On a rongé 2022 : top albums - #80 à #61 (par Rabbit)

Troisième partie de mon bilan des albums avec une dizaine de nationalités représentées et des univers toujours aussi multiples et mélangeurs, seulement réunis par leur sens de l’atmosphère, leur singularité et leur absence de concession aux tendances du moment - Big Thief compris car honnêtement, qui dans les cercles indie pop/folk/rock célébrés par la presse musicale aujourd’hui, à l’exception peut-être de Field Music dont l’aura commence à péricliter, pour encore prendre la peine de sortir des double albums de près d’une heure et demie alors même que certains prétendent à ce format sitôt arrivés aux 50 minutes, durée moyenne d’un simple dans les 90s (cf. dernièrement The Coral et son pseudo "double" Coral Island d’à peine 54 minutes, dont 25 de remplissage) ? Un pied de nez au déficit d’attention qui a clairement eu un impact sur la réception de l’album en dépit de sa grande qualité, des réactions qui en disent long sur ce qu’est devenu notre rapport à la musique. Qu’importe, il paraît que ça se soigne, à commencer pourquoi pas par une cure d’écoute intensive des chefs-d’oeuvre qui suivent ?





80. Grosso Gadgetto & Innocent But Guilty - Sci-Fility

Seconde collaboration des deux Français habitués de nos colonnes et déjà croisés dans ce bilan - après l’impressionnant Basement en 2021 et avant Street Symbols l’été dernier -, Sci-Fility troque les épaisses radiations dronesques et autres beats downtempo parfois proches du hip-hop au profit du genre d’electronica que laisse imaginer le titre de l’album, faite de synthés et arpeggiators futuristes, d’ambiances tendues et de beats cinématographiques. Aussi généreux que son prédécesseur avec près de 70 minutes de musique, le disque évoque ces bandes originales imaginaires que j’affectionne tout particulièrement, et du thriller dans les couloirs d’une station spatiale désaffectée à la dramaturgie des voyages intersidéraux en caissons d’hibernation dont les passagers ne reverront jamais leurs proches restés à vieillir et mourir sur Terre, charrie son lot de saynètes palpitantes derrière les yeux.


79. Damien - El Diablo

Le patron d’I Had an Accident reprend la main avec un album de hip-hop moins massif et abrasif qu’à l’accoutumé où son sens du sample cinématographique, servant habituellement un univers instrumental, se met au service des flows des fidèles du label, de Mickey Diamond à Pro Dillinger en passant par Pawz One et bien sûr l’excellent Luke Sick - qui avait déjà collaboré dans une veine plus caverneuse avec le beatmalker de Spokane et faisait l’objet d’une mention il y a peu pour son projet DANKSLOB dans mon classement des EPs. Tantôt sombre et inquiétant sur fond de cordes saillantes, ou plus groovesque voire soul aux entournures, l’album brille par sa belle économie de moyens, qu’il parte chasser sur les terres de Portishead par sample interposé (A Week Ago) ou offre au grand Cryptic One (Atoms Family), recrue de luxe de l’écurie IHAA en 2021 via le superbe Pirata, un tour de carrousel hanté aussi malicieux qu’épuré.


78. Jesse Tabish - Cowboy Ballads, Pt. I

Même s’il manque peut-être à ce premier véritable album solo de Jesse Tabish (après la magnifique bande-son de la pièce de théâtre The Price dont j’avais touché quelque mots ici - #101) l’ampleur de production des dernières sorties de son groupe Other Lives, il ne pouvait pas laisser indifférent l’amateur que je suis de pop 60s aux arrangements luxuriants et des BOs de Morricone, John Barry ou encore Henry Mancini (auquel l’Américain rend ici un hommage explicite). Aussi vibrant en instrumental (Cowboy Ballad) qu’en chanson (Da Da, Castro, Price in Full avec sa troublante chorale de marins perdus ou surtout l’immense Keep You Right aux allures de western épique et crépusculaire), l’album joue pleinement la carte du lyrisme et s’y perd par moments en dégoulinant légèrement (New Love) mais fait mouche la plupart du temps, quelque part entre Lee Hazlewood et The Coral à leur meilleur si les Britanniques avaient l’ambition de storytellers d’un Leonard Cohen.


