2019 sans le confort(misme) - 100 albums : #100 à #81

100 albums, en attendant les concerts et EPs, avec pour seule règle de n’en retenir qu’un par artiste ou projet, hors collaborations. Un lien sur le titre du disque en question pour lire la suite lorsqu’il s’agit d’une chronique publiée dans l’année, et pour aller plus loin, un laissé pour compte du classement à écouter si vous avez aimé le choix auquel il correspond. En espérant vous donner envie de découvrir quelques perles passées entre les mailles du filet, comme chaque année à condition de savoir où pêcher (à contre-courant bien évidemment), le flot des sorties n’en manque pas !





100. A Winged Victory for the Sullen - The Undivided Five

"Kudos à Ninja Tune pour rappeler à notre souvenir ses ambitions défricheuses des 90s en signant le duo américain échappé d’Erased Tapes, qui le lui rend bien en nous offrant son meilleur disque en 8 années d’activité. Cinquième sortie du pianiste Dustin O’Halloran et de l’ex Stars of the Lid, Adam Wiltzie, The Undivided Five s’amuse à jouer sur le chiffre 5 à coups de quintes justes et autres références musicales érudites, mais son équilibre parfait entre lyrisme et économie de moyens le met à la portée de tous les amateurs de soundtracks néoclassiques au spleen piloérectile (The Slow Descent Has Begun, The Rhythm Of A Dividing Pair)."

- À écouter aussi si vous avez aimé : Old Amica - Taiga


99. Czarface & Ghostface Killah - Czarface Meets Ghostface

Entre soundtrack d’exploitation du côté obscur (Czarrcade ’87), futurisme lo-fi (Super Soldier Serum), film de super-vilains (Iron Claw, Masked Superstars) et rap ludique (Mongolian Beef), cette seconde collaboration pleine de synthés gothiques (The King Heard Voices) entre Ghostface Killah et le trio Czarface - soit le producteur 7L avec son compère Esoteric et le discrètement génial Inspectah Deck au micro - s’est gagnée une place dans ce bilan à l’addiction, emmenée par l’imparable single Powers and Stuff où une fois n’est pas coutume, les interventions goguenardes d’une paire de gamins scandant les noms de leur anti-héros favori (Czarface ou Ghostface donc) donnent un goût de revenez-y... de même que l’instru digne d’Odd Nosdam de l’énorme Face Off, allégorie de retrouvailles au sommet pour les deux MCs du Wu-Tang.

- À écouter aussi si vous avez aimé : Inspectah Deck - Chamber No. 9


98. Aidan Baker - The Forever Tapes

"On retrouve le Canadien à la croisée de l’hypnotisme kraut (Night Drive), d’un shoegaze qui en remontre aux sorties récentes des cadors reformés du genre (Anglev, meilleur que n’importe quel morceau des derniers Ride et Slowdive), d’un post-rock aux élans évanescents (Synaptic Firing) et d’un indie rock liquéfié (Fragmentary Beings, Lost Keys) lorgnant sur l’électronica (In the Meadow) et bien évidemment l’ambient (Climbing Into Light, In & Out of Darkness). Cerise sur le gâteau, une version ambient de l’album vient en délayer les textures oniriques tandis qu’une troisième relecture, judicieusement nommée Forever Versions, les étire sur 6H d’abstractions propices à l’abandon des sens."

- À écouter aussi si vous avez aimé : Aidan Baker, Faith Coloccia & Jon Mueller - See Through


97. Tapage & Gareth Davis - STATES

"Récemment de retour avec l’électronica hypnotique et texturée de l’excellent One, Two, Three & Four, Tijs Ham s’est associé avec le clarinettiste Gareth Davis croisé notamment au côté d’Oiseaux-Tempête, Merzbow, Aidan Baker ou encore Frances-Marie Uitti. Plus que jamais amateur d’atmosphères ténébreuses et minimalistes, ce dernier improvise dans les interstices des radiations, modulations et autres interférences chaotiques et noisy du Néerlandais, dont le setup électronique auto-génère ses propres récursions dronesques et pulsées. Intrigant et épuré, le résultat est ardu mais de toute beauté."

- À écouter aussi si vous avez aimé : Tapage & Espoir - Crossfade I


96. Matana Roberts - Coin Coin Chapter Four : Memphis

Habité par les souvenirs d’enfance de son père via un courant de conscience qui revient encore et encore titre après titre au même mantra ("i am a child of the wind, even daddy said so" etc...), ce quatrième album de la série de 12 qu’a prévue la Chicagoanne du label Constellation pour déconstruire le jazz et l’histoire afro-américaine est certainement le plus intense depuis son tout premier, le fameux Gens de couleur libres. Saxo à la Coleman, violons dronesques ou dissonants, guimbarde lancinante, batterie et percus désarticulées constituent l’essentiel de l’instrumentarium à l’œuvre sur ce Memphis, une épure free qui fait la part belle aux névroses mémorielles de l’Américaine, dont la musique en dépit de quelques passages gospel relâchant la tension (Her Mighty Waters Run, d’une absolue tristesse ceci dit) se fait ici particulièrement ardue et inconfortable.

