L’horizon 2018 de Rabbit - cent albums : #50 à #41

On ne va pas se mentir, l’exercice est toujours difficile, surtout quand on écoute 800 albums par an déjà triés sur le volet. Mais chaque année, ça se complique encore un peu... de fil en aiguille, d’une connexion à l’autre, de labels sortis de l’ombre en artistes émergents, les découvertes nous submergent et de nouveaux horizons s’ouvrent à nous, sans pour autant éclipser les précédents. Rien d’exhaustif donc dans la liste qui suit, pas même au regard de ma propre subjectivité, qui souffre déjà de tant de grands disques laissés de côté...




- Part I : #100 à #91
- Part II : #90 à #81
- Part III : #80 à #71
- Part IV : #70 à #61
- Part V : #60 à #51



50. Cluster Lizard - Prophecy (Prostir)

"Désormais basés à Vienne, les Ukrainiens fondateurs de la fantastique écurie Kvitnu, Zavoloka et Dmytro Fedorenko (aka Kotra) ont choisi leur nouveau label, Prostir, pour nous dévoiler ce deuxième opus de leur projet Cluster Lizard, un peu plus d’un an après Edge Of The Universe.
Dans la lignée de ce premier album, Prophecy bourdonne, gronde et martèle dans un néant claustrophobe et menaçant, avec une dimension stellaire toutefois moins marquée et des textures plus que jamais au bord de l’effondrement voire de la désagrégation.
Poétiques - et prophétiques, donc ? - les titres empruntés à des poèmes de William Blake, Lord Byron et Rimbaud, au scénariste de SF Lex Gigeroff ou encore à l’écrivaine et activiste ukrainienne Lesya Ukrainka, évoquent dans leur ensemble la lutte, en des temps dramatiques, pour faire renaître un espoir fragile et voué à être ébranlé de nouveau. Toute ressemblance avec la triste actualité d’une nation tourmentée n’est évidemment pas fortuite..."


< lire la suite >



49. PLY - Rends​-​toi (Warm)

Parallèlement à ses sorties solo où électronica organique, field recordings et drones plus abstraits prennent tour à tour de dessus, le Nantais Mathias Delplanque explore un spoken word protéiforme en compagnie de Guillaume Ollendorff (Tsé) au micro. De son ouverture Le roi gouré entre nappes rêveuses, crépitements menaçants et guitare élégiaque, étrange ballade post-apocalyptique aux sifflements morriconiens et aux chœurs salvateurs, jusqu’à son final feutré Et puis... dont les points de suspension font écho à la suspension des accords de guitare et des percussions délicatement balayées, Rends-toi est jusqu’ici l’album où le surréalisme sombre et sensuel du second (qui n’est pas sans nous faire penser aux excellents lufdbf, en particulier sur le coldwave et cru Julie) rencontre avec le plus d’ampleur et d’intensité les compositions du premier, qu’il s’agisse des mantras funestes sur fond de slowcore en apesanteur d’un Rappelle-moi de 12 minutes évoquant Labradford, ou surtout d’un morceau-titre dont les drones caverneux, les rythmes tribaux de rituel occulte et autres murmures ésotériques aux ambiances angoissantes de giallo impressionnent durablement.



48. Monsieur Saï - Deuxième Volte Digitale (Soma Productions)

Autoportrait vénère et joueur, fourre-tout mais cohérent à l’image de son prédécesseur, un EP sorti en 2014, Deuxième Volte Digitale est la profession de foi d’un rappeur vieillissant qui documente la calvitie et les kilos en trop (Châteaux de sable, reality check des gens qui checkent moins) comme l’hypocrisie de nos démocraties (La république du mollard), tacle d’autant plus violemment la paranoïa du complot (#sofilagirafesatanilluminati - suite de ce délire déjà culte) quand elle distrait des vraies menaces (le morceau-titre avec Myscier Blodya, Monsieur 6000 et Sooolem sur fond de dystopie japonisante à la Ghost in the Shell) et de l’hypocrisie ambiante (Terrorisme), et alimente avec brio l’obsession récurrente du Manceau pour une science-fiction plombante transposée dans un paysage politique gangrené qui est déjà un peu - beaucoup ? - le nôtre (La lune bleue, deuxième épisode). C’est souvent grinçant (le désespéré On n’est pas des loups qui n’a rien à envier en amertume et en noirceur à son Histoire des hommes), parfois hilarant (L’Ampoule, parodie du rap jeu au groove irrésistible), toujours profondément honnête (Le chien errant), ultra-prenant même sans micro (l’instru 1000 ans d’amour) et en plein dans une actu que l’écriture de ces morceaux a pourtant précédée. Visionnaire, Monsieur Saï ?