77. Homeboy Sandman - Still Champion

Avec son flow légèrement nasillard, son humour décalé et ses rimes truculentes au rythme si particulier, Homeboy Sandman est probablement l’un des MCs les plus originaux de notre époque. Depuis le chef-d’oeuvre Humble Pie avec Edan, les albums (Dusty, Don’t Feed the Monster) et EPs (Anjelitu, There in Spirit) se suivent chez Mello Music Group et affirment encore un peu plus à chaque fois le talent singulier du New-Yorkais, qu’il oeuvre dans une veine soulful, narcotique et déstructurée, ou pop et baroque dans un esprit presque Daisy Age en fonction du collaborateur aux manettes. Avec ce nouvel opus, et sous l’impulsion de Deca à la production, c’est un univers très 70s que déroule le rappeur, mâtiné de subtiles touches psyché (le génial Radiator) et blaxploitation (Fresh Air Fund) voire de clins d’oeil aux Temptations (Thanks & Praises), et une fois de plus les classiques instantanés de songwriting sont légion, avec des refrains chantés du plus bel effet comme sur Today ou All Because of You accentuant encore un peu l’idiosyncrasie du MC dont la personnalité irradie à chaque instant de ce bien-nommé Still Champion.


76. Funki Porcini - Where The Sauce Is Deluxe

On est désormais habitué à une sortie presque annuelle pour le génial Britannique précurseur de l’esthétique Ninja Tune, dont le virage ambient entamé il y a une vingtaine d’années n’a fait que décupler l’esprit aventureux. D’arpeggiators kosmische en incursions ambient-techno, en passant par un downtempo jazzy plus typique de son univers et autres cavalcades breakbeat aux drums feutrés, Where The Sauce Is Deluxe est aussi foutraque sur le plan rythmique que cohérent par ses sonorités évanescentes, mais s’avère cependant peu surprenant dans ses compositions, beaucoup moins mouvantes qu’à l’accoutumée de la part de l’auteur du fantastique Conservative Apocalypse (mon dauphin des années 2010 faut-il le rappeler). L’album illustre ainsi une autre facette de James Braddell, celle d’un easy listening qu’il déjoue souvent par des mélodies et harmonies troublantes mais embrasse ici d’une manière plus assumée, avec néanmoins suffisamment de savoir-faire et d’atmosphère pour faire de ce 14e opus - si j’ai bien compté - un excellent disque à défaut d’un grand cru.


75. Big Thief - Dragon New Warm Mountain I Believe In You

À force de faire preuve d’uns suspicion souvent justifiée envers les succès critiques du moment, on pourrait presque passer à côté de ces rares exceptions qui relèvent le niveau. J’y allais ainsi un peu à reculons au moment de découvrir ce nouvel album de Big Thief, avec quelque part cette idée persistante que le groupe d’Adrianne Lenker resterait celui d’un album, voire d’un single (Masterpiece, tellement au-dessus du lot jusqu’ici). Pas faute pourtant d’avoir assumé la même erreur de jugement trois ans plus tôt en chroniquant le très chouette U.F.O.F sur lequel les New-Yorkais entamaient ce virage dream-pop nettement ressenti sur certains titres du 5e opus qui nous occupe ici, à croire que les souvenirs du ronronnant Capacity, et d’un Two Hands plus abrasif qui en perdait (hormis sur Not) sa belle singularité mélodique, avaient pris le dessus dans mon impression générale sur la formation de Brooklyn. Qu’à cela ne tienne, même si tout n’est pas absolument réussi parmi tout ce que le groupe a le mérite de tenter sur ce Dragon New Warm Mountain I Believe In You, de la dream pop Cocteau-Twinesque donc (superbe Flower of Blood) à la freak folk en passant par une lo-fi bricolée ou une alt-country parfois un brin envahissante, l’immense générosité du disque emporte le morceau, sans parler de cette poignée de chansons au songwriting doré à l’image de Simulation Swarm ou du merveilleux No Reason dont je parlais ici.


74. Mats Gustafsson & NU ENSEMBLE - Hidros 8 - Heal

Le saxophoniste et conducteur/producteur Mats Gustafsson délaisse temporairement son magique Fire ! Orchestra pour retrouver le NU ENSEMBLE dans une ambiance nettement plus électrique et dissonante. Exit donc le lyrisme piloérectile de l’indépassable Arrival et place à un free jazz maximaliste aux riffs heavy/psyché et au saxo pachydermique qui n’en oublie pas pour autant de respirer, comme sur ce passage déclamé par Christof Kurzmann sur le second des deux longs titres qui constituent le disque, moment de quasi silence peu à peu brisé par l’irruption des instruments avant un crescendo final fiévreux et entropique à souhait.


