2023 - le meilleur de janvier à juillet par la rédaction
6 chroniqueurs pour autant de bilans à mi-année (voire un peu plus, retard oblige on a compté juillet) : à chacun sa présentation, son approche et ses coups de coeur bien sûr, autant dire que ça part dans tous les sens et qu’avec environ 150 sorties mentionnées vous aurez de quoi voir venir pour un moment. À noter qu’avec trois citations chacun, les albums de Buck 65, Andrea Belfi et Pile remportent jusqu’ici les suffrages de l’équipe... un bien beau podium.
Le récap de Rabbit
Pas évident de résumer autant d’écoutes et de coups de coeur en quelques paragraphes mais on va faire au mieux, en décomposant autant que possible par catégories aux contours forcément flous.
Ambient :
Pour qui est familier des incontournables labels où satisfaire sa curiosité en la matière (citons en vrac Mahorka, Kranky, Room40, Lost Tribe Sound, Whitelabrecs, Lotophagus, iikki, A Strangely Isolated Place, Midira, Home Normal et tant d’autres), aucune année n’est jamais décevante en termes d’ambient et de musiques expérimentales versant atmosphérique et texturé. Trônant tout en haut de mon classement à mi-année, j’ai déjà eu l’occasion de toucher un mot des élégies électro-acoustiques de William Ryan Fritch (lequel place 2 albums dans mon top ten provisoire en comptant le superbe Cohesion sorti en mai), des miniatures hantées de Christophe Petchanatz (également auteur d’une très belle collaboration avec Julien Ash aka NLC), des rêveries dronesques et magnétiques de Shida Shahabi et de Richard Skelton (tous deux transfuges d’un univers plus proche du classical ambient), du chant du cygne du regretté Sakamoto, de Torre di Fine et de son post-shoegaze immersif et inclassable, du métamorphe Andrea Belfi ou encore de l’ex Ensemble Olivier Alary. Parmi les 2 douzaines d’albums qu’il me brûle de chroniquer, attendent patiemment le puissant Résidu Révolu (KHΛOMΛИ/ASH), Strië & Scanner, Loscil & Lawrence English ainsi que les sorties toujours passionnantes du Britannique Andy Cartwright, sous son patronyme ou derrière l’alias Seabuckthorn.
Musiques électroniques :
Très chouette début d’année pour les musiques qui beatent et blipent avec notamment deux doublés, d’une part du génial Chris Weeks (sur EP en tant que Kingbastard et du côté de notre IRM Netlabel, on est chauvin ou on ne l’est pas), et aussi des Français Puce Moment dont on vous reparle bientôt des deux bijoux évocateurs et immersifs que sont Epic Ellipses et Ex Situ. Côté pionniers, l’increvable Funki Porcini a essayé de nous la faire à l’envers mais impossible de résister, Oval et µ-Ziq ont livré deux pièces maîtresses de leurs discographies récentes, non sans atomes crochus dans leur approche délicate, mélodique (voire presque acoustique pour l’Allemand) et néanmoins aventureuse, plus que l’on ne peut en dire d’Aphex Twin dont le retour ces jours-ci avec un Blackbox Life Recorder 21f / in a room7 F760 efficace mais cadré et tout sauf surprenant fait plutôt figure de pétard mouillé. Quant à nos chouchous de ces dernières années, tels que Tangent (du très constant label n5MD) et Tim Koch (moitié des fabuleux Dolphins of Venice), ou à l’underground de chez nous, avec Arnaud Chatelard et son projet Welcome to the Machines ou le Belge Thamel avec deux EPs de haute volée (dont cet excellent Benaco), ils continuent de démontrer que le meilleur de l’electronica et de l’IDM est désormais à rechercher du côté des petits labels autogérés et de l’autoproduction.