- À écouter aussi si vous avez aimé : Ari Balouzian - Dust Bunnies


95. World War Two - The Dead End

"C’est à une inondation survenue en leur fief de Tulsa en Oklahoma au printemps dernier suite à une série de tornades que fait référence cet album du duo, d’où la tonalité de fin de monde de ces instrumentaux pas tous aussi plombés que ça, oscillant entre drone opaque et crépitant (The Wall Approaching for the East, Extinguished), guitares doom (The Downpour Pt. 2, Aftershock), élégies violoneuses et saturées (66th Street Submerged), darkjazz hanté (The Evacuation), purgatoires fantasmagoriques (Abandoned) ou encore nappes de synthés lancinantes émaillées de field recordings forcément aquatiques (Acceptance), tout en ménageant quelques éclaircies acoustiques plus cristallines et mélodiques (New Islands, Our Clouds Don’t Move) qui incarnent un espoir pas tout à fait réduit à néant."

- À écouter aussi si vous avez aimé : Anatoly Grinberg & Mark Spybey - 123 m


94. Boxguts & Il Brutto - Devils In The Details

"Déjà crédité aux instrus de l’excellent premier EP de Canopic Jars, Il Brutto était le binôme rêvé pour le flow carnassier de Boxguts, chaînon manquant entre la glauquitude de son producteur de prédilection Jakprogresso, la lourdeur futuro-gothique malade et insidieuse de ses influences avouées du Def Jux des débuts (Company Flow en tête), un Necro sobre et minimaliste et une inspiration plus cinématographique aux samples délétères évoquant le Morricone des giallos d’Argento notamment. Atmosphère et efficacité parfaitement dosées font ainsi de Devils in the Details la meilleure sortie du New-Yorkais cette année, une courte tête devant Feast Of The Deities."

- À écouter aussi si vous avez aimé : Boxguts & DJ Kryptonite - Feast Of The Deities


93. Junkboy - Trains, Trees, Topophilia

"9 ans après Koyo qui les avait vus ouvrir en France pour Laetitia Sadier, revoilà le groupe des frères Hanscomb, toujours aussi libertaire et radieux. D’abord, difficile de cacher son enthousiasme lorsqu’un groupe indé jusqu’au bout des ongles découvert à l’époque de Myspace continue d’enregistrer des disques aussi précieux et complètement ignorés de tous. Transcendé ici par des arrangements de cordes capiteux et totalement surnaturels, ce nouveau long-format mêle toujours avec brio et sans la moindre parole cette fois folk psychédélique à l’Anglaise des 60s, dream-pop acoustique, touches chaleureuses de jazz et de synthés cosmiques sur fond de circonvolutions mélodiques d’une luxuriance à tomber, que j’aimais comparer du temps de Three à celles du Tortoise versant méditatif des 90s."

- À écouter aussi si vous avez aimé : Sandro Perri - Soft Landing


92. Rainbow Grave - No You

"Pas grand chose à voir de prime abord avec le dernier projet solo de Nicholas Bullen retenu par les mailles de nos filets il y a quelques années... si ce n’est ce côté malsain, forcément, qui s’incarne ici de façon nettement plus électrique et frontale, et donc, quelque part, plus immédiatement jouissive. Un disque à la fois belliqueux et dissonant qui crache un peu plus à chaque titre sa haine de l’humanité, mais l’expérimentation, bien que plus en retrait, n’en a pas disparu pour autant, des zébrures doomjazz de Year Zero et Assassin of Hope aux drones de goules de Dead End. Et puis "I hate your kids", on ne le dit jamais assez. Merci Rainbow Grave."

- À écouter aussi si vous avez aimé : Krause - The Ecstasy of Infinite Sterility


91. Segue - The Island

"Aussi irrésistible que facile d’accès, ce nouvel opus du Canadien semble vouloir ériger une passerelle entre Terre et espace, primitivisme et futurisme, ambient et techno, contemplation de la nature et métaphysique des astres. Pas une surprise d’y retrouver au mastering le génial Stefan Betke aka Pole, pionnier dubtronica, tant l’influence polyrythmique et épurée de l’Allemand est perceptible sur des morceaux aussi évanescents que Mirage et Desolation Sound. Superbe."