73. KHΛOMΛИ - UZIИΛ GΛZ

L’univers du très productif KHΛOMΛИ fut l’une de mes grandes découvertes musicales de l’année écoulée, avec trois autres disques qui auraient pu prétendre à une mention dans ce classement ou pas loin (les excellents MMXXII et BL​Λ​CK​-​OUT en tête). C’est probablement pour son ampleur cinématographique (avec notamment ces synthés rappelant le minimalisme dystopique des soundtracks les plus ambient de Carpenter) et son goût pour le sampling évocateur et l’échantillonnage d’ambiances et d’effets sonores comme matière musicale que cet UZI​И​Λ G​Λ​Z a eu mes faveurs, sommet de tension post-industrielle aux atmosphères fuligineuses dont la narration de bande originale imaginaire réserve à l’auditeur-spectateur son lot d’angoisse voire de jumpscares (ces contrastes parfois saisissants des percussions bruitistes ou tribales).


72. Adrian Copeland - If This Were My Body

Bien qu’aficionado du remarquable label Lost Tribe Sound (cf. ici) dédié aux aventuriers de la musique acoustique, ce premier long format sous son véritable patronyme du violoncelliste Adrian Copeland (qui avait participé sous son alias Alder & Asher à nos compilations hommages à Twin Peaks, entre deux albums classical ambient funestes et habités à l’image de Clutched in the Maw of the World il y a 5 ans), était inexplicablement passé sous mes radars à sa sortie... c’est dire si l’on ne sait plus où donner de la tête dans le constant raz-de-marée de l’actualité, et j’aurais assurément regretté d’avoir omis dans ce classement les élégies à la fois poignantes et hantées de ce superbe If This Were My Body, un album d’émotions à nu qui perd en contrastes menaçants ce qu’il gagne en lyrisme capiteux, sans pour autant renoncer à la tension palpable de ses cordes frottées.


71. Luke Howard - All of Us

L’Australien cousin de coeur de l’excellent Max Richter, après des débuts plus discrets, est passé depuis quelques années sur les "gros" circuits de musique classique du label Mercury KX et nous offre un nouveau bijou ample et ambitieux de modern classical aussi lyrique qu’évocateur. Le piano aux mélodies crève-cœur, parfois immensément fragile et dans le plus simple appareil (The Compass of a Telegraph, A Faint Qualm for the Future) se pare ailleurs d’arpeggiators de synthés désagrégés et de beats presque ambient-techno (Critical Spirit, The Opening of the Gates) ou de blips oniriques (A World of Abstractions), lorsqu’il ne s’efface pas complètement devant des torrents de cordes douloureuses (A Different Idea of Love, An Hour Off for Friendship) ou de délicates vagues ambient (The Moment Only). Une énième réussite en somme, bien que légèrement moins singulière qu’à l’accoutumée de par sa visée presque cinématographique, pour l’un des musiciens d’inspiration néo-classique les plus régulièrement transcendants des 10 dernières années.


70. Belts - 2

Par extrapolation, j’ai déjà quasiment tout dit sur ce 2e album du quatuor allemand auteur avec Wasted Efforts de ma chanson de l’année : une exception dans le morne paysage indie rock de 2022 avec son songwriting sensible et flamboyant aux envolées lyriques savamment mesurées, sa ferveur très 90s, et surtout sa balance impeccable entre fuzz des guitares et évidence désarmante des mélodies vocales évoquant pourquoi pas The Notwist ou les collabs de leur chanteur Markus Acher, notamment chez leurs compatriotes Sharon Stoned qui firent la connexion avec cette scène américaine des Sebadoh et autres Lemonheads, influence évidente ici. Un petit bijou passé complètement inaperçu qui ne pouvait paradoxalement nous arriver que d’un label indie hip-hop, Anette Records.


69. Ol’ Burger Beats - Loft

Plus beau représentant actuel d’un hip-hop instrumental profondément nourri au jazz (une influence dont on sait désormais qu’elle lui vient de son père pianiste avec un album prévu pour bientôt sur le label du fiston), le Norvégien Ol’ Burger Beats aux claviers/synthés vintage, samples, percus et autres drum machines s’est associé pour cette sortie à trois saxophonistes/multi-instrumentistes du courant jazz "spirituel" des 70s/80s, et n’a pour une fois fait appel à aucun rappeur invité, laissant parler ces jams abstract et cristallins d’une fluidité presque easy listening dont les atmosphères cotonneuses et rétro sont encore magnifiées par la modernité épurée des beats. Une petite merveille de cocon "jazz-hop" doux et réconfortant, qui rend notamment hommage au label Tribe Records ainsi qu’au regretté Ras_G, fils spirituel d’un Sun Ra avec lequel deux des jazzmen invités, Ralph Thomas et Wendell Harrison, ont justement eu l’occasion de croiser le fer à un moment ou à un autre de leur carrière.