Jazz :
Sur le versant atmosphérique du genre, les Australiens de The Necks restent comme souvent imprenables, talonnés de peu ceci dit par les impressionnants The Cry, trio strasbourgeois emmené par l’excellente Christine Ott aux ondes Martenot et dont les compos s’avèrent tout aussi mouvantes et mélangeuses. Je laisse au Crapaud le soin de parler du nouveau Fire ! Orchestra qu’il me faut encore digérer et qui devrait marquer l’année, mais du côté de Mats Gustafsson, un 3e opus halluciné du quintette THE END est également à saluer et plus si affinités. Toujours au top, la paire Adrian Younge/Ali Shaheed Muhammad a fait appel aux cuivres des vétérans Phil Ranelin et Wendell Harrison (Tribe) pour accoucher de l’un des tout meilleurs EPs de leur série Jazz Is Dead. En outre, si je n’ai pas encore eu le temps d’explorer les dernières sorties de John Zorn, l’album de Dunn With Rutmanis fut un bon palliatif noisy et hanté. Et pour rester sur des projets inclassables qui se retrouvent là faute de meilleure définition, Colin Stetson et Brahja (avec son side project Kadef) ont encore frappé fort, pour les amateurs de voyages soniques qui peineraient à choisir entre les tropiques et le désert.
Hip-hop/abstract :
Ce semestre a marqué le grand retour sur le devant de mes passions, de ce hip-hop lofi et mélangeur hérité de labels tels qu’Anticon ou Decorative Stamp, j’en veux pour preuve les formidables réussites signées Dug Yuck & Babelfishh, Papervehicle, Buck 65, Mestizo ou même The Difference Machine. Les inconditionnels de Def Jux ou des grandes heures d’Antipop Consortium n’ont pas non plus été en reste avec Wolf Windblade & John Sarastro, Kyo Itachi x Pruven (ou en solo pour ce dernier), l’onirique 7rinth et le Company-Flowesque Marrow, entre autres. Côté US et Canada et dans les sphères indé, coup de coeur en juillet pour le lugubre Ol’ Gorilla Bones x The Dirty Sample, et on finira bien par causer des excellents disques de Fortunato & Sean One, MENES the Pharaoh, Stik Figa ou encore Anwar HighSign, les deux derniers produits par des Britanniques. Quant à l’Angleterre justement, elle se porte toujours aussi bien, à la croisée du futurisme et d’atmosphères urbaines plus ou moins narcotiques - citons Fliptrix, l’étonnant Jung échappé de Strangelove entre pop expérimentale, rap abstrait et électronique, Lee Scott, Jehst ou encore Verbz, Nelson Dialect & Mr Slipz chez High Focus.
En abstract et hip-hop instru évocateur bien comme il faut, outre le retour glitch et sans titre du géant Thavius Beck, l’association en long format de The Gaslamp Killer et The Heliocentrics qui ne pouvait pas décevoir et la Music Library Series du label de Madlib qui bat son plein, c’est cocorico à tous les étages avec Ugly Mac Beer mais également rayons EPs avec Batard Tronique, Radio Free Europe et Shitao.
Enfin, pour sortir un peu de l’underground pur et dur, Kool Keith a brillé avec Real Bad Man (plutôt que sur un Black Elvis 2 néanmoins sympathique), Nas un peu moins avec Hit-Boy aux manettes mais sans pour autant démériter avec un LP percutant, accrocheur et sans chichis, billy woods & Kenny Segal ont assuré le cachou sans impressionner autant qu’espéré, Talib Kweli & Madlib ont signé un grand titre et un album plus que décent mais Killer Mike, moitié de Run the Jewels, m’a plutôt déçu avec son MICHAEL à mi-chemin de l’introspection, d’une soul un chouïa dégoulinante et d’un rap rentre-dedans bien produit mais bling-bling aux entournures, façon Kanye d’il y a quelques années, bien plus écoutable ceci dit que le long format assez pénible de Travis Scott.
