattendues entre deux plages aux harmonies vocales presque méditatives, à l’image du sommet The Sky May Be (Extus) où la brutalité se fait presque aussi aérienne que chez The Body.
Tirant son inspiration de l’anxiété de vivre dans une société où les individus transgenres continuent d’être stigmatisés et de tout ce qui en découle psychologiquement parlant, de la démence à la dépression, Uboa est en souffrance et The Sky May Be fait de cette douleur un leitmotiv, non sans un brin de déconstruction décalée qui empêche le disque de sombrer totalement dans le snuff movie sonique automutilatoire.
Pour autant, l’album n’en demeure pas moins très, très noir et désespéré, à l’image de Standards of Living, bande-son d’une psyché qui vole en éclats au ralenti, ou de la complainte aux chœurs élégiaques I Can’t Love Anymore.
Un petit chef-d’œuvre cathartique et sans concession, qui fascine en embrassant les maux les plus naturellement repoussants d’un esprit torturé."


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38. Chris Weeks - Journey to Mars (Odd John Records)

"Comme le souligne Chris Weeks lui-même dans les notes qui accompagnent ce nouveau long format, l’idée de voir un jour l’humanité atteindre Mars et fouler le sol de la planète rouge n’a jamais été aussi présente dans les médias. Une aubaine pour ce féru des astres qui met en musique au gré de ces 8 instrus drone ambient les étapes clés de l’exploration martienne, entre récit scientifique et anticipation cinématographique.
Pour l’Anglais, tout commence il y a un quart de siècle avec la perte de signal de la mission Mars Observer, à laquelle The Lost Observer adresse une élégie scintillante de blips enchantés aux boucles de nappes stellaires et de piano manipulé, comme un appel aux générations futures, aux enfants de l’époque dont il faisait partie, de reprendre un jour le flambeau.
Pour autant, l’auteur de The Lost Cosmonaut n’a pas complètement délaissé son goût pour un isolationnisme angoissé, et entre le radiant Satellites of Mars, méditation dark ambient oppressante sous les deux lunes martiennes Deimos et Phobos aux sombres auspices mythologiques de terreur et d’effroi, et la mélancolie du final Dust to Dust (A Long Way From Home), les rêves de Chris Weeks s’avèrent aussi précaires voire évanescents que ses soundscapes analogiques."


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37. Dirk Geiger - Dreams Die Quietly (Raumklang Music)

Sur ce 5e opus en solitaire, retour au bercail sur son propre label Raumklang Music après la disparition de Tympanik Audio qui s’était chargé de distribuer les trois précédents et l’album de remixes Second Life, Dirk Geiger oppose immersion et introspection au déficit d’attention, de raisonnement et d’imagination qui domine nos vies hyperconnectées, rappelant que sortir un album d’ambient nécessitant une écoute "active" pour être véritablement apprécié est presque un acte politique à notre époque de surconsommation superficielle et d’opinions préfabriquées. Musicalement, pour l’Allemand qui nous avait plutôt habitués à une electronica luxuriante et mélangeuse, on est plus proche que jamais de la géniale parenthèse Fallen Empires, collaboration dystopique et malaisante avec le Japonais Contagious Orgasm sortie chez Ant-Zen en 2013 : textures grouillantes (Reduce To The Maximum), tension lancinante (Disrupted Society) et minimalisme oppressant (Fear Of Freedom) aux beats post-industriels discrètement hypnotiques voire carrément absents sont les maîtres-mots de ce disque aux atmosphères ténébreuses et funestes, de l’ouverture lovecraftienne Looming Darkness avec ses samples d’épouvante sur fond de complaintes caverneuses et de vents mauvais, à la claustrophobie cosmogonique de God Mode en passant par l’angoisse tribale étrangement cristalline d’Antisocial Network ou le requiem stellaire d’un morceau-titre faisant le lien avec le beau mais plus classique Connected Worlds qui précédait.



36. Jute Gyte - Penetralia (Autoproduction)

"Après les singuliers et captivants - mais longs et parfois un poil fatigants - Perdurance et Oviri, on attendait de la part d’Adam Kalmbach un autre grand disque malade de black metal mélangeur et retors. Au lieu de ça, Jute Gyte vire au dark ambient pur jus sur un Penetralia de plus de quatre heures regroupant des morceaux fleuves enregistrés sur une période de 16 ans.
Ce nouvel opus justifie pleinement nos précédentes comparaisons avec Coil tant les fantasmagories déclinées par l’Américain suintent l’étrangeté tout en demeurant immersives à souhait (Snow Turned to Rain). Des aspects baroques voire tribaux d’Agowenijeng à l’ésotérisme d’outre-espace de Cavesway en passant par les distorsions cauchemardées des martiens Another Pioneer et May Night ou les effets reverse de fête foraine hantée d’Eurisko, nombreux sont les atomes crochus avec les albums les plus organiques et mutants de John Balance et Peter Christopherson, un foisonnement aux confins de l’horreur et de la science-fiction qui culmine notamment sur le lovecraftien Haumea."


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35. Joana Guerra - OsSo (Armures Provisoires)

"Les requiems de chambre feutrés que l’on connaissait à Joana Guerra depuis le beau Gralha ne laissaient pas forcément présager de la dimension profondément hantée que pouvaient revêtir les tourments de la violoncelliste portugaise, croisée depuis en renfort ponctuel du génial Alvaret Ensemble de Greg Haines et des frères Kleefstra.
On retrouve ainsi sur OsSo cette dramaturgie des crins et ces vocalises liturgiques et plaintives, naissant ici de souffles susurrés et autres cris primaux dans le quasi-silence pesant aux cordes et percussions égrenées de Calcificação. Mais cette fois, composée pour une installation de la chorégraphe Marina Nabais, la musique se suffit à elle-même et ses atmosphères suintent plus que jamais l’angoisse et le mal-être, rappelant rien de moins que les fantasmagories orchestrées de Kreng, des stridences anxiogènes du final horrifique de ce long titre d’ouverture aux frottements fatalistes et discordants de Natureza de Pedra dont les idiophones sonnent un peu comme des ossements ballotés par les vents mauvais."