68. Aidan Baker & Jörg Schneider - Schneider-Baker

Le prolifique batteur allemand Jörg Alexander Schneider, habitué des albums collaboratifs et derrière les fûts d’une bonne demi-douzaine de formations allant de la free improvisation au noise rock en passant par l’électro-jazz et la no wave, accompagne le toujours passionnant Aidan Baker (Nadja et tant d’autres projets relayés dans nos pages ces 15 dernières années) sur ces jams lourds et abrasifs à la croisé du drone, du rock expérimental et d’un jazz versant free ou tribal. Un album minimaliste mais très sensoriel, dont les atmosphères pesantes envahissent tout l’espace sous l’effet de la guitare du Canadien, qui prend essentiellement la forme d’épaisses nappes ambient à la fois opaques et vaporeuses aux radiations pénétrantes.


67. SHIRT - I Turned Myself Into Myself

On avait perdu de vue le New-Yorkais George Tryfonos depuis l’excellent RAP il y a 8 ans déjà et loupé une sortie entretemps, qu’importe... la surprise n’en est que plus belle de le voir débarquer chez Mello Music Group (encore eux) avec son boom bap 90s toujours aussi minimaliste et charismatique, tantôt tendu et implacable (Dave Chappelle Is Wrong), sensible et mélodique (Marni Invisibility Cloak, Cancel Culture), atmosphérique et spleenétique (Tell The Machine Goodnight, Death To Wall Art), groovesque et mélangeur (718 To The World, Watching A Person Think), souvent épuré jusqu’à l’os (No Magic No Music, I Make Art) et pourtant quelque chose se passe, dans l’interaction entre les productions frontales et efficaces du complice Jack Splash et le flow-fil conducteur ultra-cadencé du MC du Queens dont le timbre profond et assuré évoque presque Black Thought des Roots, sans aucun featuring pour le faire dévier de sa route. Le genre d’album dont on ne saurait trop dire ce qui le fait vraiment basculer dans l’excellence, mais c’est du lourd et c’est tout ce qui compte.


66. The Lord † Petra Haden - Devotional

Quand Greg Anderson, co-fondateur de l’excellent label metal Southern Lord et guitariste notamment de Goatsnake et Sunn O))), s’associe avec la violoniste et vocaliste Petra Haden souvent entendue aux arrangements de cordes chez le frérot Josh aka Spain, ça donne l’halluciné Devotional, sorte de grand’messe doom aux circonvolutions vocales d’enchanteresse du côté obscur et aux riffs d’antimatière, où le chant dédoublé de l’Américaine fait merveille sur un tapis de cordes mystique et d’électricité caverneuse suintant la menace sourde. Un grand inclassable de 2022, résolument envoûtant et probablement même accessible aux allergiques des musiques extrêmes.


65. Cult of the Damned - Cultgangrapsh !t Vol. 1

Un an à peine après The Church Of, Cult of the Damned est de retour avec une troisième galette de hip-hop british du caniveau qui sent bon le spliff, le mal-être et la grisaille du quotidien. Pas facile de passer après un album aussi dingue que Part Deux : Brick Pelican Posse Crew Gang Syndicate, et à l’image de The Church Of qui avait déjà joliment évité une comparaison trop directe qui se serait avérée défavorable, Cultgangrapsh !t Vol. 1 fait le choix du minimalisme absolu, usant d’ici d’une boucle insidieuse, là d’un gimmick de piano au spleen épuré ou encore d’un sample de percussions jazzy pour pervertir la simplicité de ses kicks downtempo profonds et syncopés, en laissant le maximum de place aux flows déglingués juste ce qu’il faut de la clique de rappeurs du label Blah Records, toujours emmenée par le patron Lee Scott et le MC/producteur Bisk.