Musiques "extrêmes" :
J’ai un peu moins vibré quantitativement pour le terrorisme musical en ce début d’année mais le nouveau Sightless Pit avec ses improbables télescopages de noise industrielle, de hip-hop vicié et d’expérimentations éthérées finit indubitablement sur mon podium de 2023 jusqu’ici (et au niveau des meilleurs The Body), de même que le nouveau projet d’Oli Barrett aka Petrels, Yma, incroyable odyssée sonique à la croisée d’un drone abrasif et d’un post-rock blackisé ; Grosso Gadgetto leur tenant la chandelle de près avec le non moins immense Violenza. Côté metal, indus, hardcore punk et apparentés, Godflesh, Machiavellian Art, Primitive Man & Full of Hell ou encore Oozing Wound ont tout de même frappé fort, de même que Bruxa Maria à la frontière du noise rock. Enfin, j’aurais pu les glisser dans les musiques électroniques mais Anatoly Grinberg & Abell Leonid et Pita / Friedl (sortie posthume du regretté Peter Rehberg) semblaient tout à fait à leur place ici avec leurs explorations organiques particulièrement ardues et cauchemardées.
Pop/rock/folk etc :
On a été plutôt gâté de ce côté-là comparé aux années précédents, avec Yo La Tengo qui signent l’un de leurs meilleurs disques, irréductible chef-d’oeuvre dont on reparlera entre shoegaze, krautrock, noise et songwriting pop, un nouveau Swans aussi ambitieux que lumineux au point qu’il en évoque Spiritualized, le retour en forme du grand DM Stith et dans une moindre mesure des Go ! Team - que l’on n’espérait plus revoir aussi flamboyants - et de BC Camplight, la révélation de la New-Yorkaise PSIRENS et toutes proportions gardées de la Chilienne Chini.png. Ajoutons à cela de très beaux crus atmosphériques et enivrants signés Blur et de PJ Harvey (plus immédiat pour les premiers, aventureux et texturé pour la seconde), Gontard toujours au top avec l’un de ces albums concepts dont il a le secret, la magnifique incursion pop et acoustique des cultissimes Motorpsycho, ou encore les belles réussites de Jim Noir et Beach House en format court. Pendant ce temps-là, par la force des choses, Red Space Cyrod ont mis fin au projet en beauté, tandis que la frange "pop" des musiques expérimentales ne s’en est pas laissée conter, avec les superbes sorties de The Declining Winter (projet de Richard Adams de Hood), Black Duck (avec notamment Doug McCombs de Tortoise), East Forest & Peter Broderick ou encore, plus tangent, les Français de BRUIT ≤ avec tout simplement mon EP de l’année jusqu’ici, qui aurait très bien pu finir dans la catégorie "ambient" tant leur post-rock fait désormais la part belle aux élégies néo-classiques.
Néanmoins, bien obligé de terminer sur quelques déceptions de taille, en tête desquelles The National, The Electric Soft Parade et Sigur Rós, sans trop m’attarder sur d’autres disques d’anciens artistes de chevet devenus tout simplement inécoutables, de Belle & Sebastian à Gorillaz, en passant par Emilie Simon et l’ignoble relecture discoïde et racoleuse de son chef-d’oeuvre inaugural de 2003.
Le récap de Ben
L’offre musicale est d’une abondance sans précédent. Pourtant, au cours de cette première partie de l’année 2023, dix projets sortent, à mes yeux, du lot. Difficile d’établir une hiérarchie réelle au sein de cette sélection balayant des genres musicaux extrêmement disparates.
Soulignons tout de même qu’au rayon post-rock trône le magnifique Farewell du combo uruguayen Hangwire qui a sorti début juin un LP digne des plus grands (chronique à suivre). Leçon de songwriting, cet album est une véritable claque qui sonne comme la renaissance du rock à guitares.