- À écouter aussi si vous avez aimé : Floating Points - Crush


90. Thom Yorke - Anima

Mon compère Elnorton en a dit beaucoup sur ce disque, peut-être moins audacieux que The Eraser en son temps mais particulièrement chiadé dans son beatmaking et ses productions, qui semble dès l’entame Traffic ou plus loin avec Twist reprendre les choses là où Apparat les avait laissées avec Walls, album décidément séminal pour tout un pan de la pop électronique d’aujourd’hui. Futuriste, cohérent et volontiers hanté, il surclasse sans mal le Radiohead stagnant qui l’avait précédé et culmine tour à tour sur le vortex modulaire de Last I Heard, les élans rythmiques et orchestrés du parfait Not the News, les mélodies déliquescentes et désarmantes de The Axe et la transe aérienne d’Impossible Knots avant de plonger la tête la première dans les plus inavouables névroses du Britannique, guidé par la voix pitchée de l’inquiétant Runwayaway.

- À écouter aussi si vous avez aimé : Aqka Torr - Volgrace


89. Luke Temple - Both-And

Infusé de pop brésilienne et d’electronica gracile, de guitare acoustique tortueuse et d’harmonies vocales désarmantes, le nouvel album solo du leader d’Here We Go Magic - son meilleur depuis le génial et trop sous-estimé Snowbeast de 2007 - a tout du tour de magie justement : un disque à la croisée de Gruff Rhys et Laetitia Sadier à leur meilleur, mélodique et tortueux, limpide et aventureux, comme l’indie pop d’aujourd’hui en fait trop peu, si ce n’est plus du tout. L’album rivalise ainsi sur ses morceaux les plus folky (Henry in Forever Phases) avec les premiers opus de Bill Callahan en solo et en dépit du charmant retour en forme de ce dernier il y a quelques mois, le fossé s’est creusé entre les deux Américains tant en terme d’audace digressive (l’intro instrumentale de 200,000,000 Years of Fucking donne par exemple au disque une profondeur de champ digne du Grandaddy d’antan) que de songwriting lumineux (Walking Iris).

- À écouter aussi si vous avez aimé : River Into Lake - Let The Beast Out


88. Darc Mind - What Happened To The Art ?

"Enfin des nouvelles de Darc Mind, et l’inactivité ne semble avoir eu aucune prise sur l’un des trésors cachés de l’indie rap des 00s ! Les bons gènes de la grande époque d’Anticon survivent sur l’équilibriste Don’t Stop ou le gothique Gumarr, et font le lien avec le nerdisme cinématographique sombre et ludique des héritiers Backburner sur Into Being Pt 1 & 2 avec sa tension à la James Bond ou le tout aussi stressant Noneotherthan aux samples cinéphiles, tandis que des morceaux acoustiques et introspectifs comme You Don’t Know Me ou 28 Grams nous rappellent aux Atmosphere de la décennie précédente... sans oublier le minimalisme du caniveau à la RZA (Darcness) car l’album est dark, forcément Darc !"

- À écouter aussi si vous avez aimé : Quelle Chris - Guns


87. Alexander Tucker - The Guild Of The Asbestos Weaver

"Toujours inspiré par l’ésotérisme et la science-fiction, l’Anglais membre de Grumbling Fur et d’Imbogodom fait ici la part elle à cette dernière, faisant référence à Ray Bradbury ou Philip K. Dick sur cette collection de morceaux centrés sur les boîtes à rythme et des lignes de synthés dronesques, imposantes, irradiées desquelles s’extirpe le chant en écho, à la fois emphatique et planant de Tucker (Energy Alphas). Des percussions martiales (Artificial Origine, Precog) ou un violoncelle lancinant (Montag, Cryonic) viennent tour à tour étoffer ces chansons en flux tendu et libérées de toute structure dont le magnétisme ne relâche jamais son emprise, comme un symbole de ces forces mystérieuses et inconnues qui nous entourent."

- À écouter aussi si vous avez aimé : Monnik - Bitteroogst


86. Silent Vigils - Lost Rites

"On retrouve sur cette deuxième sortie en un peu plus d’un an les fréquences oniriques de l’Anglais James Murray et du Belge Stijn Hüwels (_steiner). Si Fieldem à l’époque avait nécessité plusieurs écoutes pour dévoiler, sous une apparence faussement linéaire et douce, des progressions mouvantes émaillées de passages aux tonalités presque oppressantes sans toutefois parvenir à emporter tout à fait l’adhésion, Lost Rites fait très forte impression d’emblée par le biais de compositions et de textures autrement plus complexes et denses, des pianotages impressionnistes bientôt submergés par des crépitements incandescents de Stolen Fire aux méditations lancinantes et délicatement percussives de Shoreless, en passant par le drone ascensionnel et majestueux de Recursion."