47. Jeremiah Cymerman - Decay of the Angel (5049 Records)

"A l’inverse du génial Sky Burial d’il y a cinq ans qui bénéficiait d’un saxophone et d’une paire de trompettes en plus de la clarinette du New-Yorkais, Decay of the Angel a été accouché en solitaire, et s’il s’avère légèrement moins schizophrénique que le chef-d’œuvre de darkjazz expérimental sus-nommé, il n’en est pas moins tout aussi dense et angoissant, un orchestre infernal de drones fuligineux, de stridences névrotiques et de lacérations analogiques sous-tendant les gémissements insidieux que le musicien tire de son anche amplifiée aux sonorités hautement triturées. Au gré de ces 7 titres, le champ des possibles semble infini, qu’il s’agisse des modulations tortueuses de The Violence of Stupidity, des cascades glitchées du fantasmagorique With Ten Thousand Shields and Spears, des stridulations de damné du bien-nommé Spheres of Dissonance, sommet cauchemardé de l’album, ou des larsens désincarnés de The Canto of Ulysses. Quant au morceau-titre, du haut de ses 22 minutes bourdonnantes et feutrées, il s’agit forcément de l’une des pièces maîtresses de ce nouvel opus, serpentin angoissant qui paradoxalement s’avère d’autant plus claustrophobe dans ce quasi dénuement où chaque digression résonne avec d’autant plus de poids."


< lire la suite >



46. Monolog - Indemnity and Oblivion (Hymen Records)

"Un besoin pour le Danois Mads Lindgren d’exorciser la culpabilité d’être toujours en vie après le décès de plusieurs de ses proches a clairement inspiré cet album cathartique, successeur chez Hymen du sommet Conveyor. Faisant référence à l’Indemnity and Oblivion Act par lequel le parlement britannique pardonna certains crimes de la première révolution anglaise à la restauration de la monarchie en 1660, ce nouvel opus navigue ainsi entre accès de violence chaotiques (le breakcore fuligineux et carnassier de Edge Hill, Tenacy, et Serenity avec Dean Roddell) et passages plus introspectifs mais tout aussi plombés où la mélancolie d’une guitare électrique côtoie les fantasmagories digitales d’un dark ambient pour machines aliénées (du menaçant Skeletons Are Watching Me tout en renflements saturés au final Manta hanté par un fouillis de messages radio déformés).
Il nous l’avait bien dit dans son Entretien à Twin Peaks, "le Mal ne dort jamais" et l’auto-dépréciation est une intarissable source de chefs-d’œuvre viciés pour qui aime arpenter les versants les plus ombrageux et accidentés des musiques électroniques."



< lire la suite >



45. Puce Mary - The Drought (PAN)

Frederikke Hoffmeier quitte le label danois Posh Isolation au profit du Berlinois PAN à l’occasion de ce cinquième opus qui entérine sa réputation de pourvoyeuse du genre d’abîmes bruitistes et psychotiques dont les exploratrices se comptent sur les doigts d’une main, de Pharmakon à Lucy Railton en passant par Phew ou Uboa (hasard des sorties, trois d’entre elles se retrouvent justement un peu plus haut dans ce classement). Toutefois, de ce no man’s land harsh noise (Dissolve) aux réminiscences indus (The Size Of Our Desires) et power électronics (Fragments Of A Lily), toujours bien flippant par moments (le final Slouching Uphill ou l’irradié Coagulate) émergent pour la première fois des harmonies plus cinématographiques, des émotions refoulées par un environnement sans oxygène pour les alimenter mais qui grouillent sous la surface, prêtes à éclater, tels ces désirs, ces frustrations trop longtemps contenus dans un corps supplicié par la déshumanisation ambiante. The Drought y puise ainsi une ampleur nouvelle, qui culmine sur la tension cardiaque et entêtante de A Feast Before The Drought, ou sur le gothique et tempétueux Red Desert inspiré du film du même nom signé Antonioni, où le spoken work se fait plus tourmenté et moins abstrait qu’à l’accoutumée, à l’opposé des méditations décharnées du tout aussi impressionnant To Possess Is To Be In Control.