Bien sûr, la musique expérimentale a fourni son lot d’albums passionnants parmi lesquels la nouvelle livraison du duo Trajedesaliva, transformé pour l’occasion en trio par l’adjonction de la pianiste Maud The Moth. Poignant, complexe et impressionnant de maîtrise, Bordando El Manto Terrestre réussit le tour de force de surpasser son prédécesseur, Ultratumba, qui avait pourtant mis la barre très haute. Sans surprise, on retrouve dans cette sélection l’immense Natalia Beylis. Alliée au violoncelliste Eimear Reidy, l’Irlandaise livre avec She Came Through The Window To Stand By The Door un savant mélange de minimalisme et d’expérimentations dans cet album résolument orienté néoclassique. Retour en Uruguay avec l’excellent label Veinte 33 qui publiait non pas un, mais cinq volumes de l’œuvre de son patron, kavernös. Side project du très prolifique Phalioo, cette pentalogie (pour le moment) n’utilise aucun instrument pour un résultat fantomatique du plus bel effet. Si l’on confesse une préférence pour le deuxième volet, l’ensemble reste extrêmement recommandé. Sorti au printemps, Picture A Frame de la violoniste Elisabeth Klinck (Hallowed Ground) a également tout du petit chef-d’œuvre. Bouleversant de subtilité et de sensibilité, c’est assurément un disque qui passera haut la main l’épreuve du temps. Même sensation avec la compositrice grecque Maroulita de Kol qui a sorti chez Phantom Limb (un gage de qualité) Anatélo, EP à la profondeur incantatoire auquel une suite tout aussi prometteuse vient de sortir. Comment conclure cette sélection expérimentale sans évoquer un autre EP, celui d’Innocent But Guilty & Wilfried Hanrath dont la collaboration magique a illuminé le mois de mars avec son mélange de musique électronique, de krautrock et de jazz ? Intense et vibrant, ces trois titres en appellent d’autres, sur un format que l’on espère plus étendu.
Paru dans les derniers jours de juin, l’évocateur et captivant Random Sweepings de Djane Ki (La Bande Adhésive) se qualifie dans cette sélection sur le buzzer, représentant ainsi dignement les musiques électroniques. Chroniqué dans nos colonnes, cet album est un des indispensables de l’été.
Rayon hip-hop, c’est sans surprise que l’on retrouve deux habitués d’Indie Rock Mag. Avec leur mélange de jazz et de hip-hop old school, Maeki Maii & Ljazz nous ont proposé avec leur Art Feeling la bande son idéale de nos errances nocturnes en plein cœur de l’hiver. Encore d’actualité dans la touffeur de l’été, cet album s’écoute aussi bien en titubant sur les pavés de Paris ou de Saint-Jean Cap Ferrat. Lâchée en février, la bombe Hail Telemetry de Marrow a également marqué cette première moitié de 2023. Avec sa mixtape de 11 titres aux accents orwelliens, le Canadien a mis tout le monde d’accord. Jusqu’à sa prochaine livraison.
Le récap de Elnorton
Début d’année lors duquel j’ai eu du mal à prendre la plume pour parler des albums qui m’ont enchantés, et pourtant, ce n’est pas faute d’avoir été charmé.
Les vieux routards :
Quelques artistes qui ont composé une poignée de mes disques de chevet sont revenus en 2023 avec un album intéressant, pas leur meilleur certes, mais une oeuvre cohérente qui décuple son goût de reviens-y au fil des écoutes. Je pense particulièrement à Blur, dont le The Ballad of Darren ressemble finalement plus aux oeuvres solo de Damon Albarn qu’à n’importe quel disque du quatuor. Malgré un ou deux morceaux plus agaçants (c’est souvent l’effet que je ressens lorsque le lyrisme l’emporte sur la mélodie), le disque est bien produit, déroule son propos de manière harmonieuse et, surtout, est porté par des singles évidents tels que The Narcissist, St Charles Square et Barbaric. Je reprocherais uniquement aux Anglais l’annulation de leur concert au Festival Beauregard où j’aurais dû/pu croiser leur route pour la première fois, dans une période où j’écoutais compulsivement Think Tank et surtout 13, les deux chefs-d’oeuvre de la bande.
Dans le même registre, je pense au Átta de Sigur Rós, un poil décevant à la première écoute - il souffre forcément de la comparaison avec son prédécesseur, l’excellent Kveikur, mais se bonifie avec le temps. Il faut dire que j’ai toujours tenu en très haute estime ( ) (leur meilleur avec Takk... selon moi, devant Kveikur et Ágætis Byrjun - les puristes vont m’en vouloir de le placer si bas), et que cette nouvelle sortie lorgne vers les mêmes contrées. Souvent dénué de percussions, Átta laisse la part belle à la voix de Jonsi et aux sublimes arrangements de cordes. Un Sigur Rós mineur mais pas ridicule, entre () et Valtari, un très bon album au demeurant, donc.