64. Seabuckthorn - Of No Such Place

À chaque nouvelle sortie de Seabuckthorn, Andy Cartwright (qui explore également des sphères plus mélodiques et non moins troublantes en tant que Mt Went, chant à l’appui) semble s’éloigner un peu plus du fingerpicking des débuts du projet et lui préférer une ambient élégiaque et mystique aux arrangements impressionnistes qui voit la guitare, de plus en plus souvent utilisée avec un archet, se mêler aux sonorités de la clarinette, à des field recordings organiques et aux échos fantomatiques de diverses percussions délicates. Pour cette première sortie sur le label breton Laaps, le transfuge de Lost Tribe Sound livre une suite de soundscapes méditatifs et solennels régulièrement sous-tendus par la contrebasse d’un certain Phil Cassel : un maelstrom intérieur fourmillant de vie, d’anxiété, de microvariations et de mélancolie, où la guitare frottée surnage parfois avec un souffle presque néo-classique qui n’a plus grand chose à voir avec ses premiers enregistrements, ouvertement influencés par l’"american primitive guitar". Une évolution passionnante de la part du musicien britannique.


63. Sessa - Estrela Acesa

Souvent considéré comme l’une des révélations de l’année écoulée par ceux pour qui la pop/folk n’est pas qu’un produit calibré anglo ou américano-centré, le Brésilien Sergio Victor Sayeg aka Sessa n’en est pas tout à fait à son coup d’essai, ayant commencé d’explorer en 2019 sur l’inaugural Grandeza une bossanova moderne et protéiforme qui doit autant à la légèreté mélancolique d’un Antônio Carlos Jobim qu’à une face plus sombre et tourmentée de la musique populaire brésilienne versant acoustique, incarnée notamment par le génial Chico Buarque de Construção ou Chico Buarque De Hollanda Vol. 4. Ainsi, sur Estrela Acesa, le guitariste et songwriter à la tête d’un véritable petit ensemble de choristes, d’instruments à cordes et à vent et de percussions en tous genres, passe volontiers d’une folk chaleureuse et dynamique et autres ballades au romantisme tristounet à des compositions downtempo telles que Gostar do Mundo, Helena, Dor Fodida ou Ponta de Faca sur lesquelles le chant se met en retrait de rêveries instrumentales aux troublantes radiations orchestrales, une introspection claire-obscure qui fait tout le prix de ce 2e album impressionnant de maîtrise et de maturité.


62. Christina Vantzou - No. 5

Cinquième opus au titre numéraire pour Christina Vantzou qui décidément ne déçoit jamais, preuve en est ce nouveau soundtrack imaginaire mystique et inquiétant sorti chez Kranky comme à l’accoutumée. Un disque qui prend le temps de développer son atmosphère cryptique à coups de nappes caverneuses et de field recordings suintants, gagnant peu à peu en intensité tout en cheminant vers la lumière au son d’un piano néo-classique et de choeurs éthérés qui semblent vouloir guider l’auditeur jusqu’à la sortie du tunnel, entre deux réminiscences de cauchemars éveillés. C’est déjà presque trop en dire sur cet album dont la grande force, comme souvent avec la musicienne belge, est l’aura de mystère... il ne vous reste donc plus qu’à tenter de le percer en vous laissant happer par ses tourments instrumentaux.


61. Bill Callahan - YTI​⅃​A​Ǝ​Я

Exit le soupçon de pose dApocalypse, et place au genre d’intensité tranquille, de liberté discrète et d’évidence taillée dans le roc dont on ne croyait plus capable l’auteur du génial Dongs of Sevotion. Du haut de son équilibre idéal entre douceur finement arrangée et rugosité saturée, ce nouvel opus s’inscrit dans la continuité des derniers Smog (le superbe A River Ain’t Too Much To Love en particulier), avec davantage de dissonance néanmoins, ces petits moments de dérèglement parfaits pour transcender la classe naturelle du songwriting et la pureté des harmonies vocales de la pianiste/organiste Sarah Ann Phillips et du bassiste Emmett Kelly. Les crescendos d’intensité presque tribaux (Bowevil, Partition) et autres progressions aux cuivres hallucinés (Naked Souls, Planets) sont un écrin idéal pour les incursions rythmiques très instinctives de l’inimitable batteur Jim White dont les dernières collaborations avec Callahan remontaient au chant du cygne de Smog, et s’entrecoupent de morceaux merveilleux d’épure texturée (Everyway, Lily, The Horse) ou d’élégance jazzy (Coyotes et Drainface, réunis par cet insaisissable piano flirtant avec l’atonalité), l’album culminant très probablement sur la parfaite synthèse de tout ça, ce dynamique et fervent Natural Information qui convoque sans rougir le meilleur de Van Morrison. Un classique instantané.