44. Maze & Lindholm - Where The Wolf Has Been Seen (Aurora Borealis)

Associé à P.Maze, moitié du duo technoise Orphan Swords, le contrebassiste bruxellois Otto Lindholm déjà bien campé dans mon bilan albums de l’année précédente pour le dronesque et capiteux Alter fait un pas de plus vers l’abstraction et la noirceur, tirant de son instrument des chapes bourdonnantes de fréquences particulièrement corrosives et anxiogènes qui n’ont rien à envier, sur Part II ou Part IV, aux textures déliquescentes et malaisantes d’un Cezary Gapik. Une assise dark ambient aux grondements opaques que zèbrent des motifs de cordes pincées ou frottées plus reconnaissables mais tout aussi inconfortables et lancinants, maniant la dissonance avec parcimonie tandis que l’électronique désagrégée de P.Maze grouille, craquèle et pulse au second plan. Claustrophobique et fascinant !



43. Terminal Sound System - The Endless Sea (Denovali)

"A l’instar de son prédécesseur Dust Songs, The Endless Sea nous gratifie de véritables ballades électro-acoustiques, à l’image de Verses, au spoken work plus en avant, dont la guitare narcotique doublée de textures vacillantes laisse place en milieu de titre au futurisme cauchemardé de battements post-industriels et de synthés post-apocalyptiques que ne renierait pas Justin K. Broadrick, ou plus loin du déglingué The Hum passant de la sérénade la plus neurasthénique au post-rock le plus abrasif en l’espace de quelques secondes bourdonnantes et sur le fil de l’implosion. Pour autant, A Sun Spinning Backwards aussi a laissé des traces, des martèlements tectoniques de l’ouverture For the Silent où les radiations oscillatoires de matière noire côtoient des lames de bruit blanc au downtempo techno-indus sur crescendos de crépitements viciés du morceau-titre, et c’est ainsi à une véritable trilogie que semble mettre fin ce nouvel opus de l’Australien Skye Klein impressionnant de maîtrise et paradoxalement d’abandon de soi, troublant de puissance et de fragilité mêlées."


< lire la suite >



42. Nadja - Sonnborner (Broken Spine Productions / Daymare Recordings)

Derrière son superbe artwork extra-terrestre, ce dernier album en date d’Aidan Baker (guitare, drum machine) et Leah Buckareff (basse) cache une architecture volontairement bancale. Aux 30 minutes de crescendo tour à tour bourdonnant et feutré d’un Sonnborner-aten alternant pesanteur électrique et pureté des violons et du violoncelle élégiaques d’Agathe Max, Simon Goff et Julia Kent, pièce maîtresse dont le final épuré convoque au son des cordes une tension troublante héritée de la musique classique contemporaine, répondent ainsi des morceaux plus courts et tranchants, du sludgy et très connoté metal In The Shadow Of The Wing Of The Thing Too Big To Be Seen en contraste radical avec le passage précédemment cité au stoner dysrythmique et liquéfié de Stillborn (A Fragment), en passant par l’épique Sunwell dont les vocalises gutturales font écho à des sonorités heavy metal gothiques aux entournures. Une étrange et belle anomalie musicale en somme, qui retrouve au bout du compte un semblant d’équilibre sur une coda finale au lyrisme apocalyptique plus insidieux.



41. L.Boy Jr. - Aether & Nostalgia (I Low You Records)

"Comme un espèce de cousin séraphique du Britannique The Caretaker avec un accent tout particulier sur le collage sonore qui se fait chez lui plus métamorphe et luxuriant (6.a.m.), L.Boy Jr. convoque la nostalgie éthérée d’un passé vu à travers le prisme en verre dépoli de nos rêves sibyllins (le fascinant et déconstruit Metamorphosis of the city) et de nos souvenirs brouillés sur ce très bel album défendu par le label japonais I Low You Records. Samplant de vieux vinyles dans des atmosphères réverbérées évoquant autant l’ambient hantologique (In the forest) que des tranches de ciné hors du temps telles que la fameuse scène du bar de l’Overlook Hotel dans Shining (Smoky Cruise), le successeur du fantastique EP Peur Bleue délaisse les ambiances horrifiques de giallo psyché d’anticipation et les rythmiques héritées du hip-hop aux profit de récollections surannées que le Nantais passe au filtre baroque de ses fantasmes de futur révolu et d’ectoplasmes musicaux d’un passé persistant. Un album qui requiert de s’abandonner pleinement, au casque de préférence, à ses repères dépaysants pour en goûter toute la magie déliquescente, ces charmes ambivalents d’une "familière étrangeté" presque morbide et pourtant confortable voire apaisante."


< lire la suite >


To be continued...