Enfin, j’ajouterais Jay-Jay Johanson, en grande forme depuis une décennie lors de laquelle il a publié un album tous les deux ans, et bien souvent de grandes réussites. Fetish n’est pas tout à fait au niveau du sommet Kings Cross mais néanmoins passionnant, son trip-hop baroque visant juste. N’oublions pas Yo La Tengo, dont je n’ai jamais été un grand fan, mais dont le dernier album, plus orienté vers le shoegaze que dans mes souvenirs, est fameux.
Et pour compléter le tableau, le court EP d’Aphex Twin constitue une réussite en ce sens qu’il y avait bien longtemps qu’un morceau du maître incontesté de l’IDM n’avait pas atteint l’intensité de Blackbox Life Recorder 21f. Trois morceaux inédits, c’est peu, mais avec un chef-d’oeuvre et deux autres titres qui tiennent la route, c’est convaincant.
Et puisqu’on parle des vieux routards que j’ai aimés, je me dois aussi de mentionner la déception que constitue le nouvel album de The National. Cela fait quelque temps que je le pressens, mais le charme n’opère plus, la formule pourtant inchangée en apparence semble rouillée. Je n’ai même pas réussi à aller au bout de ce disque, là où je m’écouterai toujours en boucle Boxer.
Les confirmations :
Sans doute plus déterminants que les disques des vieux routards, certains artistes suivis depuis quelques années confirment. Il en va ainsi pour DM Stith, qui ne m’avait jamais convaincu sur la durée d’un album et qui produit son oeuvre, à mon sens, la plus aboutie en marchant sur les traces d’un Sufjan Stevens, ainsi que pour l’incontournable Eddie Palmer, aussi bien avec Cloudwarmer sur un versant meta-abstract qu’avec, et peut-être surtout, les mélodies plus dépouillées de Fields Ohio, ou pour le Rennais Ô Lake dont les odyssées néoclassiques gagnent en technicité sans rien perdre de leur intensité émotionnelle.
Et puis, l’EP de Beach House, issu des mêmes sessions que l’album précédent - un poil décevant car trop long et inégal - est une vraie réussite. Become permet à Alex Scally et Victoria Legrand de clarifier leur propos en le rendant plus cohérent et toujours aussi hypnotique et enivrant. La dream-pop des Américains est, probablement, ce qui se fait de mieux dans le genre à l’heure actuelle.
Enfin, la vraie bonne surprise, c’est le retour d’Ulrika Spacek alors que je pensais - sans retrouver cette information nulle part, elle n’est donc sans doute pas fondée - qu’ils avaient splitté. Six ans après leur deuxième album et sept après le premier, Compact Trauma évite tous les clichés qui minent les sorties étiquetées "rock indé" en ne se souciant que de ses compositions. Mélodiquement riches, elles refusent tous les codes et oscillent entre psychédélisme et shoegaze voire même post-rock, sans jamais perdre leur cohérence ou leur clarté. Impressionnant et addictif, à recommander pour un été frais.
Les découvertes :
Je me limiterai aux deux albums émanant d’artistes que je ne connaissais pas avant cette sortie et qui m’ont retourné cette année, dans deux registres différents. Le rock psychédélique façon Brian Jonestown Massacre teinté, logiquement, de l’influence du Velvet Underground de Ghost Woman, tout d’abord, projet de Evan Uschenko. L’album Anne, If s’écoute d’une traite et permet d’explorer des contrées variées, allant jusqu’à un jam krautrock (Street Meet) en passant par des ballades velvetiennes, donc, et des morceaux plus électriques. Le sens mélodique de l’artiste l’emporte sur la masse d’albums surfant dans des eaux similaires.
Et l’autre disque, donc, est celui de Nabihah Iqbal pour Ninja Tune. Cette Londonienne a réussi la parfaite fusion entre deux de mes passions musicales les plus intenses : l’électro-IDM planante de Boards of Canada dont on percevra la filiation au niveau de la texture des synthétiseurs, et le shoegaze lancinant de Slowdive. Parvenant à associer ces univers, Nabihah Iqbal déroule son propos en le faisant muter selon ses envies, variant les rythmes, les atmosphères et les constructions pleines de contre-pieds ou répétitives, c’est selon. Addictif à souhait, une réussite totale.