- À écouter aussi si vous avez aimé : James Murray - Embrace Storms


85. Sabiwa - DaBa

"Sur ce nouveau chef-d’œuvre onirique et déstructuré, la géniale taïwanaise évoque plus que jamais l’angoisse d’une société technologique où les smartphones et autres “connexions” virtuelles en viennent à phagocyter l’échange émotionnel entre les êtres au lieu de l’amplifier. Lorsque Sabiwa use de sa voix à de rares occasions sur ce second long-format, c’est pour exorciser sa perte de repère et la tristesse d’être ignorée (“you never see me”, sur la douce introduction à la kalimba Sailor Girl). Mais peu à peu, le glitch s’empare des mélodies, le cut-ut digital de field recordings malaisants entre dans la partie et le chant se “cybernétise” avant de laisser place à un univers instrumental de plus en plus ardu et concassé. Faussement dispersé, DaBa dévoile au fil des écoutes un état d’être dont la schizophrénie traduit le malaise d’une époque."

- À écouter aussi si vous avez aimé : Queimada - Eremocene


84. The Messthetics - Anthropocosmic Nest

"Moins saisissant d’emblée que son prédécesseur, ce deuxième opus du trio rock instrumental des deux ex Fugazi Brendan Canty (batterie) et Joe Lally (basse) et du guitariste Anthony Pirog n’en fait pas moins preuve du même goût pour l’aventure, le melting-pot et autres chemins de traverse. Anthropocosmic Nest saute allégrement d’un noise rock épique (Better Wings) à un punk matheux aux entournures (Drop Foot), d’un post-rock libertaire et feutré façon Tortoise de TNT (Scrawler) à une vignette Mr. Bungle-esque complètement barrée (The Assignment), d’un jazz électrique rondelet et délicieusement alambiqué (Pay Dust) à une ballade riffesque pile entre Slint et Santana (Because the Mountain Says So)... Que du bonheur."

- À écouter aussi si vous avez aimé : TaxiWars - Artificial Horizon


83. Gimu - Finally Free, Gravity

"Sur cet album dédié à sa belle-mère décédée, Gimu opte clairement pour la facette la plus éthérée de sa musique, non sans nuances : douleurs fantômes sursaturées sur when a chance’s bound to come ou warmth bubble, drone élégiaque avec laughing, lastly, ascension de textures en motifs circulaires (Air), ambient vocale où piano embrumé et textures bouillonnantes accompagnent le chant dédoublé d’une certaine Trixie Delight (not alone), abstraction de fréquences lancinantes (nothing comes to solve nothing and there’s nothing out there) et finalement ces séismes stellaires sur le final mind no longer has me qui nous rappellent à deux de ses plus belles sorties. 65 minutes magnétiques qui nécessiteront quelques écoutes supplémentaires pour livrer tous leurs secrets."

- À écouter aussi si vous avez aimé : Dentelle - Brocart


82. Chantal Acda - PŪWAWAU

"Une œuvre ambitieuse de réconciliation entre ancien et moderne, païen et sacré, spiritualité et instinct, atonalité de la musique contemporaine et mélodies réconfortantes (cf. le sublime et fiévreux Marama, digne des plus beaux métissages accessibles et savants à la fois du label New Amsterdam), mais surtout de réconciliation entre les êtres qui passent et se croisent sans se voir. Qui mieux que la Néerlandaise, déjà à l’œuvre à l’intersection de la pop vocale et de l’ambient avec son projet Sleepingdog, pour viser - et atteindre - cet équilibre délicat sans rien renier de sa spontanéité folk sur un disque où sa voix, plus en avant que jamais, transmet encore plus de sérénité et d’anxiété, de confiance et de fragilité, de confusion et de conviction mêlées qu’à l’accoutumée ?"

- À écouter aussi si vous avez aimé : Gruff Rhys - Pang !


81. Unsung x cunabear - quiet, bear

"Peut-être bien le meilleur album à ce jour du magicien Steven Miller dont on vous a souvent parlé depuis ses débuts en 2011, et encore pas plus tard que l’an passé avec ce bijou. Associé à cunabear dont le flow s’avère joliment complémentaire du sien, le Virginien a produit l’ensemble du disque, remixes compris et on retrouve en vrac son goût pour le psychédélisme, la pop baroque, le jazz brésilien et les samples oniriques au fil de vignettes irréelles et touchées par la grâce - on citera en vrac l’enivrant peace, le chamanique magician’s mask, l’halluciné whatever life costs (Remix), le féérique (pressure &) release (Toolip Remix) ou encore un remix de tal tal heights aussi rétrofuturiste et perché qu’un Cannibal Ox des familles."

- À écouter aussi si vous avez aimé : Unsung - Wasteland Faceplant (beat tape)


La suite très vite !