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34. Daniel Bachman - The Morning Star (Three Lobed Recordings)

Album le plus mystique et dronesque du guitariste américain depuis ses débuts en tant que Sacred Harp, The Morning Star s’ouvre sur une Invocation de près de 19 minutes évoluant de percussions esotériques en dark ambient proche de la musique concrète en un long crescendo patchouli de western psyché. Un instrumental à la (dé)mesure du reste de l’album, où l’intensité est à son paroxysme lorsque le fingerpicking cher à l’auteur du superbe River reprend l’ascendant (Sycamore City, ou Scrumpy à la guitare 12 cordes) sans pour autant vraiment retomber lorsque l’abstraction est de mise comme sur Car avec ses samples étouffés sous un linceul de drones fuligineux. Tour à tour solaire et déglingué dans le dépouillement boisé des Song for the Setting Sun III et IV puis capiteux sur le final New Moon, le jeu de guitare atypique et hypnotique de Bachman, hérité des primitivistes, revient finalement au premier plan tout en malmenant des racines americana de nouveau soumises aux digressions hallucinées de l’ex pensionnaire du label expérimental Debacle Records.



33. Objekt - Cocoon Crush (PAN)

Quatre années séparent ce Cocoon Crush du déjà impressionnant Flatland, qui avait révélé l’un des beatmakers les plus talentueux et idiosyncratiques de la décennie. Meilleure preuve d’une confirmation espérée pour le Berlinois TJ Hertz, ce nouveau long format reprend à quelques chiffres près la place de son prédécesseur dans mon classement annuel d’il y a quatre ans, entérinant son titre de petit cousin somatique et ludique des titans britanniques Autechre ou des plus récentes mutations discographiques d’Amon Tobin, comparaisons qui pour une fois n’ont rien de galvaudées. Plus organique comme son titre et sa pochette le laissaient présager, Cocoon Crush ralentit le tempo jusqu’à flirter avec une ambient à la mystique étrange hantée par les voix de chamans robotisés (Rest Yr Troubles Over Me) entre deux saillies rythmiques tout aussi baroques et déstructurées (Secret Snake), et délaisse les derniers vestiges post-techno de Flatland au profit d’hallucinations des antipodes (l’asiatisant Dazzle Anew), d’abstractions amniotiques à la frontière de l’électro-acoustique et de la musique concrète (le cristallin Nervous Silk), d’échappées hypnotiques (Runaway) et autres grooves mutants (Deadlock). Avec ses beats de chirurgien, ses rêveries extra-terrestres et les réminiscences jazzy de ses cordes pincées, 35 évoque un Squarepusher au sommet de son inspiration, tandis que les arythmies boréales de Silica s’inscrivent dans la continuité des expérimentations chromatiques du label Schematic. Autant de rapprochements à même de mettre en évidence, plutôt que de la réfuter, la profonde singularité de cette anomalie électro des plus addictives.



32. The Necks - Body (ReR)

"Les génies australiens du jazz freeform sont de retour au top avec un disque toujours aussi atmosphérique et mouvant mais particulièrement percussif et hypnotique cette fois, si bien que ce Body a finalement autant à voir avec le krautrock ou les serpentins post-ambient d’un Oren Ambarchi. Après un premier mouvement où pianotages impressionnistes et percussions martiales évoluent de concert sur fond de basses profondes, guitare transcendantale et orgue psychotrope font leur apparition et surgie de nulle part une batterie incandescente fait basculer ce titre unique de près d’une heure dans un grand bain de rock psychédélique entêtant. Décomposé en quatre mouvements que le trio australien décrit comme suit : "Episodic, Driving, Dynamic, Layered, Celebratory, Soaring, Rocking out, Buoyant, Sustained, Perfectly paced", Body doit beaucoup à l’omniprésent Tony Buck en charge des fûts et de la 6-cordes, les interventions au piano plus ou moins discrètes de Chris Abrahams assurant tout de même la signature du groupe dans les moments les plus atypiques de ce 20e opus en 30 ans."


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31. Cult Of The Damned - Part Deux : Brick Pelican Posse Crew Gang Syndicate (Blah Records)

Spoutnik nous avait dit tout le bien qu’il pensait du collectif anglais du label Blah Records emmené par le truculent Lee Scott, regroupant une quinzaine de MCs et de producteurs dont l’excellent Bisk qui tient un peu des deux casquettes. Irrésistible, ce premier long-format du crew, successeur d’un EP sorti en 2015, a tout de la brillance des débuts d’Anticon : un univers sombre et ludique à la fois, des personnalités complémentaires et bien affirmées au micro, la contrebasse malaisante de Part II avec son atmosphère à la Sixtoo, les manipulations électro-acoustiques d’un From The Depths évoquant Alias du temps des So-Called Artists, les arrangements et bourdons insidieux du single Civilized, la glauquitude éthérée et lo-fi du final Bad Card... et surtout une identité à part, anti-conformiste sans être élitiste, désabusée sans jamais tomber dans le plombant, mélangeuse et minimaliste. Pour autant, Cult Of The Damned n’en reste pas moins profondément ancré dans son Angleterre de prolos gouailleurs et nerdy en proie à un quotidien aliénant, une bande de potes unis pour affronter l’absurdité de leur environnement.


To be continued...