Le récap de leoluce
Pas vraiment un récapitulatif de mes écoutes depuis janvier, je ne tiens pas de liste et il m’arrive d’oublier. Ça sera donc un peu n’importe comment, sans doute sans queue ni tête. Le seul point commun à tout ce qui suit, c’est que ça a beaucoup tourné et qu’on y trouve souvent pas mal de guitare.
une guitare en bulles de mercure associée à une basse liquide : FACS et Still Life In Decay dont je ne saurais dire s’il est mieux ou moins bien que ses prédécesseurs, ça n’a aucune importance. FACS ajoute juste à chaque fois une occurrence supplémentaire à une discographie on ne peut plus mystérieuse que je ne me lasse pas de parcourir.
des guitares massives associées à une voix déchirante : Nature Morte de Big|Brave ne dénature pas lui non plus un parcours jusqu’ici strictement ascensionnel et s’en va rejoindre aisément Vital ou A Gaze Among Them. Pas vraiment le même - il me semble que le trio montre un tout petit peu plus les crocs, au moins dans l’entame - mais c’est une nouvelle fois la voix de Robin Wattie qui me jette un sort. Plus je l’écoute, plus elle s’immisce et plus elle s’immisce, plus je l’écoute.
des guitares mais pas que, tordues, désarticulées, inscrites dans des ossatures écorchées et étranges, qui prennent souvent par surprise : All Fiction de Pile est vraiment un drôle de truc, tout à la fois flou et clair, agaçant et prenant, vif et neurasthénique qui ne se révèle jamais complètement. Et c’est très bien comme ça.
un guitare fuyante associée à une basse mortifère et une voix au bout du rouleau : Protomartyr sort Formal Growth In The Desert et comme pour FACS, peu importe qu’il soit mieux ou moins bien. Il est là, triste et volontaire, exténué et en colère, fin et massif, comme une épaule rassurante dont on sait qu’on ne la quittera jamais.
des riffs chlorhydriques dans un environnement nocif mais tellement beau : Build Yourself A Shrine And Pray de Bruxa Maria poursuit l’exploration du noyau primitif de la petite boule noire que l’on a toutes et tous nichée au creux du ventre et le fait vibrionner avec une belle dose de violence larvée.
une guitare métamorphe associée à une voix habitée et une batterie féline : Tombouctou livre avec Tricky Floors un puzzle très fragmenté et exceptionnel où tout s’emboite selon des angles insensés. Impossible d’en faire le tour. Pas envie d’en faire le tour.
une guitare angulaire et tranchante qui s’ébroue dans un environnement de prime abord plus apaisé qu’à l’habitude : avec Wrong Dream, Tunic modifie son paradigme, abandonne le punk-noise pied au plancher et prend quelques chemins de traverse. Et c’est très réussi. Parce qu’en ralentissant le tempo, le groupe conserve sa grande urgence et met en avant sa neurasthénie atavique en offrant son lot de flèches désespérées.
du punk associé à des choses bien plus heavy dans une étrange imagerie moyenâgeuse. Poison Ruïn poursuit crânement le chemin de ses premiers maxis avec Härvest et démontre qu’hier, c’était déjà aujourd’hui. L’écoute obsessionnelle du moment.
une réédition qui n’en est pas vraiment une avec le très prenant et iconoclaste 1981-87 Vol.1 de DEK. Des constructions/déconstructions géniales dont on se demande en permanence comment elles peuvent agir à ce point sur l’encéphale. Peut-être parce qu’elles nous font participer au disque en nous faisant remplir les espaces laissés vacants.
Le récap du Crapaud
Impossible d’évoquer cette première moitié d’année sans parler de punk hardcore. Celui de Life In Vacuum. Pétrie de lyrisme et percluse de spasmes nerveux, la musique du trio de Toronto est à la fois frontale, intuitive, animale, et en même temps, dégoulinante de sentiments, des sentiments arrachés dans la douleur et d’une franchise désarmante. Lost porte au fronton de ses titres la marque émouvante d’une naïveté juvénile, pourtant les Canadiens ne sont pas de nouveaux arrivants sur la scène emo/screamo puisqu’ils y évoluent depuis 2008. C’est ce qui est beau, cette façon sans chichi de rester un gosse jeté sur Terre, perdu depuis l’adolescence, tout en témoignant dans l’écriture des riffs, dans l’élégance du son, de la maturité d’un aîné exemplaire. A chaque chanson, son moment de grâce. Dans un refrain ému, sur un riff tendu, au gré d’un pont sublime, Life in Vacuum vous tient le cœur par les cordes, impossible d’en soustraire le rythme, c’est à celui du trio que le vôtre palpite. Première claque.
Deuxième claque. Venue de Lille. C’est le revers de la main. Une voix d’abord. Caverneuse, lyrique, maniérée. Vous avez dit Nick Cave ? Un Nick Cave local qui ne se serait pas assagi. Un album qui s’ouvre sur cette voix puissante, avec un appel, comme une supplique pachydermique forçant l’attention. Puis le rythme lent d’une batterie à l’épure. Dessus, la basse épaisse et grasse vrombit comme un tracteur. Et c’est sur cette base simple et solide, un basse-batterie quasi-stoner, un peu kraut, toujours un brin jazzy-noisy, que viendront s’échouer, quand la voix se tait, les salves boisées d’une clarinette furieuse. Avec cette formation étonnante, on pense aux regrettés Morphine. Mais il y a ici quelque chose de plus sauvage, d’animal, moins cowboy, plus taureau. Et cette ambiance de rite de désenvoûtement par laquelle se clôt ce State Of Fear, sur Sturm, n’appartient qu’à Bärlin. Cette voix déchirante, ces stridences d’un violoncelle inattendu, ces percussions en dents de scie… nous promènent dans un post-rock vaudou vibrant, captivant et mémorable.
Pour une autre claque, cherchez au rayon hip-hop de vétéran. On avait perdu Buck 65, un peu oublié, abandonné même après ses excursions douteuses dans la pop mainstream, après avoir été un compagnon de route rare et sympathique. Il était revenu dans nos vies en 2020, sans casser des briques. Un EP avec le producteur Tachichi plus tard et on retrouve le MC bien en verve. L’année dernière, un King Of Drums réussi mais sans plus nous permettait de le garder dans notre giron. Cette fois, avec ce Super Dope à l’ironie ravageuse, le beatmaker nous offre un album parfait. Totalement produit et scratché par lui-même, c’est un retour aux sources du hip-hop, au sien mais surtout aux ancêtres. Tous les samples, les beats, les breaks rappellent un vieux titre diffusé dans ton walkman il y a 30, voire 40 ans. Run-DMC, Beastie Boys, N.W.A, chaque instru est un clin d’oeil malin et totalement jouissif. Du bon boom bap bien huilé, garni de punchlines aiguisées, avec un timbre de voix surprenant. Le MC qui au fil des années s’était durci la voix, passant même par une phase crooner ténébreux, joue tellement à fond l’option revival qu’il en restitue la voix fluette et nasale de ses débuts. Un retour fascinant, comme un fantôme du passé.
Dans la famille « hyper productifs », je demande le cousin suédois ! Le voilà : Mats Gustafsson, Le saxophoniste, compositeur et chef d’orchestre en est déjà à sa troisième parution en 2023, puisqu’après un album avec Joachim Nordwall et l’album de THE END, il retrouve le Fire ! Orchestra et son pléthorique line-up (43 musiciens !). Dans ce monumental triple album, on retrouve tous les éléments qui font la spécificité de cet orchestre à géométrie variable et en perpétuelle évolution (mais en trois fois plus grand !) : un basse-batterie solide et épuré au groove imparable, qui tapisse le sol de formules minimales répétées à l’envi, des boucles infinies, hypnotiques, auxquelles les cuivres se mêlent, encore plus opulents qu’à l’accoutumée, qui forment le chœur chaleureux et puissant de ces gospels hétérodoxes ; des soli sauvages, où l’instrument résonne comme jamais, faisant jaillir ses sonorités les plus enfouies ; des chants féminins et masculins spectraux et parcimonieux, illuminés par une grâce païenne ; et toujours, dans de longs tunnels incandescents, des improvisations théâtrales, où chaque musicien s’implique dans un bouillonnement hirsute, orageux de bruits ou éclatant de calme, pour constituer la magie du feu sonore scandinave. Une odyssée dense et complexe.
Dans une teinte plus douce-amère et mélancolique, il faut se pencher sur le nouvel album de Matt Elliott. Toujours aussi profonde, sa musique emprunte à présent les accents de guitares latines, pour mieux enluminer de frou-frou cette voix d’outre-tombe. Dans une ambiance de cabaret lugubre à la David Lynch, ce neuvième album du Britannique, dont trois titres sont longs de plus de huit minutes, égraine les chansons en forme de ronde qui tournent autour de quelques accords grattés à la guitare classique, que le souffle chaud et langoureux d’un saxophone vient faire jazzer. Des accords de piano plaqués avec nonchalance, des cordes frottées pour envelopper de velours ces paroles d’un désespéré qui cherche dans le chaos du monde, en puisant dans un folklore méditerranéen, les herbes résilientes crevant l’asphalte. A l’image de cette pochette au flou beau et inquiétant, les chansons de Matt Elliott dessinent une aube humide de larme et de rosée, dans laquelle on peut imaginer un avenir moins hostile.
Et pour aller plus loin, quelques coups de cœur jetés sans ordre ni hiérarchie :
Pile - All Fiction : post-punk, emo rock aux refrains évidents.
Epiq - Pas Bravo La Viande : tribal rock polyrythmique et végétarien (avec le bassiste de Gâtechien).
Sarab - Qawalebese Tape : jazz rock oriental parisien qui dépote.
Tombouctou - Tricky Floors : noise rock féminin des montagnes... de Lyon !
Andrea Belfi - Eternally Frozen : jazz minimal aux percussions subtiles… pour méditer.
Marc Ribot Ceramic Dog - Connection : jazz, rock, spoken word, punk, free rock…
Benjamin Epps - La Grande Désillusion : rap français de jeune qui fait comme les vieux (très bien écrit !).
El Michels Affair & Black Thought - Glorious Game : hip-hop conscient aux instrus terribles.
Ballaké Sissoko, Vincent Ségal, Émile Parisien, Vincent Peirani - Les Egarés : quatre virtuoses interprétant de la musique traditionnelle d’ici et d’ailleurs.
Oxbow - Love’s Holiday : noise rock plaintif.
Le récap de Riton
10 albums :
1. Andrea Belfi - Eternally Frozen
2. Sightless Pit - Lockstep Bloodwar
3. Manco Wilder - The Phantom of the Corner Store
4. deathcrash - Less
5. Buck 65 - Super Dope
6. Barabbas, du förtappade - Discussions on Existentialism
7. Pile - All Fiction
8. Busdriver - MADE IN LOVE
9. Full of Hell / Primitive Man - Suffocating Hallucination
10. King Vision Ultra - SHOOK WORLD
- Sulfure Session #1 : Aidan Baker (Canada) - Le Vent Se Lève, 3/02/2019
- Sulfure Session #2 : The Eye of Time (France) - Le Vent Se Lève, 3/02/2019
- Aidan Baker + The Eye of Time (concert IRM / Dcalc - intro du Sulfure Festival) - Le Vent Se Lève (Paris)
- One Far West - Heliacal Risings
- Feeling Flying - Spirit Level
- Glacis - This Darkness From Which We Cannot Run
- Glåsbird - Fenscapes
- EUS & How To Disappear Completely - Remaining Light
- Roger Robinson - Heavy Vibes
- John Thomas Remington - Pavements EP
- EUS - Vergel
- Seefeel - Squared Roots EP
- Eli Tha Don & Hot Take - Ghetto Beethoven
- EUS & How To Disappear Completely - Remaining Light
- Masayoshi Fujita - Migratory
- The Sombre - Like a dream without light
- 2024 à la loupe (par Rabbit) - 24 chansons
- Octobre 2024 - les albums de la rédaction